"Il y a une montée de la violence, dans la rue mais aussi dans les expressions. Ce n'est pas ma conception de la République, que je veux exemplaire et apaisée. Une partie des Français ne m'aime pas, mais moi j'aime tous les Français, je veux les emmener vers la réussite et les fédérer".
Cette appréciation a été portée par le président de la République, jeudi 28 mars, au cours de son interview sur France 2 après le JT de 20 heures. Hollande faisait aussi bien allusion aux débordements qui avaient émaillé la manifestation anti-mariage homo, le dimanche précédent à Paris, qu'au "bashing" que lui-même et son gouvernement subissent sur les réseaux sociaux, Twitter en premier lieu.
De fait, une curieuse alchimie se développe au sein de l'opposition, toutes tendances confondues sur la partie droite de l'échiquier politique jusqu'à son extrème. Défaite à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de "mariage pour tous", la droite républicaine et parlementaire a radicalisé son discours contre le chef de l'Etat. Elle a ainsi ouvert la voie a une contestation plus physique du pouvoir. En lui donnant une sorte de légitimité.
Par petites touches, le face à face entre la droite et la gauche glisse progressivement du débat démocratique entre représentants élus au sein des assemblées parlementaires à des provocations de rue conduites par des groupuscules d'extrême droite, ou accompagnées par eux, qui prennent un caractère violent. Et par nature anti-démocratique.
L'opposition passe la main à la rue
Dès lors, ce mécanisme permet à Frigide Barjot, animatrice en chef de la contestation urbaine du mariage homo, de déclarer, à l'adresse de Hollande : "En France, ça va être la guerre civile, monsieur le Président". Et d'ajouter, la bouche en coeur, qu'elle n'est en rien responsable de la montée de cette violence latente. Le pouvoir, par son "obstination", étant lui-même coupable.
L'oeuf fait-il la poule ou la poule, l'oeuf ? Dans le cas d'espèce, Frigide Barjot, adoubée grande prêtresse de la contestation de rue par la droite parlementaire, procède par une inversion de la charge de la preuve. Hollande a été élu sur des engagements. Le mariage homo est un de ceux là. Il est adopté par les députés en première lecture. L'opposition s'y oppose en vain et passe la main à la rue.
L'égérie de la "Manif pour tous" a donc une lecture assez particulière et personnelle du fonctionnement des institutions de la République. Son raisonnement est le suivant : si un texte de loi ne plaît pas, il faut faire donner la rue et le pouvoir politique en place doit céder devant la contestation, fut-elle minoritaire. Car les sondages disent que l'adhésion de l'opinion au mariage homo est majoritaire.
Dans ce petit jeu "responsable-pas responsable", la droite républicaine et parlementaire, elle aussi, joue avec le feu. Elle fait monter continûment ses critiques contre le pouvoir en place, en tentant de le délégitimer sur le plan politique, tout en laissant entendre qu'elle ne peut être tenue pour responsable si des activistes prennent au pied de la lettre son procès de délégitimation.
Des groupuscules à la manoeuvre
"On sent monter une crise profonde, une crise de régime", dit ainsi Fillon avant d'exhorter l'opposition à ne "pas souffler sur les braises car ce qui nous menace, c'est une crise majeure qui pourrait emporter une bonne partie des espoirs de notre pays". L'ancien premier ministre use ici d'un double langage... avec un art consommé et beaucoup de lucidité.
Car certains de ses "amis" de l'UMP sont effectivement ceux qui soufflent "sur les braises", jusque sur Twitter. Mais Fillon sent bien que si les braises venaient à s'embraser autrement que dans l'hémicycle du palais Bourbon, la droite républicaine et parlementaire ne serait peut-être pas - sûrement pas ? - la première à bénéficier du chaos.
Il suffit de voir qui sont les groupuscules nationalistes ou identitaires à la manoeuvre dans les "actions spontanées" des derniers jours dirigées contre des ministres en déplacement en province pour comprendre que l'extrême droite sent bien qu'une porte lui a été ouverte, qu'elle s'y engouffre et qu'au jeu de la tentation violente, elle a quelques longueurs d'avance sur l'UMP.
Maintenant lancé, le processus de contestation par la rue bénéficie d'une légitimité octroyée par la frange radicale de la droite. La prochaine étape risque, pour ladite droite, d'être un retour de bâton sous forme de pression exercée sur ses élus locaux, dans les municipalités, par le Front national. La manoeuvre sera d'autant plus facile à réaliser pour les amis de Marine Le Pen que le terrain aura été préparé par l'adversaire qu'elle veut abattre : l'UMP.