Comment un coup de presse tourne au fiasco politique ? Le jour même de sa publication dans l'hebdomadaire Valeurs actuelles, jeudi 7 mars, le dossier "Dans la tête de Sarkozy" a fait l'objet d'un rétro-pédalage vigoureusement initié par l'intéressé. "L'article n'aurait pas dû être aussi long et faire l'objet de la Une du magazine" révélait ainsi le JDD sur son site, citant l'entourage de l'ancien président.
Sarkozy lui-même se serait montré surpris par la diffusion de ses propos, était-il alors rapporté. Et un coupable de choix - victime expiatoire... et consentante - était désignée : Patrick Buisson, conseiller extrêmement droitier de l'ancien chef de l'Etat, à l'origine de la radicalisation de la campagne présidentielle de ce dernier.
Un coup minutieusement monté
De fait, Buisson, ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles après avoir dirigé celle de l'hebdo d'extrême droite Minute dans les années 1980, et Jean-Claude Dassier, actuel vice-président du comité éditorial de Valeurs actuelles après avoir été longtemps un dirigeant de TF1 et LCI, sont à l'origine de ce coup médiatique. Autant dire qu'avec ces deux parrains, rien n'avait été laissé au hasard.
C'est encore plus vrai quand on voit que l'auteur de l'article principal de ce dossier de huit pages - celui qui a suscité le plus de commentaires - n'est autre que le directeur général, directeur des publications de Valeurs actuelles, Yves de Kerdrel. En clair, personne n'a surpris personne et c'est la tournure négative prise par ce "faux comme back" qui a donné naissance à cette surprise feinte.
Et s'il fallait un dernier élément pour s'en convaincre, la mise en ligne gratuite du "papier", qui avait fait coulé tant d'encre avant même sa publication dans la presse payante, sur le site de l'association "Les amis de Nicolas Sarkozy", serait comme une cerise sur le gateau.
Au final, ce dossier, qui a nécessité plusieurs rendez-vous avec l'acteur principal pour sa confection, a l'immense avantage de mettre sur la table - sans fioritures tant les citations brutes de décoffrage sont nombreuses - l'état d'esprit actuel de Sarkozy, la façon dont il se voit lui-même et surtout la stratégie politique, bâtie sur l'échec de Hollande et de la gauche, qu'il a en tête... selon le titre de couverture du magazine.
La revanche. Quelle revanche ?
Tout est fait par ses porte-parole officieux, depuis des semaines et des mois, pour présenter l'ancien chef de l'Etat défait en mai 2012 comme un homme "à la fois apaisé et serein". But de l'opération : montrer que Sarkozy n'est plus du tout le même homme, qu'il a changé, qu'il ne se laisserait plus aller aux écarts de langage et d'attitude qui ont rendu son quinquennat si pittoresque.
On est quand même en droit de se poser quelques questions tant le naturel revient au galop dans le panégyrique qui est fait de lui. Extraits de Valeurs actuelles. "Envie de prendre votre revanche ?" lui demande le narrateur. "Et là il se lève du canapé : 'Mais quelle revanche ? Tu plaisantes ? La revanche, d'abord, c'est un très mauvais sentiment. Cela n'a jamais rendu heureux personne. Et puis, quelle revanche ce serait?'"
Quelques paragraphes plus loin, Sarkozy parle du moment où il aura décidé de s'adresser aux Français : "Le chemin de ce retour ne passe pas par la politique. La politique, c'est fini. En revanche, il passe par une crédibilité internationale incontestée". En revanche ? Comme si l'inconscient refaisait surface !
Et cette saillie sur la "crédibilité internationale incontestée" est peu convaincante car c'est justement le thème phare qui est mis en avant par ses amis et son entourage pour montrer à quel point son quinquennat a brillé de mille feux sur la scène mondiale. Alors qu'avec Hollande la France est devenue, disent-ils, une puissance de seconde zone quand elle n'est pas tout simplement ridicule. Curieux de vouloir acquérir une qualité qu'on possède déjà.
Un seul interlocuteur : la France
Tout porte à croire - ou tout est fait pour le faire croire - que son passage pendant cinq ans à l'Elysée a transcendé Sarkozy. Il est comme en lévitation. Il n'appartient plus au bas monde du personnel politique commun. C'est tout juste s'il ne va pas guérir les écrouelles par une simple imposition des mains !
Dans la rue, les passants l'interpellent, raconte Valeurs actuelles, pour lui dire "Revenez, revenez-nous vite" ou bien "On a peur". Quelques pages plus loin, Guillaume Peltier, "bebé-Buisson" et chef de file du courant de la Droite forte à l'UMP, est plus direct sur le scénario : "Les médias, comme les Français, ont besoin qu'on leur raconte un roman". Comment mieux dire ?
Une icône intouchable est ainsi en pleine fabrication. Le mythe prend forme. Le héros et les scénaristes ne font plus qu'un - ce phénomène saute aux yeux dans l'article de Kerdrel tant la fusion est intense. Logique dans ces conditions que le personnage réel entre dans la peau du personnage de fiction.
"Je n'ai pas envie d'avoir affaire au monde politique qui me procure un ennui mortel", peut alors lâcher Sarkozy. L'ancien président n'a qu'un interlocuteur : la France. Ce que Peltier encore résume à la serpe, toujours dans Valeurs actuelles. "Si Nicolas Sarkozy estime de son devoir d'être candidat en 2017, dit-il, les choses sont claires : il n'y aura pas de primaire, ni avec Fillon ni avec personne."
La stratégie des quatre crises
La question n'est donc pas de savoir si Sarkozy à "envie" de revenir dans l'arène politique - qui n'est plus digne de lui - mais comment ce retour pour la France s'imposera à lui car il n'aura plus le "choix". C'est à un vrai exercice d'équilibriste qu'il doit s'adonner pour expliquer à quel point la politique ne l'intéresse plus tout en décrivant à quel point elle le tenaille.
Et quoi de mieux que l'échec de son adversaire pour tenter de remonter sur le trône, non pas à la suite d'une vulgaire cuisine électorale mitonnée dans de vieux faitout, mais parce qu'il faudra se dévouer pour ramasser la France tombée plus bas que terre, à la suite de quatre crises successives. Au bord du gouffre, elle aura immanquablement besoin d'un homme providentiel.
Il y a d'abord la crise économique. Elle est déjà là. Elle était même là avant l'arrivée de Hollande, croit-on savoir. Il y a ensuite la crise sociale avec ses cohortes de chômeurs et ses fermetures d'entreprises en série. Elle est là aussi. Elle y était avant aussi. Puis, il va y avoir une crise financière. La crise de l'euro, qui était en réalité la crise de la dette, n'est pas vraiment une nouveauté;
Le point ultime de cet enchaînement sera la crise politique. Alors, il faudra sauver le pays des extrémismes, de droite et de gauche. On finirait par croire que la France est dans une situation pré-révolutionnaire. Qu'elle attend un Bonaparte ou un Napoléon III à la sauce maurrassienne. Comme disait l'autre, "les Français ont besoin qu'on leur raconte un roman".