Près de 5.000 amendements et 110 heures de débat en séance ! La discussion, en première lecture, du projet de loi sur le "mariage pour tous" ouvrant cette union et l'adoption aux couples homosexuels s'est achevée samedi 9 février, à 5h 40 du matin, à l'Assemblée nationale. Le vote solennel du texte par les députés aura lieu mardi 12 février. Ensuite, le projet gouvernemental continuera sa course d'obstacles au Sénat.
D'ores et déjà, cette première étape législative permet de désigner quelques gagnant-e-s de cette discussion-marathon. Ils sont au nombre de quatre, au moins, parmi lesquels la ministre de la justice, Christiane Taubira, remporte indéniablement la palme de cette première étape.
1 Taubira se hisse à la hauteur de Simone Veil
"La garde meurt mais ne se rend pas !" La garde des Sceaux a doublement fait mentir cette citation, probablement apocryphe, de Cambronne à la bataille de Waterloo. Non seulement, ces 110 heures de débat n'ont pas tué politiquement Taubira mais, en plus, à aucun moment elle n'a baissé les armes.
Pugnace, combattive, brillante, la ministre a montré qu'elle dominait son sujet. Alternant les vrais colères, les fausses indignations, les fous rires et les démonstrations au scalpel, elle a fini de conquérir les députés de la majorité qui lui ont réservé une ovation au terme de cette première lecture.
D'une certaine manière, la gauche à trouvé sa Simone Veil dont le nom est attaché à l'adoption de l'IVG sous la présidence de Giscard d'Estaing. Taubira a effacé l'affront fait à Jospin en 2002 puisqu'elle fut tenu pour partie responsable de l'élimination du chef du gouvernement au premier tour de la présidentielle, en se présentant sous les couleurs du Parti radical de gauche (PRG) qu'elle représente au gouvernement.
A coup sûr, le président de la République doit se féliciter, aujourd'hui, d'avoir fait le choix de cette "femme féministe" au poste de garde des Sceaux. Hollande possède désormais une carte supplémentaire pour Matignon quand la question viendra sur le tapis, ce qui n'est jamais mauvais pour l'émulation ministérielle.
2 Bartolone fait la preuve de ses qualités de président
Majorité et opposition confondues, les députés ont rendu un hommage unanime à Bartolone. Le président (PS) de l'Assemblée a dirigé les débats pendant la quasi-totalité des 10 jours de discussion.
Le matin, l'après-midi, le soir, la nuit, il n'a jamais défailli, laissant rarement son siège à ses vice-présidentes : Catherine Vautrin (UMP) a fait preuve de beaucoup d'autorité, Laurence Dumont (PS) s'est un peu laissée déborder par l'opposition qui l'a chahutée dans un registre matiné de machisme.
Maniant la fermeté sur le temps de parole, rappelant à l'ordre les députés de droite sur de faux rappels au règlement, invitant l'hémicycle au calme quand il s'embrasait, le député de Seine-Saint-Denis, qui présidait d'une main assurée, a fait en sorte de ne jamais bâillonner l'opposition. Certains, à gauche, auraient préféré qu'il expédie les affaires plus vite. Il s'y est refusé.
C'est sur les textes délicats que se révèlent et s'imposent les grands présidents au Parlement. De ce point, Bartolone a réussi son examen haut la main. Maintenant, c'est son homologue socialiste du Sénat, Jean-Pierre Bel, qui va s'y coller. Le défi pour lui est de faire un sans faute et une démonstration souple-dure identique de direction des débats.
3 Mariton en grand ordonnateur de la guérilla UMP
Dans les rangs de l'opposition, une figure sort du lot : Hervé Mariton. Député (UMP) de la Drôme, éphémère ministre de l'Outre-mer d'un gouvernement Villepin (mars-mai 2007), polytechnicien et amoureux du russe qu'il parle couramment, Mariton a été le grand timonier de la bataille d'amendements menée par l'opposition au Palais Bourbon.
Sur les quelque 5.000 amendements, issus principalement de l'UMP, il a dû en défendre quelques centaines. Ses interventions répétitives ne portaient pas toujours sur le fond de l'amendement défendu - un exercice assez largement pratiqué pendant les 24 séances de discussion -, mais elles ont fait mouche plus d'une fois.
"Mode d'emploi" de l'Assemblée à la main, il a multiplié les rappels au règlement. Comme le président de son groupe, Christian Jacob, beaucoup moins à l'aise sur les méandres du texte. "Votre amendement est malin", s'est entendu dire Mariton, à plusieurs reprises, par le rapporteur (PS) du projet de loi, Erwann Binet, ou par des intervenants socialistes.
Comme Bartolone, Mariton "a tiré sur la machine" sans discontinué, enchainant les prises de parole de sa place dans l'hémicycle ou sur le plateau des télés en continu. Il a réussi à mettre en difficulté le gouvernement sur la PMA (procréation médicalement assistée) qui ne fait pas partie du texte, le premier ministre recadrant sa ministre de la famille.
4 Le débat remet à l'honneur la démocratie représentative
Pendant ces 110 heures de débat, l'opposition n'a eu de cesse de réclamer un référendum. L'un des principaux promoteurs de cette idée, Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Sarkozy à l'Elysée, joignant le geste à la parole fut très peu présent dans l'hémicycle. Il est probable que la droite sénatoriale resservira ce couvert au Palais du Luxembourg.
Parole du peuple contre parole des députés ! Le débat est récurrent et tous les pouvoirs ont, alternativement, joué de l'une et de l'autre, selon les circonstances. Il était donc de bonne guerre de la part de la droite de réclamer un référendum, même si dans le cas précis, elle sait fort bien que le texte sur le mariage homosexuel n'entre pas dans le champs de l'article 11 de la Constitution qui ouvre droit à la consultation du peuple.
Sous la Ve République, le référendum est plus utilisé par les électeurs comme un moyen d'approuver ou de sanctionner le gouvernement que comme l'expression d'un accord ou d'un désaccord avec la question précise posée. Ici, s'ajoute en plus, le fait que l'opinion est largement favorable au mariage de personnes de même sexe mais beaucoup plus mitigée - légèrement défavorable - sur l'adoption. Selon les sondages.
Même s'il tournait souvent en rond et s'il avait avait un caractère fastidieux, ce débat a montré l'innocuité d'un référendum. Il a remis à l'honneur, par la même occasion, la démocratie parlementaire face aux risques des errements du populisme. Il s'impose ainsi comme quatrième vainqueur de ce projet de loi controversé.