Or donc, Patrick Buisson prévoit - ou prédit, s’agissant d’une pythie politique – une dissolution de l’Assemblée nationale. L’ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, actuel président de la chaine de télévision thématique Histoire, a exprimé cette certitude, mardi 11 décembre, au micro d’Europe 1.
"Le schéma de la dissolution devient de plus en plus probable, sinon inéluctable", a laissé tomber l’oracle. Sans beaucoup plus d’explications. On ne connaîtra donc pas le cheminement du raisonnement qui conduit Buisson à une telle prévision, en dehors, évidemment, de l’impopularité actuelle du couple de l’exécutif et des résultats plutôt médiocres pour le PS aux trois premières législatives partielles du quinquennat.
Connaître ce cheminement aurait pourtant eu un intérêt car face à un enchaînement politique encore plus catastrophique, ledit conseiller n’avait jamais prononcé un jugement aussi définitif. Entre 2007 et 2012, en effet, Sarkozy a trainé une impopularité record, dans son ampleur aussi bien que dans sa durée, et il a enregistré des revers à tous les scrutins nationaux. Sans parler du mécontentement social qui s’est exprimé à de multiples reprises dans la rue.
A l’évidence, la combinaison de ces différents paramètres ne conduit donc pas, de façon "inéluctable", à une dissolution de la chambre basse.
D’autant que Buisson aurait dû se replonger dans l’histoire des dissolutions sous la Ve République pour s’apercevoir qu’il y a loin de la coupe aux lèvres ou plus exactement, en l’occurrence, que les fantasmes et la réalité font deux.
Une seule motion de censure adoptée en 50 ans
Depuis le projet de révision constitutionnelle d’élection du président de la République au suffrage universel direct présenté par le général de Gaulle en 1962, il y a eu cinq dissolutions de l’Assemblée. Elles ont été de trois types différents. Dans sa grande sagesse, la Loi fondamentale a prévu un "équilibre de la terreur" entre le chef de l’Etat qui dispose du pouvoir de dissolution (article 12) face au pouvoir de censure du gouvernement par les députés quand le premier ministre engage la responsabilité de celui-ci (article 49).
La première dissolution s’est produite en 1962. Mécontents d’avoir été court-circuités par de Gaulle qui préfère le référendum au congrès du Parlement pour faire passer la réforme populaire du choix direct du président de la République par l’opinion – une majorité de parlementaires y est opposée -, les députés censurent le gouvernement Pompidou. Conséquence : le fondateur de la Ve République dissout l’Assemblée… et renomme Pompidou - dont il avait refusé la démission - après des législatives gagnées. Cette motion de censure du 5 octobre 1962 est la seule qui a été adoptée en 50 ans.
La deuxième s’inscrit dans le contexte de la crise de société de 1968. L’histoire dit que Pompidou, toujours chef du gouvernement, prend ombrage du fait que de Gaulle se rend à Baden-Baden pour tâter le pouls de l’armée et du général Massu, sans le prévenir. Il présente à nouveau sa démission qui est à nouveau refusée. Face au mouvement social et à celui de la rue, le chef de l’Etat finit par dissoudre l’Assemblée pour trouver une issue politique. Les électeurs renvoient une majorité de droite introuvable à la Chambre… et Pompidou est remplacé par Couve de Murville à Matignon.
Les deux dissolutions suivantes remontent à 1981 et 1988. Elles sont prononcées par Mitterrand dans la foulée des deux élections présidentielles qui lui donnent la victoire. Elus pour cinq ans en 1978, les députés de droite sont majoritaires a l’Assemblée. Premier président de gauche de la Ve, Mitterrand veut se doter d’une majorité pour appliquer les 110 propositions qu’il a soumises aux Français pendant la campagne. Ils la lui donnent après la dissolution.
Rebelote en 1988 après la réélection de Mitterrand qui est confronté à une majorité instable à l’Assemblée : elle est issue des élections législatives à la proportionnelle de 1986 qui ont amené Chirac au poste de premier ministre pour la première cohabitation. Une nouvelle fois, cette dissolution qui a pour but de mettre en conformité l’exécutif et le législatif se solde par un acquiescement de l’électorat qui renvoie une majorité de gauche au palais Bourbon.
Le président de la République n’y a aucun intérêt
La dernière dissolution est celle prononcée par Chirac en 1997 sur les conseils, peu avisés, du secrétaire général de l’Elysée, Dominique de Villepin. Contrairement aux quatre précédentes, elle ne s’inscrit pas dans l’esprit de la Constitution de la Ve République. Pas de crise politique, pas de crise sociétale : figure ombrageuse du gaullisme, Philippe Seguin, aujourd’hui disparu, le met en évidence. Cette dissolution d’opportunité pourrait être baptisée de confort.
Elue en 1993, la Chambre est renouvelable en 1998. Villepin, qui craint une victoire de la gauche, persuade Chirac de s’assurer une stabilité en renouvelant par anticipation sa majorité de droite pour achever son quinquennat tranquillement en 2002. Las, les électeurs comprennent qu’on les prend pour des « enfants de chœur » pour une opération sans réels fondements institutionnels et ils font passer une majorité de députés de gauche. Jospin entre à Matignon pour cinq ans.
Quel cas de dissolution a les faveurs de Buisson ? Existe-t-il une majorité à l’Assemblée pour déposer une motion de censure contre le gouvernement Ayrault ? On ne la voit pas. Y a-t-il en préparation une explosion sociétale ? Certes, la crise économique continue de ronger la société mais elle n’a pas vraiment favorisé, jusqu’ici, la multiplication des mouvements sociaux : la tendance est plutôt à la défense des situations acquises. Mêmes précaires.
Reste la dissolution de confort ! Compte tenu du précédent de 1997, on voit mal comment Hollande pourrait avoir recours à un tel mécanisme qui serait très probablement rejeté par l’électorat. Le président de la République n’y aurait donc aucun intérêt.
Force est alors d’admettre qu’il doit s’agir d’une bravade ou d’une provocation dont Buisson à le secret. N’est-ce pas le même qui, avant la dernière présidentielle, prédisait, urbi et orbi, dans un entretien au Monde, que Hollande, battu par Sarkozy, ferait moins de voix que Ségolène Royal en 2007. On sait ce qu’il advint du résultat final. Quant aux suffrages, Hollande en obtint 18.000.668 contre… 16.790.440 à Royal !