Il y a tellement de chose à dire sur l’affaire de Florange qu’on ne sait plus très bien par quel bout il faut commencer. Ce dossier véhicule une foule de non-dits, il submerge l’imaginaire social, il s’insinue dans les méthodes de gestion sans âme, il envahit la mauvaise conscience des politiques, et, au bout du compte, il conduit à s’interroger sur l’efficacité de l’action de la puissance publique.
Les non-dits ? En rachetant Arcelor en 2006 au terme d’une OPA d’abord hostile, Laksmi Mittal avait-il déjà une idée de ce qu’il ferait des hauts-fourneaux de Florange ? Il se dit, ou plutôt il ne se dit pas, que dès cette époque, le vendeur et l’acquéreur ne leur réservaient pas un avenir radieux. Si c’est le cas, ils sont les premiers à avoir créé l’illusion.
L’imaginaire social ? Les ouvriers de Florange harnachés comme les chevaliers d’une industrie lourde emblématique et triomphante renvoient à une image de plein emploi d’après-guerre. Ils ouvrent la porte d’un monde imaginaire et dépassé qui n’a cessé de subir des saignées, économiques et humaines, depuis 30 ans.
La gestion sans âme ? Le dossier ArcelorMittal est le cas d’école rêvé des pourfendeurs de l’économie mondialisée. Ils tiennent là un patron fantomatique, 6e fortune mondiale qui dirige 260.000 salariés sur la planète et qui se soucie comme d’une guigne de l’avenir social de 600 personnes dans un coin de l’Hexagone tant elles ne sont même plus une variable d’ajustement.
Mauvaise conscience des politiques ? Le problème industriel et social de Florange n’est pas né le 6 mai 2012 avec l’entrée de Hollande à l’Elysée. Qu’on se souvienne. Les ouvriers du site, Edouard Martin, leur chef de file syndical de la CFDT en tête, ne disaient-ils pas être « le cauchemar » de Sarkozy ? Pas plus que les gouvernants d’aujourd’hui, les gouvernants d’hier n’ont su – ou voulu ? – prendre l’affaire à bras le corps.
Il reste ce sentiment d'inachevé
Au milieu de cette accumulation de handicaps, le ministre du redressement productif s’est présenté comme celui avec qui on allait voir ce qu’on allait voir. Montebourg, chantre de la réindustrialisation et du « made in France » - surtout sur le papier jusqu’ici - ainsi que du gouverner autrement, s’est emparé du drapeau de la nationalisation « partielle et temporaire ». En vain. Le mot lui-même ne renvoyait-il au Mitterrand du début des années 1980, une figure de cette première gauche qui n’est pas précisément la ligne politique prisée par l’actuel président de la République.
Au-delà des réactions attendues des communistes et du Parti de gauche de Mélenchon, il suffit d’observer celles de l’aile gauche du Parti socialiste pour constater que le « hollandisme insdustriel » est une ligne honnie de ce côté-là de l’échiquier. En l’espèce, Hollande a fait du Hollande.
Champion de la synthèse, le chef de l’Etat a laissé Montebourg sortir du bois avec le panache de la nationalisation en étendard, tout en cornaquant Ayrault sur la voie du maintien de Mittal en les murs. Les uns et les autres étaient-ils informés de la manœuvre ? Rien n’est moins sûr. Au final, il reste ce sentiment d’inachevé comme si aucune des issues possibles n’avaient été franchement empruntées.
En tout état de cause, c’est ainsi que les ouvriers de Florange l’ont ressenti, en estimant qu’ils avaient été trahis par le gouvernement. A l’exception de Montebourg. Au reste, il ne leur est pas interdit de se remémorer cette citation : « La confiance n’exclut pas le contrôle ». Elle est de Lénine.