Fati, 35 ans à l'usine d'Aulnay, et maintenant ?

Fati Afane, qui vient de fêter ses trente-cinq ans d'usine, a prévenu ses camarades : "S'ils donnent quelque chose aux seniors, ça va, les autres auront quelque chose, mais s'ils ne nous donnent rien, personne n'aura rien." Les négociations reprennent jeudi 15 novembre à Poissy (Yvelines) entre la direction de PSA et les syndicats. Et c'est le sort des plus anciens dans le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui sera discuté en premier. Le PSE prévoit la suppression de 3 000 emplois à l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dont un millier de salariés ont plus de 50 ans.

De la jupe au "costume de cosmonaute"

Un sourire toujours accroché aux lèvres, l'œil qui pétille, Fati se souvient. Elle aura bientôt 55 ans. Ses plus belles années à l'usine, elle les a passées à la sellerie. Elle cousait à la machine les sièges des voitures : "J'ai adoré ce métier, c'était valorisant."

C'était l'époque où elle pouvait venir travailler en jupe avec de jolis petits talons, avant l'uniforme obligatoire, veste et pantalon pour tous, "cet horrible costume de cosmonaute" qu'elle refuse toujours de porter. Les femmes étaient rassemblées dans le même atelier derrière les machines à coudre et ne travaillaient pas à la chaîne comme aujourd'hui. Fati a la nostalgie de ces années passées à faire du cousu-main pour les Citroën. Si fière de toutes les voitures qu'elle a vues sortir des ateliers, sauf peut-être l' Axel. "Elle était pas terrible celle-là."

"Je sortirai la tête haute"

Tout n'était pas rose pour autant : les chefs que l'on avait sur le dos pour oui ou pour un non, la sévérité de la hiérarchie, les insultes racistes… Mais au moins, confie Fati, "on était solidaires et on se protégeait les uns les autres."

Fati se souvient de la grève de 1982, elle avait tout juste 23 ans : "Oui, j'étais présente, j'ai même dormi à l'usine pendant plusieurs jours, il fallait la faire cette grève, explique-t-elle. Quand les mots vous atteignent dans votre origine et votre dignité de femme et d'homme, c'est terrible. Nous avons gagné le respect."

Ensuite, il y a eu le montage, "un travail d'homme", les trois-huit, le travail de nuit, beaucoup de sacrifices. "J'ai donné trente-cinq ans de ma vie, je sortirai la tête haute même s'ils veulent nous jeter comme un Kleenex", s'insurge l'ouvrière.

Chez PSA de père en filles

Quarante-deux nationalités se côtoient à l'usine d'Aulnay. Parmi les salariés, beaucoup de Maghrébins venus comme le père de Fati dans les années 1960. Clichy, puis l'usine Aulnay, "c'était l'eldorado", se souvient Fati. Elle a tellement d'admiration pour ce père qui a passé quarante ans de sa vie à l'usine : "Il est mort il y a cinq ans, il n'a pas profité de sa retraite. Vous vous rendez compte, il a voulu être enterré en France, c'était sa deuxième patrie."  Dans la famille Afane, on travaille chez PSA - même si on dit encore Citroën - de père en filles. Une des sœurs de Fati a quitté l'usine, l'autre y travaille encore. Une petite sœur sur laquelle Fati veille de très près. "C'est une histoire de famille qu'on a perdue, mais on n'y peut rien", se confie Fati.

 

 

Fati a choisi d'être toujours de bonne humeur. "C'est une carapace", reconnaît-elle, "sinon vous déprimez. C'est ce qui me sauve. Il y a tellement d'ouvriers qui ne vont pas bien." La voix devient plus grave lorsqu'elle parle des négociations qui commencent aujourd'hui. Fati espère au moins qu'on lui permette de sortir la tête haute.

 

  

 

Publié par Francine Raymond / Catégories : Actu / Étiquettes : Citroën, Fati