Dis moi où tu pars en vacances, et je te dirai quelle BD tu dois glisser dans ta valise. Pour avoir emporté en Nouvelle-Zélande les œuvres complètes autour de Watchmen (la série mère et les Before Watchmen) qui pesaient un bon quart des 20 kg autorisés, un des auteurs de ces lignes a développé une réelle sensibilité au problème de poids que posent BD, comics et mangas dans les bagages. Pour cet été, la sélection de Pop Up' vous propose donc douze BD qui vont vous transporter... dans tous les sens du terme. Quant à ceux qui lisent sur tablette, faites-vous plaisir, vous n'êtes pas concernés.
Si vous partez en voiture (et qu’il reste encore un peu de place sous les sièges)
- "La Vie de Bouddha" d’Osamu Tezuka (plus de 5 kg)
Lorsque "le dieu du manga" s’attaque à l’histoire du fondateur du bouddhisme, quatrième religion le plus populaire au monde, cela donne une œuvre monstre de près de 3000 pages qui concentre tout le talent d’Osamu Tezuka. L’épopée initiatique de Siddharta débute même ici bien avant sa naissance (afin de mieux appréhender le contexte de sa venue au monde au 6e siècle avant J-C) et retrace le parcours qui l'a conduit à devenir ce personnage de légende.
On ne va pas se mentir, cette biographie pourrait rebuter plus d’un lecteur avide de détente et n'ayant pas forcément l'ambition de transformer ses congés annuels en doctorat des religions, mais c’est sans compter sur le génie de Tezuka qui transforme cette histoire singulière en un récit d'aventures passionnant et drôle dans lequel le mangaka adore glisser des anachronismes pour faire sourire le lecteur. Donc, ne vous laissez pas intimider par ces quatre gros pavés que vous allez dévorer sans même vous en rendre compte.
Notez par ailleurs que la réédition des œuvres de Tezuka initiée par les éditions Delcourt se poursuivra à la rentrée avec Kirihito le 4 septembre. De quoi compléter sa bibliothèque après les publications de L'Histoire des 3 Adolf, Ayako, MW et Barbara.
La Vie de Bouddha d’Osamu Tezuka, intégrale disponible en édition prestige en quatre tomes, éd. Delcourt, environ 800 p. et 33 euros le tome.
- "Akira" de Katsuhiro Otomo (environ 4 kg)
EN.FIN. Il aura fallu plus de trois ans à Glénat pour réussir à éditer cette version définitive d’Akira, mais cette fois, c’est bon, les six épais volumes sont enfin tous disponibles et les conditions sont réunies pour vous lancer dans ce monument de l’histoire du manga. Car si elle a été publiée pour la première fois en France en 1990, l’œuvre visionnaire de Katsuhiro Otomo n’a pas pris une seule ride.
Détruite pendant la Troisième Guerre mondiale, Tokyo est désormais une ville tenue par des bandes de jeunes motards. Parmi eux, Tetsuo qui manque une nuit d’écraser un enfant au visage de vieillard. Cette découverte lui vaut d’être capturé par l’armée qui s’en sert comme cobaye pour tester des expérimentations sur le cerveau. Un récit post-apocalyptique aujourd’hui devenu la référence absolue de la science-fiction japonaise.
Notez également qu’une version remasterisée en 4K du film d’animation Akira (sorti en France en 1991) sortira au Japon au printemps 2020 (et on l’espère dans la foulée chez nous). Et une nouvelle adaptation plus longue (en série ou en film) est également prévue, selon Le Monde.
Akira de Katsuhiro Otomo, intégrale disponible édition originale en six tomes, éd. Glénat, environ 350 p. et 15 euros le tome.
Si vous prenez le train ou l’avion
- "Rio" de Louise Garcia et Corentin Rouge (750 g par tome, 3 kg pour la série complète)
Vous voulez voyager, mais les albums "carte postale" avec des beaux paysages et des filtres façon Instagram ne sont pas votre tasse de thé ? Laissez tomber ce livre de photos qui traîne sur la table basse depuis bientôt cinq ans et empoignez vigoureusement les quatre tomes de Rio. Dans cette série en quatre tomes, Corentin Rouge et Louise Garcia vous emmènent au Brésil. Au vrai Brésil. Pas l'ombre d'une caïpirinha dans cette histoire qui raconte le destin de plusieurs enfants de la capitale brésilienne. Le Corcovado n'apparaît qu'au loin dans les décors. Le cœur de l'histoire se passe dans une favela, pas celle "pacifiée" par la police brésilienne et où les touristes peuvent s'aventurer pendant la journée. Dans un coupe-gorge sans foi ni loi où il faut composer avec les flics ripoux, le parrain local, les balles perdues et les rivalités entre gangs.
Les deux auteurs nous font découvrir la vraie société brésilienne dans un récit sans répit, où on suit Rubeus, l'enfant des bidonvilles adoptée par une riche famille mais qui n'arrive pas à couper les ponts avec ses anciens amis d'infortune. Sans divulgâcher plus avant l'histoire, rebondissements et fusillades sont au rendez-vous. Sous la plume de Corentin Rouge, qui fait preuve d'une maîtrise graphique ahurissante, c'est un régal.
Rio de Louise Garcia et Corentin Rouge, quatre tomes disponibles, éd. Glénat, environ 80 p. et 18 euros le tome.
- "Après la pluie" de Jun Mayuzuki (moins d'1,5 kg )
A 17 ans, Akira Tochibana n’a pas tout à fait les mêmes préoccupations que ses copines de lycée. Ancienne espoir du club d’athlétisme, elle a dû renoncer à ses rêves de carrière sportive après une blessure. Privée de son activité favorite, la course à pieds, elle travaille désormais après les cours dans un café restaurant dirigé par un quadragénaire timide et maladroit. Fraîchement divorcé, Masami Kondô a bien du mal à s’en sortir, entre des employés peu respectueux et un jeune fils qu’il a du mal à occuper. Pourtant, c’est de cet homme pas spécialement attirant qu’Akira va tomber amoureuse, faisant fi de leur différence d’âge.
Si le pitch peut faire tiquer, Après la pluie n’est en rien une histoire d’amour glauque entre une ado et un homme qui pourrait être son père. C’est même tout le contraire (il est d’ailleurs publié dans la catégorie seinen chez Kana et non en shôjô). Grâce aux sentiments amoureux que porte Akira à cet homme qui se refuse à elle et n’abuse jamais de sa position de force, ces deux êtres que tout oppose vont chacun puiser la force de traverser la période difficile dans laquelle ils se trouvent. C’est extrêmement touchant, souvent drôle et très rafraîchissant. Notez que la première saison de l’animé, lui aussi très réussi, est disponible sur Prime Video.
Après la pluie de Jun Mayuzuki, série en dix tomes, éd. Kana, entre 160 et 200 p. le tome, environ 7 euros.
- "Stray Bullets, volume 1" de David Lapham (environ 1,2 kg)
Amateurs de polars très noirs, ne passez pas à côté de Stray Bullets ("Balles perdues" en VF), l'œuvre culte de David Pham que rééditent les éditions Delcourt. Ce must de la BD indie américaine, initialement publié dans les années 90, se découpe dans ce premier volume en quatorze histoires courtes dans lesquelles s'entrecroisent une bande de paumés. On y croise ainsi Amy, Orson, Nick, Monster, Beth et d'autres losers de la vie, un peu junkie, souvent violent, rarement très intelligent, qui ont tous en commun de ne jamais prendre la bonne décision au bon moment. Cela donne autant d'histoires pathétiques qui les font traverser tant bien que mal la fin des années 70, englués dans des histoires où il est toujours question de baston, de drogue ou de sexe.
On pense évidemment à Quentin Tarantino et sa manière si singulière d'entrecroiser ainsi les destins de malfrats dont on ne comprend pas immédiatement comment ils sont connectés entre eux. C'est glauque et cynique à souhait. Parfait donc pour savourer au mieux des vacances au calme.
Stray Bullets, volume 1 de David Lapham, éd. Delcourt, 480 p., environ 35 euros.
- "Luminary" de Luc Brunschwig et Stéphane Perger (moins d'1 kg)
Si vous avez lu les nombreuses chroniques consacrées ici aux oeuvres de Luc Brunschwig, vous allez reconnaître la recette magique du scénariste du Pouvoir des Innocents, de la La Mémoire dans les Poches ou encore d'Urban. C'est l'histoire de Billy, un jeune Noir employé dans un cirque, qui a un don pour calmer les fauves. Même quand la tigresse, reine du spectacle, met bas. C'est aussi l'histoire de Darby, qui est sorti voilà quelques semaines d'une clinique new-yorkaise, et qui provoque une explosion lumineuse en plein cœur de la ville, ne laissant que des cendres autour de lui. On va aussi croiser un mystérieux papy qui pourrait bien détenir la solution du mystère.
Construit en chapitre façon comics, l'album du duo d'auteurs est une réussite éclatante. L'intrigue tient la dragée haute aux meilleures séries télé du genre (la première saison de Heroes par exemple) et le découpage éblouissant de Stéphane Perger, qui régale derrière aux pinceaux, n'est pas pour rien dans l'addiction que vous allez très rapidement subir après avoir lu les premières pages de l'album. Un tome 1 qui en appelle beaucoup d'autres pour constituer ce qui pourrait bien être le meilleur démarrage de série de cette année.
Luminary, tome 1 : canicule de Luc Brunschwig et Stéphane Perger, éd. Glénat, 144 p., environ 20 euros.
- "Mascarade" de Scott Snyder et Greg Capullo (moins d'1 kg)
On a pensé aux amateurs de super-héros en slip avec la très belle réédition de ce classique des aventures du Chevalier noir qui souffle ses 80 bougies cette année. Des cinq beaux volumes proposés, nous avons choisi Mascarade, d'abord pour son poids plus doux que le gros pavé Un deuil dans la famille, et parce que l'histoire convoque Superman et Wonder Woman, instruments d'un piège machiavélique du Joker qui répand sur la ville un gaz qui rend fou avant de tuer sa victime, et dont l'antidote se trouve dans sa moelle épinière.
On retrouve les marottes du scénariste Scott Snyder (un Batman faillible et qui sait que sa mission de purger Gotham du crime est vouée à l'échec) et on se délecte du dessin de Greg Capullo en noir et blanc, sans les couleurs souvent criardes des comics de super-héros made in USA. Si l'expérience vous a plu, il existe quatre autres volumes à tomber par terre de ce run important de Batman version XXIe siècle.
Mascarade par Scott Snyder et Greg Capullo, coll. Vertigo aux éd. Urban Comics, 152 p., 19 euros. Sont disponibles aussi dans cette collection La Cour des hiboux, Un deuil dans la famille, L'An zéro et La Relève.
Si vous optez pour la plage ou la piscine
- "L’Héritier d’Hitler" de Geoff Moore, Anthony Del Col et Jeff McComsey (600 g)
Trois gradés nazis dans une salle sombre et sans fenêtre d'une base britannique non loin de Douvres. L'agente Brown du MI5 pour les interroger. Ils proposent leur liberté contre l'information qui peut faire basculer la guerre. Hitler a un fils, conçu lors de l'occupation allemande du Nord de la France pendant la Première guerre mondiale. Il s'appelle Pierre, travaille comme commis dans une boulangerie lilloise et représente une formidable porte d'entrée vers le Führer. Et si on arrive à faire entrer le fils dans le bunker de Berlin avec une arme, la guerre peut s'arrêter en quelques jours.
Ne vous arrêtez pas à la couverture, pas très ragoûtante, de ce comics bourré de bonnes idées avec un scénario retors à souhait et un dessin charbonneux qui vous plonge toute de suite dans l'ambiance pesante de l'Occupation. Un vrai bon moment de lecture sur 200 pages.
L'Héritier d'Hitler de Geoff Moore, Anthony Del Col et Jeff McComsey, éd. Paquet, 192 p., environ 30 euros.
- "Open Bar" de Fabcaro (moins de 500 g)
On ne présente plus Fabcaro, l'auteur de Zaï Zaï Zaï Zaï, comme le soulignent ad nauseam tous les stickers apposés sur ses albums depuis 2015, l’année où est sorti ce bijou d’humour noir qui a fortement contribué à la notoriété d’un auteur jusque-là inconnu du grand public. Depuis, Fabcaro s’est servi de cette récente notoriété pour nous raconter dans Pause l’angoisse née après cette médiatisation à laquelle il n’était pas préparé. Puis il a continuer à publier régulièrement des recueils de ces planches caustiques dont il a le secret. Après Et si l’amour, c’était aimer (éd. Six pieds sous terre) et Moins qu’hier (plus que demain) (éd. Glénat), il revient avec Open Bar, 1re tournée.
Alors, il est comment ce nouveau cru ? Très bon, car Fabcaro n’a rien perdu de sa capacité à rire de l’absurdité de notre quotidien. Parfait pour se bidonner à l’ombre sur un transat sans penser à la rentrée.
Open Bar, 1re tournée de Fabcaro, coll. Pataquès aux éd. Delcourt, 56 p., environ 13 euros.
- "Mamma mia" de Lewis Trondheim et Obion (moins de 400 g)
Imaginez une maison qui rassemble quatre générations sous le même toit. Le canevas élaboré par Lewis Trondheim est simple, mais très efficace, et permet une multitude de situations cocasses. Emma, l'écolière, doit apprendre ses leçons et faire ses devoirs, sa mère, Aurélie, cherche un boulot tout en éduquant sa fille, sa grand-mère, revient du Brésil avec les cheveux roses et un bronzage XXL pour continuer à draguer tout ce qui bouge et l'arrière-grand mère tente de suivre les derniers épisodes de cette cohabitation tumultueuse.
On s'amuse beaucoup à lire les tribulations de cette famille dysfonctionnelle, joliment croquée par le dessin d'un Obion déjà remarqué dans L'Atelier Mastodonte. A rebours de Dad (l'autre série familiale de chez Dupuis où un père célibataire élève quatre filles qu'il a eues de quatre femmes, qui joue plus le registre de la tendresse), Mamma Mia se veut gentiment corrosif, mais demeure à mettre entre toutes les mains. Une BD qui pourra donc être lue par toute la famille, et mérite donc sa place entre les chemises et les chaussettes dans vos bagages.
Mamma mia, tome 1 : La Famille à dames de Lewis Trondheim et Obion, éd. Dupuis, 48 p., environ 10 euros.
- "Life" de Miya Tokokura (moins de 200 g)
Itô et Nishi se rencontrent sur une ligne un jour sur une ligne de marquage au sol. Âgés tous deux de 17 ans, ils ont ce point commun, un toc qui les oblige à précisément sur cette bande. Sinon ? Nishi se fera dévorer par des requins et Itô s’empalera sur des pics de glace. Contraints à effectuer chaque jour une sorte de pas de danse pour pouvoir chacun poursuivre son chemin sans “faire tomber” l’autre, les deux adolescents se rapprochent et deviennent amants.
Life raconte ainsi les moments clés de la vie du couple à différentes périodes, depuis leur adolescence insouciante jusqu’à la mort. Un boy’s love extrêmement émouvant qui n’est rien d’autre qu’une ode à l’amour (sans tabou, puisque comme dans beaucoup de mangas de ce genre, les scènes de sexe sont très explicites). La vie, en somme.
Life de Miya Tokokura, éd. Taifu Comics, 192 p., environ 9 euros.
Si vous ne partez pas en vacances
- "Fables" de Bill Willingham (10 kg en VF, 13 kg en VO)
Il était une fois, à New York, des personnages de contes qui avaient dû fuir leur patrie et mettre un océan et un portail spatio-temporel entre eux et "les adversaires". Blanche-Neige régente la petite communauté qui a colonisé un quartier de la Grosse Pomme et empêche les humains normaux d'y pénétrer grâce à un sort concocté par les bonnes fées. Tout n'est pas toujours rose au sein de la troupe, et le grand méchant loup, alias Bigby, veille à faire respecter la loi et à châtier les contrevenants.
Meurtres, assassinats, attaques des mystérieux antagonistes, coups bas politiques du Prince Charmant pour détrôner le chef actuel de la communauté, Bill Willingham utilise avec brio chaque facette des personnages qui font partie de notre imaginaire collectif pour concocter des histoires qui font mouche à chaque fois. Et bien qu'il soit question du Petit chaperon rouge ou de Boucle d'or, évitez de mettre les ouvrages dans les mains de vos têtes blondes. Mais pour peu que vous ayez deux fois l'âge de raison, la lecture des tomes superbement illustrés se révèle jubilatoire. Et vous ne lirez plus jamais de conte à vos enfants de la même façon.
Fables, intégrale de Bill Willingham, coll. Vertigo aux éd. Urban Comics. Environ 400 p. et 28 euros par volume. Seuls sept volumes (sur dix) sont pour l'instant disponibles. Le huitième sera publié le 8 novembre. Et pour les plus motivés d'entre vous, les quinze volumes de l'intégrale sont disponibles en anglais, soit 13 kg de bonheur et de lecture pendant les belles soirées d'été.