Comment "Dad" donne un sacré coup de vieux aux BD familiales

Au commencement de la bande dessinée existaient deux types d'histoires. D'abord, la BD d'aventure, avec un héros voyageur (commodément journaliste ou détective privé), sans famille, flanqué d'un compagnon fidèle (mécanicien, animal, capitaine au long cours avec un penchant pour la bouteille). Le but était de les faire voyager après une courte introduction pour exposer un problème. Page 10, le héros pouvait s'exclamer : "Milou, nous partons pour la Syldavie."

Autre grande famille de la BD classique, la série familiale. Les garnements de Pim, Pam, Poum pourchassés par leur grand-père, les très sages Triplés, le machiavélique Calvin flanqué de son tigre en peluche, Hobbes, et l'archétype du genre en BD franco-belge, Boule et Bill, l'amitié indéfectible entre un garçonnet et son chien, entouré d'une famille immuable : père qui travaille-mère au foyer - pavillon de banlieue et 2CV rouge. C'est sur ce modèle que se sont développés les personnages qui ont pris la suite de ce créneau, comme Cédric ou le Petit Spirou. Avec des figures imposées : la mère est au foyer (la maman de Cédric travaille dans une boulangerie pendant un demi-tome sur les 25 que compte la série), le père ramène l'argent au foyer et met les pieds sur la table basse en empoignant son journal le temps que le dîner soit servi. Un modèle familial un rien daté (même si les deux garnements sont moins sages que le propret Boule).

La toute nouvelle série Dad, créée il y a moins d'un an dans Le Journal de Spirou et qui a enthousiasmé les lecteurs au point d'être élue meilleure série de l'année, dynamite joyeusement ces conventions. Plus de famille traditionnelle : le père est seul à élever quatre filles, de quatre mères différentes, et aux caractères bien trempés (une geek, une intello-gothique, une sportive et un bébé). Plus de patriarcat : le père est un comédien de seconde zone au chômage, qui a bien peu de temps pour courir les castings, car être père, c'est un travail à plein temps. Plus de jeunisme : le plus ado de tous, c'est précisément Dad, qui a conservé le look de son adolescence et peine à gérer son foyer en adulte responsable. Le dessinateur Nob a reconnu que son héros et lui ont eu le même passé grunge, à porter des tee-shirts de Nirvana et une longue mèche devant les yeux. Mais n'y voyez pas d'autobiographie : "On me demande toujours si Dad, c'est moi. La réponse est non !"

Feuilletez les premières pages de Dad avec Sequencity

Le thème central de l'album, c'est la relation père-fille, curieusement sous-exploitée dans la BD franco-belge, déclinée en gags jubilatoires. Pas de risque que la série tourne en rond : on n'a rencontré qu'une des quatre ex de Dad pour l'instant. La série évite avec brio l'écueil de la cruauté (un père au chômage qui élève tant bien que mal quatre filles, ça aurait pu aussi faire un drame social) pour baigner dans une atmosphère tendre, qui lui donne un caractère véritablement tous publics. Adultes et enfants y trouveront leur compte, ce dont peu de séries actuelles peuvent se vanter.

Le dessin est splendide, ce qui ne gâche rien, et un deuxième tome est déjà prévu pour l'automne.

Dad, par Nob, édition Dupuis, 9,90 euros, sorti en mars. On pourra prolonger la lecture de l'album par la page Facebook de Dad.

Pierre Godon