Après notre Top 5 2018 des séries télé, puis des jeux vidéo, il est venu le moment de faire notre classement des BD les plus marquantes de l'année. Comme l'an passé, Pop Up' a demandé à la rédaction numérique de franceinfo quels étaient les albums qui avaient le plus compté ces douze derniers mois. Voici les cinq titres qui ont recueilli le plus de suffrages.
5"Charlotte, impératrice" de Fabien Nury et Matthieu Bonhomme
Ça parle de quoi ? Le destin méconnu, mais romanesque de Charlotte de Belgique, mariée au frère cadet de la couronne d'Autriche-Hongrie, Maximilien, un beau parleur, mais un piètre politicien qui retombe à la première contrariété dans ses vieux démons d'oisiveté, de filles de joie et d'alcool. Le destin d'une femme qui se rêvait libre, mais cadenassée dans une prison dorée, jusqu'à ce que son mari soit bombardé empereur du Mexique. En gros, "Dark Sissi", avec une forte dose de politique et de répliques bien senties.
Pourquoi on adore ? Le dessin est tout simplement magnifique. Mention spéciale aux cadrages de dingue trouvés par Matthieu Bonhomme, plus inventif que jamais dans son découpage. Les couleurs (signées Hubert) apportent un joli cachet surannée à cette histoire de princesse. Le scénario est à l'avenant. Fabien Nury (Il était une fois en France, Katanga, La Mort de Staline... ) ne se repose pas sur ses lauriers et offre une histoire riche en rebondissements sur des faits réels totalement méconnus en France. Spoiler : on sent que ça va mal finir...
Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity
Charlotte, impératrice, tome 1 : La Princesse et l’Archiduc de Fabien Nury (scénario) et Matthieu Bonhomme (dessin), éd. Dargaud, 72 p., environ 17 euros.
4"Sunny Sunny Ann !" de Miki Yamamoto
Ça parle de quoi ? Ann entend vivre sa vie comme elle le souhaite. Sans mari, sans maison, sans enfant, elle a choisi de dormir dans sa voiture où elle y accueille quelques messieurs lorsque le besoin d’argent est trop prégnant. Mais cette liberté n’est pas du goût de tous, et à la suite d’une rencontre qui tourne mal, Ann est contrainte de fuir. Un excellent prétexte pour nous entraîner dans un road-trip émaillé de drôles de rencontres.
Pourquoi on adore ? Déjà parce que le trait de son auteure, Miki Yamamoto, est à mille lieux des standards de la bande dessinée japonaise. Ses dessins, qu’on imagine tracés au pinceau en poil de martre, transpirent la liberté. Ça tombe bien, c'est justement tout ce que revendique son héroïne. Ce deuxième album très prometteur a déjà remporté le prix culturel Osamu Tezuka dans la catégorie “jeune auteur” et est sélectionné cette année à Angoulême. Notre petit doigt nous dit qu’il pourrait bien ne pas repartir bredouille (on en reparle prochainement).
Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity
Sunny Sunny Ann ! par Miki Yamamoto, coll. Graphic aux éd. Pika, 208 p., environ 16 euros.
3"Malaterre" de Pierre-Henry Gomont
Ça parle de quoi ? D'une famille brisée par l'ambition dévorante de Gabriel, un fils de bonne famille devenu un rien canaille qui est plus à son aise en pleine nuit, un verre dans la main gauche, quelques cartes dans l'autre, qu'à gérer l'exploitation familiale qu'il vient de racheter. Ce domaine, situé en Afrique, avait cédé aux enchères soixante ans plus tôt par un aïeul impécunieux. Malaterre, c'est l'histoire de ce domaine, de ce pays et d'une soif de richesse et de reconnaissance qui rend fou... et qui finira mal, forcément.
Pourquoi on adore ? On vous l'avait annoncé dès septembre, Malaterre est un petit chef d'œuvre qui l'a immédiatement placé très haut dans notre sélection des meilleurs albums de l'année. Après le déjà très remarqué Pereira Prétend, Pierre-Henry Gomont met la barre encore plus haut dans cette saga familiale qui rappelle les personnages dévorés par l'ambition et l'avidité d'un Zola dans Les Rougon-Macquart. La comparaison avec la littérature n'est pas usurpée : on a rarement vu des récitatifs, qui accompagnent tout le récit, aussi bien écrits.
Tout sonne juste dans cet album et on reste bouche bée devant les couleurs, aussi puissantes que dans Pereira, mais avec une dominante verte qui irradie toutes les planches. Une claque graphique et narrative, une vraie bonne histoire.
Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity
Malaterre de Pierre-Henry Gomont, éd. Dargaud, 188 p., environ 24 euros. Il existe une version limitée à 777 exemplaires avec un ex-libris signé et une jaquette, vendue 35 euros.
2"Kill or be Killed" d'Ed Brubaker et Sean Philips
Ça parle de quoi ? Dépressif et un brin loser, Dylan subit sa vie sans ambition particulière. Jusqu’au jour où cet éternel étudiant, amoureux de sa meilleure amie qui joue avec ses sentiments, décide d’en finir en se jetant du toit de son immeuble. Miracle ! Dylan s’en sort avec une simple fracture. La pauvre a été "sauvé" par un drôle de démon qui décide de lui faire payer son acte en lui proposant un pacte. Désormais, pour rester en vie, il devra chaque mois assassiner une personne qui mérite de mourir. Pour y parvenir, le frêle Dylan va se muer petit à petit en un redoutable justicier.
Pourquoi on adore ? Parce qu’il suffit d’un seul tome de Kill or Be Killed pour que le génial Ed Brubaker nous accroche totalement à sa nouvelle histoire pourtant bien plombante. Ultra dark, l'histoire de la métamorphose de Dylan, qui passe au fil des pages du statut de pauvre type qui fait pitié à celui de justicier dénué d’affect, est un modèle de storytelling. Un récit narré en voix-off, comme toujours superbement écrit (et traduit) par le scénariste britannique, auteur des passionnantes séries Velvet ou Criminal.
Car Dylan est un personnage complexe, comme aime les imaginer Ed Brubaker. Obligé de tuer pour survivre, il est d’abord bourré de scrupules mais va lentement se servir de ses mission pour s’affirmer et se venger des brimades et humiliations subies toute sa vie. C’est violent et brutal et les dessins de Sean Phillips ajoutent à cette ambiance poisseuse et, avouons-le, très déprimante. En ajoutant un soupçon de fantastique à son récit, Brubaker brouille les pistes et forge un récit en décalage avec les polars classiques. A moins que ce drôle de démon n'existe que dans l'imaginaire de Dylan...
Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity
Kill or Be Killed par Ed Brubaker (scénario) et Sean Phillips (dessin), éd. Delcourt. La série est en cours et trois tomes (130 p. et 16 euros environ le volume) sont pour l’instant disponibles. Le tome 4 (et dernier) paraîtra le 6 février 2019.
1"Ailefroide, altitude 3954" de Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet
Ça parle de quoi ? Grenoble, au tournant des années 1970. Jean-Marc Rochette s'ennuie comme un rat mort à l'école, où son goût du dessin est dénigré par des enseignants bornés. Sa seule échappatoire : l'ascension des cols qui cernent la ville, avec un copain de classe. Au début, le néophyte emprunte du matériel à un jeune grimpeur du coin, avant d'y investir ses économies. Chaque sommet tenté est un peu plus exigeant que le précédent.
Pourquoi on adore ? Parce que récit, qui s'articule autour des différentes ascensions effectuées, permet de mettre en valeur des caractères, des personnages, un état d'esprit aujourd'hui affadi. Associé au scénariste Olivier Bocquet, Jean-Marc Rochette livre un splendide bel exercice d'introspection qui ne cache rien de cette crise d'adolescence montagnarde.
Là où Jiro Taniguchi jouait sur la corde épique pour nous conter la conquête de l'Everest dans Le Sommet des dieux, là où Hergé choisissait l'épure pour dessiner les montagnes dans Tintin au Tibet, Ailefroide est un récit initiatique qui est surtout une ode à la montagne, omniprésente, anguleuse, à pic, magnifiée par le trait de l'auteur dont on sent qu'il a usé ses crampons sur les rochers isérois. Et ne vous y trompez pas, cet ouvrage touchera tous les lecteurs, même ceux venus de plats pays.
Ailefroide, altitude 3954 par Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet, éd. Casterman, 296 p., 28 euros. Le très beau texte de la postface est en ligne sur le site de l'éditeur.