Il y a des BD dont on sait qu'elles vont vous marquer dès la dixième page. Il y a des BD dont on sent, instinctivement, qu'elles vont devenir des classiques, peut-être même des chefs d'œuvre. Il y a des chroniques de la "BD de la semaine" qui vous parlent de la BD de l'année. Malaterre fait partie du club.
Ça parle de quoi ?
Malaterre raconte l'histoire de Gabriel, un fils de bonne famille, devenu un rien canaille, qui est plus à son aise en pleine nuit, un verre dans la main gauche, quelques cartes dans l'autre, qu'à gérer l'entreprise familiale. Il a pourtant racheté un domaine en Afrique, pour exploiter le bois. Domaine qui appartenait à sa famille, mais qu'un aïeul impécunieux avait dû céder aux enchères, la mort dans l'âme, soixante ans plus tôt.
Malaterre, c'est aussi l'histoire d'une famille brisée par cette ambition dévorante. Sa femme Claudia, abandonnée du jour au lendemain. Les enfants, séparés par une décision de justice. Les deux aînés, Simon et Charlotte, suivront leur père en Afrique et y vivent la vie d'expat', bulle d'oisiveté et de richesse dans un pays qui ne roule pas sur l'or. Malaterre, c'est l'histoire d'un domaine, d'un pays, d'une soif de richesse et de reconnaissance qui rend fou... et qui finira mal, forcément.
Pourquoi on adore
Pierre-Henry Gomont mène sa carrière comme un sauteur en hauteur. Une progression régulière depuis son premier album, Kirkenes (qui racontait le road-trip un peu vain de deux ados jusqu'au nord de la Suède), jusqu'aux remarqués Nuits de Saturne (un polar nocturne) et Pereira Prétend (l'adaptation du célèbre roman de Tabucchi racontant le destin d'un professeur pas forcément militant confronté à la résistance au dictateur Salazar au Portugal). Cette fois en solo et sans adapter de roman, l'auteur met la barre encore plus haut dans une saga familiale qui rappelle les personnages dévorés par l'ambition et l'avidité d'un Zola dans Les Rougon-Macquart. La comparaison avec la littérature n'est pas usurpée : on a rarement vu des récitatifs, qui accompagnent tout le récit, aussi bien écrits.
Tout sonne juste dans cet album, jusqu'aux scènes où interviennent les enfants qui s'encanaillent à chiper la voiture de leur alcoolique de père la nuit ou qui bronzent à la plage avec d'autres fils de bonne famille. On reste bouche bée devant les couleurs, aussi puissantes que dans Pereira, mais avec une dominante verte qui irradie toutes les planches. Et l'amateur pointu sourira devant l'utilisation de phylactères dessinés et de la forme des volutes de cigarette de Gabriel pour traduire son humeur, un peu comme les ailes du casques d'Astérix. Une claque graphique et narrative, une vraie bonne histoire.
C'est pour vous si...
Vous ne voulez pas rater le meilleur album de l'année (de ces neuf premiers mois en tout cas).
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Malaterre de Pierre-Henry Gomont, éd. Dargaud, 188 p. de bonheur, environ 24 euros. Il existe une version limitée à 777 exemplaires avec un ex-libris signé et une jaquette, vendue 35 euros.