Le 14 septembre dernier, depuis l’Ecole Nationale de Police de Roubaix, le Président de la République a prononcé un discours par lequel il clôturait le Beauvau de la Sécurité, qu’il avait lui-même annoncé sept mois auparavant, en profitant pour exposer un certain nombre de mesures. Discours qui avait tout l’air d’un programme, bien plus qu’une refonte nécessaire de la Police Nationale.
Pour le chef de l’Etat, quatre mots clés : Soutien, investissements, exigence, et transparence ».
Au final, ce Beauvau... Bien? Pas bien?
C’est bien
Depuis le temps que l'on dit qu'il faut que la police soit en capacité de "voir loin", il semblerait que le Président Macron, ait entendu cette nécessité:
« On dit souvent du ministère de l'Intérieur qu'il est le ministère de l’urgence. Monsieur le ministre, messieurs les directeurs et préfets, vous ne me démentirez pas. Vous répondez toujours présents quand l'imprévu est là avec force, quand tout semble s'effondrer, vous êtes les vigiles de la République. Mais le ministère de l'Intérieur a aussi besoin de temps long, de durée, d’inscription justement dans le temps et d'anticipation ».
Ainsi, il est question d’une « loi de programmation pour la sécurité intérieure » (qui devrait être présentée en Conseil des Ministres en début d'année 2022), ce qu’avait déjà mis en place Pierre Joxe, alors Ministre de l’intérieur de François Mitterrand, dans les années 80, se calquant sur ce qui existait déjà au sein du Ministère de la Défense.
Objectif annoncé : « penser le commissariat et la gendarmerie de 2030 », afin de faire face aux nouvelles formes de délinquance, et être la « loi de modernisation numérique du ministère de l’intérieur ». Là encore, du Pierre Joxe dans le texte, lui qui avait informatisé la police.
Autre mesure, qui concerne les effectifs; la police va se doter (enfin elle va essayer) d’une nouvelle force : la réserve opérationnelle. Celle-ci existait déjà dans la Gendarmerie nationale (à hauteur de 20.000 personnels), elle sera donc également déployée dans la Police Nationale, à hauteur de 30.000 réservistes. Ces effectifs auront pour mission de seconder les policiers dans un certain nombre de missions, et donc, de les soulager Ambitieux, mais nécessaire.
L'un des volets les plus importants abordé par le chef de l'Etat traite, surtout, de pénal. Et, notamment, de simplification de la procédure pénale. Là où le Président reconnait lui-même que « les dernières lois aient parfois contribué à alourdir certaines de ces procédures ». Ainsi, c’est le garde des Sceaux, qui est chargé de faire de nouvelles propositions « dans les trois mois », pour aller plus loin, dans le cadre de la simplification de la procédure, au cours des « Etats Généraux de la Justice », qui débuteront dans les prochains jours. Un peu plus loin, autre mesure, la mise en place de « référents » qui soient en capacité d’informer les victimes quant au suivi des procédures pour lesquelles elles ont déposé plainte. Si l’on ne peut que saluer le principe, il va falloir voir comment cela se met en place.
On demande à voir
Petit retour en arrière, dans le cadre de l’organisation de la police. Les « Directions Départementales de la Police Nationale » (DDPN) vont être généralisées, après avoir été testées dans 3 départements. Ces directions regrouperont donc tous les services de police du département, là où, par exemple, la Police Judiciaire, dépendait de la « centrale ». C’est une organisation qui existait déjà il y a plus de 20 ans, et qui avait été remise en question… Une fois de plus, on fait un retour en arrière. Objectif annoncé ici : que la Police ne dispose que d’un seul interlocuteur face à l’autorité civile du département, que représente le Préfet.
Bouleversement à prévoir, le chef de l'Etat a également annoncé une réforme en profondeur de la procédure pénale, et notamment de ses cadres juridiques. Lorsque l'on sait l'importance de ces cadres juridiques dans le fonctionnement actuel, mais aussi que l'enquête préliminaire est en cours de refonte, par le Ministère de la Justice, et qu'il y a beaucoup à y redire, pour les enquêteurs, cela laisse bien perplexe.
L'une des premières annonces, dans le cadre du volet pénal, concerne la suppression du rappel à la loi, dont on sait qu’il sera remplacé par un « avertissement pénal probatoire ». Un laps de temps d’un an durant lequel le mis en cause sera sous « surveillance », c’est-à-dire qu’en cas de nouvelle infraction, il sera jugé pour les deux. Ce dispositif devrait entrer en vigueur dès 2023. Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un rappel à la loi, il était possible, pour le magistrat, de se saisir de cette décision, en cas de nouvelle infraction, pendant 5 ans. Aussi, vis à vis de ce changement, la question est de savoir si ces rappels à la loi étaient ressortis, et s'ils le seront "plus", avec une nouvelle mesure. Alors même que cette période, qui était donc de cinq années, sera donc plus tard, d'un an.
Autre volet de simplification de la procédure, les « amendes pénales forfaitaires », qui existent depuis maintenant un an pour une partie des usagers de stupéfiants. Cette procédure sera étendue à d’autres infractions : l’occupation illicite, par les gens du voyage, de certains terrains, mais aussi l’occupation illicite des halls d’immeuble.
Autre objectif, et là c’est un vrai questionnement, « augmenter, sous 10 ans, la présence des policiers sur le terrain », y compris l’encadrement hiérarchique. Pour ce faire, selon le chef de l’Etat, des recrutements, ici ou là, mais surtout « dégager les policiers des tâches administratives en développant les missions des personnels administratifs ». Au menu, également, pour les policiers, une révision des cycles horaires de travail, laquelle devrait être finalisée au 1er janvier prochain, en concertation avec les syndicats. Et là, on se dit, pour connaitre un peu l’institution, que ça n’est pas gagné. Mais, attendons de voir.
La technologie est bel et bien présente au cours de ce discours, puisqu’il a également été annoncé l’achat de 15.000 nouvelles « caméra piéton » ; objectif, que d’ici à la fin 2022, chaque policier dispose d’une caméra piéton, mais également que les véhicules soient également équipés de systèmes spécifiques de captation. Pourquoi une réserve ? Il semblerait que des études, conduites à l’étranger, tempèrent les résultats des caméras piéton, faisant remarquer que, finalement, la situation n’avait que très peu changée, et que ces caméras n’étaient toujours utilisées que dans un sens, la protection des policiers. Et que, inversement, les citoyens ne pouvaient que difficilement s’en prévaloir. Attendons donc de voir ce que cela donnera en France.
S’il est un certain nombre de sujets sur lesquels l’on ne peut que se satisfaire (encore faudra-t-il voir, concrètement, ce que cela donne sur le terrain), il est des mesures qui m’apparaissent soit inutiles, soit totalement contre-indiquées.
Bof.
La mesure qui, à titre tout à fait personnel, ne me fait ni chaud ni froid, dans la mesure où je me demande s’il y avait là un vrai problème, c’est bien le changement d’uniforme, qui a été annoncé.
Ainsi, en 2000, nous étions en chemise et casquette rigide ou « calot » ; nous sommes ensuite passés au sweat-shirt et casquette américaine. L’on va repasser au calot, avec un changement de tenue d’uniforme, pour repasser au bleu, là où l’on avait changé pour le blanc, voilà quelques années. L’on ne peut ici que se pose la question de savoir s’il n’y avait pas mieux à faire avec les budget que cela va solliciter.
Autre mesure qui me pose réelle question quant à son efficacité : la création d’une « instance de contrôle parlementaire des forces de l’ordre qui pourra procéder à l’évaluation de leurs actions ». Cette proposition s’inscrit dans le cadre du contrôle de la police, et du rôle de l’IGPN, de la transparence et de la confiance des citoyens vis-à-vis de l’organe de contrôle de la police.
Je me dois de reconnaitre que je ne vois pas bien ce qu’apportera cette instance, là où les assemblées procédaient déjà, dans le cadre de commissions d’enquête, à de auditions de professionnels.
J’ai bel et bien, ici, le sentiment que rien n’avance, et que l’on n’a pas bien pris la mesure de la nécessité d’avancer encore, dans la structuration des inspections, qu’il s’agisse de la police ou de la gendarmerie. Parce qu’il faut bien se rappeler que ce Beauvau a été annoncé par le chef de l’Etat à la suite de "l’affaire Zecler", qui s’ajoutait à d’autres, médiatisées.
Non, non et non.
Dans le cadre de son discours, M Macron a fait état de sa promesse de recrutement des 10.000 policiers, sur le quinquennat. Promesse tenue, certes, mais au sacrifice de la qualité de formation des policiers. En effet, les écoles de police tournant à plein régime, avec une formation d’un an (un certain nombre d’entre elles avaient été fermées à la suite de la RGPP - Révision Générale des Politiques Publiques - de Nicolas Sarkozy), il a fallu trouver un « stratagème » pour faire rentrer plus de monde dans les écoles, et ainsi satisfaire la promesse de campagne du candidat Macron. Résultat, on a passé la formation à 8 mois au lieu de 12.
Gérald Darmanin, Ministre de l’intérieur, a lui-même annoncé il y a quelques mois, qu'il s'était agi d'une erreur (assez facile de se départir de ce qui a été décidé par d'autres) et que la formation allait à nouveau être rallongée. Grand bien lui fasse. On voit bien, ici, le jeu de passe-passe qui a été fait. C’est le chef de l’Etat lui-même qui a donc confirmé que la formation des gardiens de la Paix passait à nouveau à douze mois. Sauf que…
Eh oui, nouveau tour de « passe-passe », il faut trouver une parade à la crise subie par les métiers de l’investigation. Et là, la magie opère, les gardiens de la Paix passeront le bloc OPJ dans le cadre de la scolarité initiale. Pour les non initiés, le bloc OPJ (pour Officier de Police Judiciaire) est une formation qualifiante, à ce jour délivrée dans le cadre de la formation continue, à des policiers qui vont exercer des missions judiciaires. Formation qui a pour but de leur apprendre, à la fois les prérogatives propres de l’OPJ (et notamment la mesure de garde à vue, les perquisitions, Commissions Rogatoires), mais aussi les nécessaires Libertés Publiques, qu’il se doit de connaitre comme étant ses « limites » devant les mesures attentatoires aux libertés qu'il lui est possible de décider. Cette formation TECHNIQUE était jusque là délivrée à des policiers ayant déjà une expérience de la police (au moins 3 ans) ; et souvent avec une expérience judiciaire. Ils savaient donc déjà, un peu, de quoi ils parlaient.
Rappelons ici que nombre de témoins, qu’ils soient formateurs ou chef de service, dénoncent la baisse du niveau des nouvelles recrues, depuis quelques années.
Et donc, si je mélange un peu tout cela, j’ai une formation qu’on veut rallonger, pour être meilleure, sauf qu’on va y intégrer quelque chose de très technique à des personnes dont on a constaté une problématique de niveau.
Non que cela soit un problème sans solution, cette histoire de niveau, il pourrait être décider une forme de remise à niveau, d'individualisation de l'apprentissage, dans le cadre de la fomation. Mais non, on la complexifie, avec ce risque de perdre un certain nombre d’élèves, en cours de route.
Et puis, aussi, il faut bien se dire que les écoles de gardien de la paix forment des « généralistes », là où les OPJ sont déjà des spécialistes. Celui qui sera CRS n’a absolument rien à faire, par exemple, d’être OPJ…
Voilà donc une quasi certitude : cette mesure est un réel problème en soit. Et ne changera donc rien au niveau de ceux qui sortiront de l’école de police.
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Voilà donc un très grand nombre d’annonces, faites par le Chef de l’Etat. Si l’on peut souligner de bonnes intentions, il n’y aucun doute sur le fait qu’il s’agissait, ici, surtout d’un discours de candidat. En effet, si la majorité devait changer aux prochaines élections, rien de tout cela n’irait à son terme. Ensuite, il est un certain nombre de mesures annoncées qui restent pour le moins floues, et qu’il s’agira, alors, de détailler.
Pour autant, je dois bien reconnaitre une forme de déception. Là où il s’agissait, pour moi, d’une nouvelle vision qu’il fallait avoir, d’un changement profond dans les structures, des choses nouvelles, des idées originales… Je dois bien avouer que je reste sur ma faim. Je ne vois pas, ici, quelque chose qui puisse changement fondamentalement les choses. Et puis, rien d’annoncé qui ne concerne le malaise des policiers, et rien non plus autour de la prise en compte des suicides.
Je me dois de le reconnaitre, au fond, une grande déception, avec un Beauvau qui n’a finalement eu, toujours, que comme objectif, que de satisfaire les syndicats. Tous les syndicats. Et donc, un Beauvau « à minima ». Avec un certain nombre d’oublis. Et, à titre personnel, le regret qu’aucune des mesures que l’association que je préside, et qui me semblent être de bon sens, n’ont été reprises.