En cette rentrée 2021, quasiment un siècle après son écriture, qu'il parait loin, le "Marius" de Pagnol. Loin, les "peuchère", les "degun" ou autres expressions locales.
"Marseille c’est la plage, le foot, la gratte en pleine chaleur", nous disent les artistes marseillais que sont Jul etSoprano.
Marseille, c'est le soleil méditerranéen. La chaleur extérieure, mais aussi celle dans les cœurs.
Difficile de parler de Marseille sans juste citer son club mythique qui, toujours, fait parler, et fait vibrer les habitants au rythme des rencontres hebdomadaires de l'OM. Ne dit-on pas que l'humeur du marseillais, un lendemain de match, est directement en relation avec les résultats de son équipe la veille?
Pourtant, même si ce club m'est cher, ce n'est pas de football dont je vais parler ici.
Marseille, c'est aussi, comme l'a déclaré Benoit Payan, son maire, une "sédimentation de strates successives de populations venues au gré des fracas de l'histoire, fuyant la misère ou la guerre; des hommes, des femmes, des enfants, qui ont parcouru le chemin de l'exil, par nécessité, parfois par choix..." .
Marseille, c'est le multiculturalisme, qui créé de la richesse.
Mais Marseille, c'est aussi la pauvreté. Et ses quartiers nord, loin de tout. Probablement une façon de garder, que les politiques se l'avouent ou pas, les problèmes loin de la vie marseillaise.
Parce que Marseille, c'est aussi une quinzaine de morts, au cours d'un été des plus meurtriers. Le résultat d'une guerre de territoire que se livrent les dealers, ces morts étant le reflet des règlements de compte dont découlent les trafics, notamment des quartiers nord. Mais pas que. Alors que les victimes sont aujourd'hui de plus en plus jeunes (un adolescent de 14 ans est l'une des victimes), difficile de savoir si ce nombre élevé de cadavres est le résultat, comme l'affirme le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, de l'implication des policiers, dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
C'est le 7ème art, qui est venu ajouter des mots, des images, sur cette face sombre que Marseille nous donne à voir, par trop souvent. Un film. Une illustration, en quelque sorte.
"BAC NORD".
"C'est un film qui dérange la gauche", ai-je pu lire et entendre, à la sortie du film. "Pro police", également. Un peu comme si c'était une tare, ou une faute. Ou comme si être "de gauche" et "pro police" était incompatible... Mais, au-delà, des personnes que je peux côtoyer, aussi bien policiers que magistrats et greffiers, tous sont unanimes pour saluer ce film, et dire que oui, il nous dit quelque chose.
Il m'a - enfin - été donné l'occasion d'aller voir ce film de Cédric Jimenez, porté par de formidables acteurs, au rang desquels le casting fait la part belle à Gilles Lellouche et François Civil, qui explosent l'écran.
Et il est difficile, pour le policier que je suis, de rester insensible. J'ai vécu, durant cette séance, un flot d'émotions parfois contradictoires. J'y ai revu ce que j'ai pu vivre, cette seconde famille qu'est le groupe dans lequel on est. J'y ai revu la joie et la fierté, celles de faire une "belle affaire". Mais aussi les engueulades, sur fond de désaccords, plus ou moins profonds. J'y ai vu cette proximité parfois de façade, et qui s'efface très vite devant des intérêts personnels. J'y ai retrouvé cette tension qui précède l'intervention, mêlée à la concentration.
Je vais mettre de coté le parallèle qui est fait, avec cette affaire qui a secouée la BAC nord marseillais, en 2012. Tout simplement parce que je ne connais absolument rien de la réalité de cette affaire, et que je ne sais pas non plus où se situe la limite entre le réel et la fiction du film actuellement sur les écrans de cinéma.
Je vois pourtant, au cours de ces 104 minutes de film, ce qui m'apparait comme deux réalités.
Avant tout, une réalité de ce que sont devenus certains quartiers: des points de deal. Qu'ils soient à Marseille ou ailleurs. Ces quartiers dans lesquels les dealeurs sont devenus les maitres du terrain. Ces quartiers où, pour rentrer, il faut montrer patte blanche, à la façon de ce qui pourrait être un contrôle d'identité policier. Sauf que ce sont ici les dealers qui y procèdent. Des quartiers où plus personne ne va, à l'exception de ceux qui y habitent et les policiers. Des quartiers dans lesquels quelques dizaines d'hommes font la loi. Au détriment de toutes ces familles qui n'ont pour seul tort que de ne pas avoir les moyens de vivre ailleurs. Ou alors d'être attachés à ce lieu de vie qu'ils connaissent depuis tant d'années, parfois de génération en génération. Des quartiers dans lesquels il est des plus difficiles aux policiers de rentrer. Où il faut presque demander l'autorisation pour ne pas être accusé de "provoquer".
Là encore, c'est Soprano, qui chante, "On faisait le tour de la terre, A chaque étage, solidaires, C’est ici qu’ont poussé nos ailes" pour parler d'un passé devenu lointain. Et puis ces enfants d'aujourd'hui, qui lui répliquent "Ce sont les mêmes quatre tours, Les portes closes à double tour, ... Nous c’est méfiance et défiance".
Ainsi, la misère était déjà présente dans ces quartiers. Mais il en était pourtant autrement. Aujourd'hui, le trafic, c'est aussi une réalité, aide un certain nombre de familles, à vivre. La pression de conformité qui joue aussi sur ces gamins qui voient "les grands" brasser beaucoup d'argent, l'argent facile, là où ils voient leur famille qui a du mal à manger. Et, une fois qu'on est dedans "Il y a deux façons d'en sortir: la mort ou la prison", comme j'ai pu l'entendre ces derniers jours. Tragique.
L'autre réalité qui ressort de ce film, qui me saute aux yeux est celle qui est intrinsèquement policière.
Etre policier, c'est avant tout vouloir aider les autres. être utile à la société. "Défendre la veuve et l'orphelin". Etre "les bons" contre "les méchants". Je sais bien que tout ça est très caricatural, mais il y a, fondamentalement, un peu de tout ça, dans le cœur et l'âme d'un policier. Alors, que peut-il se passer lorsque, mois après mois, année après année, la situation se détériore? Que ce policier se sent impuissant. Qu'on lui demande des résultats comme s'il était un magicien. Qu'il voit des autorités, des élus, qui évoluent au gré de l'actualité médiatique.
Attention, je ne cherche pas à cautionner les comportements mis en avant dans ce film. Mais plutôt tenter d'expliquer le désarroi dans lequel on peut être plongé, au quotidien, dans la misère. De cette réalité où l'on vide un océan, non pas avec une petite cuillère, mais plus avec une passoire. Un quotidien où, sur une gangrène, on applique un pansement. Et ce, depuis tant d'années.
Et cette réalité qui se pose: comment évoluer dans des services comme ces BAC, prendre des risques parfois inconsidérés pour sa propre santé, sa famille, pour 2000€ par mois, avec si peu, voir aucun changement, aucun résultat? Comment continuer à y croire, continuer avec abnégation? Comment ne pas finir aigri? Comment ne pas avoir recours à la facilité pour avoir "la paix"? Des petites affaires qui satisfont un peu tout le monde. Comme dit dans ce film "que tu fasse un arracheur ou un trafic, c'est juste +1"; un peu comme pour illustrer la politique du chiffre.
Heureusement, ils sont encore nombreux à avoir cette force, cette motivation. Et c'est tant mieux. Parce que, de la même manière que je peux l'observer "coté justice", tout ne fonctionne encore que par la seule bonne volonté, la motivation des individualités. Tant est si bien que les moyens, l'organisation, sont largement en deçà de ce qu'ils devraient être.
Et puis oui, il faut aussi le dire. Si des actions fortes de la police et de la justice sont bien sur nécessaires, elles ne se suffiront jamais à elles seules. Parce qu'il faut investir sur tous les pans. A commencer par celui de l'éducation. C'est à la racine de la vie, qu'il faut agir. Puis la formation. Mais aussi l'aménagement du territoire. Détruire ces barres d'immeubles. Mais aussi rapprocher ces quartiers de la ville. Ne pas juste y voir le "risque délinquance", mais plutôt tous ceux qui pourront mieux vivre et s'en sortir, plutôt que de juste survivre.
Et puis, c'est aussi l'organisation de notre mille feuille bien français, qu'il faut revoir. Celui dans lequel le politique prend des décisions en 2013, pour voir un résultat concret en... 2033. On ne peut pas attendre 20 ans que des décisions fortes prennent vie, pour amener le changement. 20 années durant lesquelles tout continue à se dégrader.
Alors, j'entends bien que la problématique est complexe. Mais il faudra un jour un grand courage politique. Avec des moyens, beaucoup. Mais des moyens qui soient fléchés et suivis d'en haut. Que l'on n'assiste plus, comme c'est encore trop souvent le cas, à des guerres d'appareils politique. La ville, la communauté d'agglomération, le département, la région, l'Etat. Toutes ces entités doivent fonctionner ensemble. Mais peut-être qu'il est finalement là, le vrai problème?
Parce qu'il est des territoires dont on ne peut pas juste se contenter des les regarder, et d'en parler au gré des morts.
Il faut maintenant des actes. Mais pas juste à court terme.
C'est probablement là que si situe la problématique la plus importante de notre société: ne pas juste voir le court terme, alors même que, parallèlement, il faut des résultats rapides.
Equation complexe. Mais c'est bel et bien par là que notre société se délite. Au carrefour de tous les problèmes.