Le 12 Mars, le CEVIPOF, Centre de Recherches politiques de l'Ecole Sciences Po, a rendu publique son rapport qui fait suite à l'enquête "En quoi les français ont-ils confiance aujourd'hui? - Le Baromètre de la confiance politique".
Il s'agit d'une vaste étude, dont le résultat est condensé sur 134 pages de graphiques. Baromètre qui permet, outre les chiffres français, de pouvoir les comparer avec d'autres pays, tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie. En France, 2105 personnes interrogées en ligne, sur le système CAWI (Computer Assisted Web Interview), c'est à dire une enquête envoyée par e-mail, et donc réalisée en ligne (les autres systèmes étant le CATI, par téléphone, ou le CAPI pour lequel l'interrogé fait face à une tablette ou un ordinateur). L'enquête a été réalisée entre les 20 et 31 janvier 2021.
L'étude traite ainsi de 11 chapitres distincts. 10 ont été traités par ailleurs.
Je souhaite ici traiter celui qui concerne particulièrement "LE RAPPORT A LA POLICE"
Première remarque: il est ici question de "la police". Difficile de savoir s'il ne s'agit que d'entité "Police Nationale", ou si l'on regroupe, comme ça peut être le cas dans l'ésprit des citoyens, dans cette terminologie, la Police Nationale, les Polices municipales, et la Gendarmerie. Dit autrement, il n'y a pas, en France, UNE police, mais plusieurs, qui cohabitent, avec des missions parfois identiques, similaires, voir complémentaires.
La première apparition de "la police", dans ce sondage, se trouve posée en parallèle d'autres institutions, s'agissant du personnel médical, de la science, des associations, de la justice, des réseaux sociaux, etc... C'est donc ici la question de la confiance qui se pose. Et les réponses sont les suivantes:
- 14% ont "très confiance"
- 55% "plutôt confiance"
- 18% "plutôt pas confiance"
- 10% "pas du tout confiance"
Bien plus tard dans l'enquête, arrive le 10ème des 11 chapitres. Traitant donc particulièrement de la police.
La première question posée aux sondés est ainsi de savoir s'ils ont eu, au cours des 3 dernières années, un rapport avec la police. Ils sont 21% à répondre par l'affirmative. Chiffre le plus important des quatre pays interrogés (moyenne à 18%). C'est à dire 442 personnes, sur l'ensemble des 2105 personnes interrogées.
L'on rentre ensuite dans le détail, sur ce qui a motivé le contact:
- 59% des personnes ayant eu un rapport avec la police l'ont donc eu par le biais d'un contrôle routier, ou d'un contrôle d'identité (soit 260 personnes, soit 12% des personnes interrogées au total)
- 42% à l'occasion d'un dépôt de plainte
- 20% dans le cadre d'une enquête judiciaire
- 17% dans le cadre d'une manifestation
- 16% dans le cadre d'un "appel à détresse"
Chez nos voisins allemands, les chiffres sont partagés entre le contrôle et la plainte (44% et 48%), là où les anglais sont partagés entre le dépôt de plainte, l'appel de détresse et l'enquête judiciaire (39%, 41% et 41%). Les Italiens sont eux, bien plus impactés par le contrôle d'identité ou routier, à hauteur de71%; mais 48% ont aussi eu l'occasion de déposer une plainte.
Il m'apparait ici utile de noter que, du fait de la situation sanitaire, les contrôles se sont forcément démultipliés au cours de la dernière année. Il n'y a pas, ici, dans cette étude, de comparatif qui permettrait de comparer à une période antérieure.
La question suivante porte sur l'opinion détaillée des sondés vis à vis de la police. Précision qui m'apparait importante. L'on pose ici la question, de façon indifférente, à ceux qui ont eu à faire à elle, et ceux qui n'ont pas eu à faire à elle.
- 84% pensent qu'elles fait "l'objet d'agressions et d'insultes"
- 83% pensent qu'elle n'a pas assez de moyens (chiffre largement plus important que les autres pays - moyenne à 73%)
- 76% pensent qu'elle n'est pas suffisamment reconnue pour son dévouement
- 71% la jugent efficace/compétente (chiffres similaires dans les autres pays)
- 71% qu'elle est honnête (chiffre proche de l'Allemagne et de l'Angleterre, les Italiens étant supérieurs, à 76%)
- 64% pensent qu'elle traite les gens avec respect (chiffre le plus faible des quatre pays, qui sont à 73% pour l'Allemagne et l'Italie, et 71% pour le Royaume-Uni)
- 62% pensent que les agents ne sont pas suffisamment bien formés (chiffre largement plus important que les autres pays - moyenne à 44%
- 61% la jugent "accessible" (73% en Allemagne, 56% au Royaume-Uni, et 68% en Italie)
- 55% pensent qu'elle ne sanctionne pas ses agents lorsqu'ils agissent de manière fautive (chiffre le plus élevé des quatre pays)
- 54% pensent qu'elle n'use pas de la force à bon escient en fonction de la situation (là aussi le chiffre le plus important des quatre pays)
J'insiste tout de même, encore une fois, sur le fait que l'on pose ici la question à toutes les personnes, y compris celles qui n'ont pas eu à faire à la police. De fait, 79% des sondés se font une opinion autrement que par leur propre vécu. Et cela me semble être un biais important.
Je ne peux que regretter ici que l'on ne soit pas allé plus loin avec les usagers du service public de la police. Donc les 21% qui ont eu un contact au cours des trois dernières années.
En ce qui concerne le racisme dans la police, 67% des sondés pensent qu'il y a autant de racistes dans la police que dans la plupart des autres milieux professionnels. 18% pensent qu'il y en a plus, et 11% pensent qu'il y en a moins.
Il me semble que l'on peut avoir plusieurs lectures à cette question. L'on peut se dire que, d'après les sondés, la police est à l'image de la société. Mais, à l'inverse, on devrait pouvoir se dire que, s'agissant d'une institution disposant de pouvoirs importants, notamment de coercition, il devrait y en avoir moins.
D'ailleurs, comparativement, les trois autres pays sondés pensent de façon plus significative qu'il y a moins de racistes dans leur police. Ils sont 20% en Allemagne, 26% au Royaume-Uni, et 31% en Italie.
C'est ensuite Guillaume Farde, professeur affilié à l'école d'affaires publiques de Sciences-Po, chercheur associé au CEVIPOF, qui rédige une note de recherche plus détaillée, avec Floriane Labarussiat, étudiante en M2. La note est intitulée "La confiance Police-Population en 2021: Le décrochage des 18-24 ans".
Tout d'abord, regardons de plus près ce chiffre relatif à la confiance on a vu qu'il était à 69%. Il était au même niveau en décembre 2014, pour largement augmenter après les attentats de 2015. Aussi, en 6 ans, ce "capital" a été perdu. La plus grande altération intervient "entre décembre 2018 et février 2020", à hauteur de 8 points. C'est à dire la période couvrant les manifestations des gilets jaunes.
On l'a vu, 21% des sondés ont eu à faire à la police, soit 442 personnes (sur les 2105 interrogées). Et parmi ces 442 personnes, elles sont 17% à avoir eu un contact en manifestation. Soit 75. Ce qui représente donc 3.5% des sondés (G Farde arrondit à 4%). De fait, et c'est la conclusion de M. Farde, la confiance est donc guidée, en grande partie, non pas par l'expérience, mais par une perception. Il conviendrait donc ici de comprendre de quelle façon sont influencés les sondés. Et ce, quelle que soit l'idée qu'on se fasse de la police. que l'on ai plutôt confiance, ou pas. Parce que, du coup, 79% des sondés n'ont pas eu à faire à elle, alors que 69% ont tout de même confiance.
Toujours ce même regret, que d'interroger ceux qui ont un biais de perception, fonction de l'influence qui est la leur.
De cette séquence il est donc déduit que les sondés ont été influencés par les manifestations. Pourtant, j'irais, en ce qui me concerne, plus loin, parlant plutôt de l'influence médiatique, qu'il s'agisse des médias traditionnels, télévisuels et radiophoniques, ou des réseaux sociaux, médias à part entière. Et, à mon sens, l'on constate bien, ici, le danger que représente cette "bataille de l'image", c'est à dire la façon dont seront traitées les informations, et donc le rôle majeur des médias, et leur responsabilité. Je vais raisonner à l'extrême: si demain, un drame survient, dans lequel des policiers sont victimes, il y a fort à parier que cette cote de confiance augmente, parce que le fait sera médiatisé. Ce qui est donc totalement décorrélé d'une quelconque réalité "globale" du terrain. Autrement dit, l'on fait face à la dictature de l'émotion.
Je ne dis pas ici qu'il ne s'est rien passé au cours des manifestations de gilets jaunes. Je note juste l'importance du regard médiatique; et j'ai le souvenir du début des manifestations gilets jaunes, où l'on mettait en exergue les débordements commis par les manifestants puis, au fur et à mesure du temps, un renversement où l'on mettait plus en avant l'action des forces de l'ordre.
Par la suite, là où Guillaume Farde note que 46% des français jugent que la police fait un bon usage de la force, j'aurais plutôt tendance à noter que, à l'inverse, donc, 54% pensent qu'elle n'en use pas à bon escient. Le verre à moitié plein. Ou alors, le biais de la façon dont on apprécie le chiffre.
Le focus est alors fait sur l'image que se font les les 18-24 ans de la police. Je regrette ici que l'on ne dispose pas des chiffres précis des autres catégories d'âge.
Il semblerait donc, selon Guillaume Farde, que la baisse soit particulièrement ressentie chez les jeunes. Là où ils étaient 62% à déclarer avoir confiance dans la police en 2020, ils sont aujourd'hui 52%, l'écart avec le reste de la population étant de 7 points. Le chercheur, voyant une légère chute de confiance des jeunes en Grande-Bretagne et en Allemagne, y voit donc de quoi relativiser les effets de l'affaire "Floyd", alors que la France a, elle connue l'affaire "Zecler". A noter que le chiffre de la confiance des jeunes franciliens serait encore plus faible, passant à 30%.
50% des 18/24 ans jugent la police honnête (60% chez les britanniques et 69% chez les allemands); 55% considèrent que la Police ne traite pas les citoyens avec respect (40% en Grande-Bretagne et 29% en Allemagne), et enfin, 33% de cette classe d'âge estime que la police compte plus de racistes que l'ensemble de la société. A noter qu'ils ne sont pourtant que 16% à avoir eu à faire à la police (soit moins que la population globale).
En conclusion, voilà une étude qui révèle des chiffres qui sont intéressants. Démontrant d'une part l'influence que peuvent avoir les médias quant à l'avis que peut avoir la population sur la police. Pourtant, il me semble qu'il conviendrait, pour être au plus juste, de disposer de chiffres qui tiennent compte d'autres critères: l'usage du service public, c'est à dire qu'il soit demander à ceux qui ont eu à faire à la police qu'il jugent leur contact (même si on imagine bien que ceux qui se sont fait interpeller, par exemple, on de facto une image plutôt négative, dans une grande proportion). Mais qu'en est-il des personnes ayant déposé une plainte? De ceux qui se sont fait contrôler, au-delà du simple fait négatif que que peut avoir le fait de se faire verbaliser,, lorsque c'est le cas, estiment-ils avoir eu un contact respectueux? Même question pour ceux qui ont fait appel à la police en détresse.
Enfin, si cette enquête, ainsi que la note de M. Farde, mettent l'accent sur les représentations négatives, vis à vis de la police, l'on peut également se poser la question à l'inverse. D'où viennent les représentations positives des 77% qui n'ont pas eu à faire à la Police.
Enfin, et ce sera mon dernier Mô, j'aurais cette tendance, plutôt qu'à me dire que "la majorité des français ont confiance" dans leur police, à me demander "que faut-il faire pour convaincre les 31% qui n'ont pas confiance. En 2021, la France compte 67.422.000 habitants (source Insee). Ainsi, si l'on projette les chiffres du sondage, il y a tout de même 20 900 820 personnes qui n'ont pas confiance en leur police. Et il n'y là pas uniquement des "opposants de fait" à la police et/ou des délinquants.
Et moi, c'est ça, qui m'interpelle.