C’est en 2018, que je fais la connaissance, par télé interposée, de Linda Kebbab. Syndicaliste nationale Unité SGP Police. Je la remarque au détour d’un certain nombre d’interventions média. Et je vois là une forme de bouffée d’oxygène dans le monde du syndicalisme, et notamment celui qui est visible médiatiquement. Et je me fais cette réflexion que l’on a trouvé quelqu’un qui porte bien la voix des policiers en France, à l’instar de Nicolas Comte qui était, fin des années 2000, un très bon défenseur, avec une hauteur de vue sur la société, intéressante.
Et puis, les mois passent, mon enthousiasme retombe ; la crise des gilets jaunes arrive, et je vois Linda Kebbab qui, sans s’en rendre compte, selon moi, s’est prise au jeu de la médiatisation.
Ayant un « accès » sur les réseaux sociaux, je lui fait part de ma déception, tant l’attente que j’avais placé en elle était grande. Nous nous brouillons. Cela dure plusieurs mois.
Et puis, à l’été 2020, le hasard fait que nous sommes à la même tribune des universités d’été du Parti Socialiste, à Blois. Je ne sais, si, ce jour-là, elle sait qui je suis, mais nous discutons, avant la table ronde, de façon cordiale, posée.
Et puis, se déroule cette table ronde, au détour de laquelle la syndicaliste intervient. Avec un discours à propos duquel je n’ai absolument strictement rien trouvé à redire. Juste, sans défense pure et dure de la police ; je lui reconnais là une capacité de réflexion et de voir un peu plus loin que ce que j’avais vu en média quelques mois auparavant.
Et puis arrive ce mois de décembre 2020. Je cherche à contacter un certain nombre de syndicalistes. Je lui envoie un mail. Un message privé via les réseaux sociaux. Je ne m’attends à aucune réponse, depuis que nous nous sommes quelque peu escarmouché.
Et puis contre toute attente, je reçois un sms, une réponse par mail. Nous décidons d’une conversation téléphonique dans les jours suivants. Celle-ci durera plus d’une heure. Avec, sur le fond, des désaccords, mais aussi des points de vue qui se rapprochent. Et j’entends Linda Kebbab me dire, plusieurs fois « mais ça, je l’ai écrit dans mon livre ».
J’avoue ne pas lire trop de livres sur la police en cette période ; j’essaye précisément, en lisant, d’en sortir un peu. Mais, chiche, le lendemain matin, j’achète ce livre.
C’est donc le premier ouvrage que j’ai lu, en cette année 2021. En une demi-journée. Et, là encore, je suis surpris. Je m’en excuse auprès d’elle, si elle me lit.
J’ai découvert dans ce livre la personnalité de Linda Kebbab. La façon dont elle s’est construite. La façon dont est née la policière, et plus avant, la syndicaliste. Pétrie de son éducation, de l’exemple insufflé par ses parents, plutôt que de baisser les bras, elle a choisi de se battre. Dans sa vie privée, d’abord. Comme policière, ensuite. Et comme syndicaliste.
J’ai revu dans ce livre un certain nombre de problématiques que rencontrent les policiers. Ils s’appellent Christophe, Alain, Karim, Ryad, Alexandre, Eric, ou encore Monique. Cet ouvrage, c'est aussi celui des difficultés auxquelles sont confrontés les policiers, chaque année. Toutes. De ceux qui sont amené à loger dans leur voiture à ceux qui éprouvent des difficultés avec leur hiérarchie, ou encore qui choisissent, à bout, d'en finir.. De la difficulté du combat syndical. Et ces combats, au premier rang desquels il s'agit de livrer bataille... contre les délégués... de son propre syndicat, avant même de parler des autres. Et puis aussi, le combat d’une femme. Nous sommes en 2021, et nombre de celles qui ont gravi un certain nombre d’échelons se voient toujours, à un moment donné de leur parcours, attaqué dans ce qu’elles sont. Ou plutôt, ce qu’elles ne sont pas : des hommes.
Et à travers de ce livre, je vois celle qui met un point d’honneur à s’habiller comme elle le veut, à mettre du vernis sur ses ongles. Et l’assumer, se ficher de ce qu’on peut dire sur elle. Et à cet instant, je la comprends. Parce qu’il s’agit de ne pas céder aux remarques caricaturales. De laisser de coté (au moins en apparence) les moqueries et se montrer forte, et donc de ne surtout pas changer au gré des critiques, blagues que l’on peut entendre quand à son style. Parce que ça serait une forme de défaite, d’asservissement à la critique. Et peut-être, en quelque sorte, leur donner raison.
Je ne saurais donc que recommander la lecture de cet ouvrage. Principalement aux non-policiers, même si les collègues y apprendront certainement sur ce que peut représenter l’engagement syndical, peut-être en mettant de coté quelques clichés.
Ce conseil de lecture ne signifie pas pour autant que je suis en accord avec tout ce qu’exprime Linda Kebbab ; notamment certaines analyses de la police, ou de la société. Mais peut-on seulement être en accord total avec une personne ? Probablement que non. Je suis, par exemple, en total désaccord lorsqu'il s'agit de sous-tendre une justice "qui les relâche toujours", pour ne pas dire "laxiste"; précisément parce qu'avant tout, ce dont manque la justice, et on ne le dira jamais assez, c'est de moyens. Une fois qu'elle aura ce qui est nécessaire pour fonctionner, alors on pourra parler du fond, et avoir une analyse des plus proches de ce qu'il conviendrait d'avoir. En attendant, non. Les magistrats, greffiers, et autres personnels de justice font ce qu'ils peuvent. Avec ce qu'on leur donne. C'est à dire pas grand chose.
Pourtant, à travers cet ouvrage, c’est la sensibilité même de ce qu’est être « gardien de la paix », des valeurs qui poussent à agir, se dépasser pour les autres, pour ce métier, que je retrouve. Des points communs que je me trouve avec ce qu’exprime Linda Kebbab. Dans ce qui a fait d'elle une policière, et dans son engagement syndical ensuite.
Bref, un parcours qui est, selon moi, tout à son honneur. Parce qu’il est le fruit de sa persévérance, de sa motivation. Et même si je suis toujours en désaccord avec certaines sorties médiatiques, je me dis que nous avons probablement plus de points communs qu’il n’y parait. Et surtout, avec le recul, je crois qu’il est bien plus difficile de juger une personne sur des apparitions de 20mn dans lesquelles on peut faire 3 interventions de 50 secondes, qu’à la lecture d’un récit que l’on a construit, et dans lequel on peut développer ce qui nous anime, le « pourquoi » on veut se battre. Le mot qui revient probablement le plus souvent est celui de "empathie". Et, au-delà des phrases où il est cité, ce livre respire bien cela.
Et ça, on ne l’enlèvera pas à Linda Kebbab.
« Ma pierre a toutefois une petite particularité quelque part sur son flanc court une légère faille. Les fissures de mon histoire dessinent le profil de mon père et de ma mère, elles parlent de la fragilité de l’être humain que je suis. Une fragilité que j’ai mise au service du collectif : sur ma terre, nourrie de quelques larmes versées, ont grandi les germes de l’empathie. Du mieux possible, je l’offre aux bénéficiaires de mon engagement : les policiers. Une façon, peut-être, de tisser du lien avec une autre famille ».