"Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Voilà la rédaction actuelle de celui qui est devenu le "fameux" article 24 de la loi dite "sur la sécurité globale", portée, entre autres, par les députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, Duo de parlementaires déjà à l'origine du rapport "D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale". Autrement dit, un texte dans la continuité, sans mauvais jeu de mots.
Voilà donc un article qui éclipse finalement le texte dans sa globalité. En tous les cas, médiatiquement. Cet article porte à la controverse, et voit un certain nombre d'opposants pointer du doigt les dispositions de cet article, lequel serait un coup porté aux libertés publiques. Au premier rang, plusieurs sociétés de journalistes, de plusieurs médias, à l'origine d'une tribune, publiée par le Journal "Le Monde". Parmi eux l'AFP, Le Figaro, Libération, M6, Le Parisien. Soyons clairs, nous ne sommes pas là dans le cercle de ce que l'on pourrait appeler le journalisme militant, comme on pourrait en dire d'autres organes de presse.
A y regarder de près, l'on sent même une nuance entre le texte tel qu'il est défendu par les parlementaires, et le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lequel est largement poussé par les syndicats de Police, en même temps que cela lui permet de surfer sur sa droite et, finalement, retrouver ses amours d'une jeunesse pas si lointaine que cela. Le député parlant de floutage, là où le ministre ne fait pas de distinction.
A l'origine de ce texte, les policiers. Voilà plusieurs mois que nombre d'interventions finissent sur les réseaux sociaux, que l'intervention soit, ou non légitime, peu importe. Les insanités, au détour des images, sont légion. Et, là aussi, disons-le, trop souvent, le fait de filmer une intervention est aussi une source de nervosité dans le cadre d'une intervention de police. Sans qu'elle ne vienne nécessairement des policiers.
Et puis, il y a cette crainte, profonde, coté policier, que ces images aient des conséquences dans le cadre de leur vie privée. Pour eux-mêmes, certes, mais surtout, pour leur sphère familiale, privée. Que peut-il advenir lorsqu'un voisin, portant peu d'égard vis à vis de l'uniforme et de la fonction, vient à découvrir la profession du voisin du dessous, croisé au détour d'un site internet, lequel diffuse une vidéo d'interpellation? Que pourrait-il advenir pour son épouse, ou ses enfants?
Alors, soit-dit en passant, l'on ne connait pas la réalité du phénomène. Combien de policiers ont déjà connu des problèmes, dans leur intimité, du fait de la une diffusion de leur visage sur les réseaux sociaux, ou de façon plus large, sur internet? On sait qu'il peut arriver que les policiers, sur leurs jours de repos, puissent être pris à partie par une ou plusieurs personnes les ayant reconnus. Mais il s'agit là d'un phénomène tout à fait différent.
La question que l'on est en droit de se poser, alors que ce texte doit être voté, serait de savoir combien de faits ont effectivement été recensés, et auraient pu faire l'objet de poursuite en vertu du nouvel article? Nul ne le sait. Pas même le ministère de l'Intérieur, lequel reconnait qu'il ne dispose d'aucune statistique. Autre question: Quelles situations seront ici couvertes, qui ne l'auraient pas été par des infractions déjà existantes, prévues par le Code Pénal? Ce sont, il me semble, des questions importantes, au risque de n'avoir un texte de loi, créant une infraction, sans que cela ne réponde à une réalité, et un réel besoin. Juste alors porté pour se mettre les syndicats dans la poche.
Pourtant, il n'est tout de même pas totalement fou que de se préoccuper du sentiment des uns et des autres. Ne fait-on pas des sondages, toute l'année, permettant de mesurer le "sentiment d'insécurité" des français? Ne parle-ton pas, non plus, du sentiment que peuvent avoir certains d'avoir fait l'objet d'un contrôle au faciès? Il ne s'agit pas ici, pour moi, d'en discuter la réalité, ça n'est pas le sujet. Tout ça pour dire que, si, ici et là, on prend en compte les craintes, et les sentiments des uns et des autres, pour quelle raison ne pourrait-on pas écouter celles des policiers? Et si, demain, survenait un drame, au cours duquel un policier, ou sa famille, était victime de l'une de ces vidéos diffusées sans aucune nuance, sur internet? Au-delà du drame dont pourrait être victime la famille, que ne dirait-on pas de nos décideurs qui n'auraient pas écouté leurs policiers? Quel message cela pourrait-il envoyer?
Mais voilà, s'il faut entendre cette crainte des policiers, il faut aussi entendre celle des journaliste, eu égard à la liberté d'informer.
Si je ne crois pas en ce que la portée de l'infraction soit d'empêcher les journalistes, ou toute autre personne, de filmer des policiers qui commettraient des violences illégitimes, à l'inverse, l'argument que je peux entendre, est celui par lequel l'on voit déjà, et il ne s'agit pas de cas isolés, des policiers enjoignant un badaud de ne pas filmer avec son téléphone, au motif qu'il n'en n'aurait pas le droit. Et pour cause, à ce jour, rien n'empêche qu'un policier en intervention soit filmé (sauf cas exceptionnels touchant à la lutte contre le terrorisme), tout comme rien ne l'empêche de diffuser la vidéo sur quelque site ou réseau social qu'il soit. Et il s'agit là de consignes largement relayées par la Direction Générale de la Police. Et pourtant, ça existe.
Et cette crainte, que je peux entendre, est que, un peu plus encore, des policiers jouent de ce texte pour demander à ne pas être filmé. Nous aurons beau jeu d'en discuter à froid, de faire intervenir des syndicats de presse, d'enjoindre le chef de service de porter la bonne parole. Combien d'images n'auront, entre temps, pas été prises?
Pourtant, au-delà des craintes, des uns et des autres, cette situation mérite que l'on cherche un peu plus loin que le texte en lui-même. Qu'est-ce qu'il se cache derrière ces craintes journalistiques, finalement? D'où viennent-elles? Qu'est-ce qui les encourage?
Il est bien question, ici, de la confiance. D'une confiance pour le moins entachée. La confiance, pleine et entière, qui doit être portée à l'organisme de contrôle des forces de l'ordre. Ici, en l'espèce, l'IGPN.
Que seraient ces craintes s'il n'y avait aucun doute quant à la pleine et entière transparence de cet organe? Là aussi, il n'y a pas de traduction à avoir de mes mots; il n'est pas question de remettre en cause le travail des policiers qui sont dans ce service. Mais plutôt de son organisation, des moyens qui lui sont alloués, et l'indépendance de la hiérarchie, vis à vis des autorités de tutelle. Mais l'on peut aussi parler du RIO. Combien d'images a--t-on pu voir, de policiers, lesquels ne portent pas ce numéro, pourtant obligatoire? Et derrière, une absence totale de sanction quant à la non application de ce règlement.
Aussi, si chacun avait confiance dans l'organe de contrôle qu'est l'IGPN, il serait rassurant de se dire que, de toutes les façons, les images seront traitées par les autorités (et à titre personnel, je crois que c'est le cas). Sauf que cette confiance, aujourd'hui, fait défaut, au moins sur une partie de la population. Et, disons-le clairement, il ne s'agit pas spécifiquement d'une population qui serait hostile, par principe, à la police. Mais bien de citoyens qui se posent des questions.
Voilà donc d'où vient ce manque de confiance, et la difficile acceptation, par tous, de ce qui pourrait, en réalité, paraitre comme "sans risque", si de l'autre "coté", tout était fait pour que la confiance soit au rendez-vous.
Pourtant, il faut également le souligner, il est un certain nombre d'opposants politiques, assumés ou non, qui, volontairement, ajoutent de la mauvaise foi au texte, tel qu'il existe. Dans leur bouche il n'est nul question de crainte, ou de possibilité, non. Ce serait une volonté que de museler toute personne qui filmerait des policiers dans le cadre d'un usage de la force disproportionné. Et ces opposants de citer nombre de cas qui n'auraient, selon eux, pas vu le jour. Alors même que tout ça est parfaitement inexacte. Toutes ces affaires, qu'elles soient jugées ou non, en seraient exactement au même endroit, si les visages des policiers étaient juste floutés, une fois diffusés.
Parce que c'est bien de cela dont il s'agit. Rien n'interdirait de filmer une intervention. Et rien n'interdirait de la diffuser. L'infraction ne sera caractérisée que s'il est démontré que la diffusion a eu pour finalité de porter atteinte aux policiers, de par des éléments d'identification; comme peuvent l'être leurs visages.
Et cet là que l'on parle de procédure. Il ne s'agira donc pas, ici, d'empêcher de filmer, puisque c'est à compter du moment où la vidéo sera diffusée, que l'on pourra discuter du caractère attentatoire, porté aux forces de l'ordre, par le biais de cette diffusion. C'est donc à partir de la diffusion que l'enquête pourrait démarrer. Donc, en amont d'une mesure de coercition.
Et qui dit enquête dit nécessairement magistrat. Lesquels, pour valider une interpellation, auront donc eu le loisir de voir la dite vidéo en amont, et d'avoir un premier avis quant à la portée de l'atteinte. Et, seulement à cet instant, des mesures coercitives pourront être envisagées.
Ainsi, le bien fondé de ce texte, son respect, et surtout son acceptation par la société, par les citoyens dépendront, avant tout, de l'usage qu'en feront les policiers. Puis, de l'instance de contrôle qui serait saisie d'abus. Mais aussi, enfin, des magistrats qui seront chargés, comme c'est déjà le cas, du contrôle de l'activité de la police, notamment par le biais des procédures qui leurs sont confiées. A chacun de jouer sa partition, dans le rôle qui est le sien.
Mais que cela ne nous empêche pas de parler de la confiance, et de la ou des façons qu'il y aurait, de l'améliorer. Parce que, là il n'y aura pas de doute, ce texte ne changera rien à ce niveau-là. Alors même que c'est probablement le souci majeur rencontré ces derniers mois.
Mais là, on parle dans le vide. Pour qu'il y ait un dialogue il faut être deux. Et le second ne veut rien entendre.
Dernière précision. Cet avis n'engage que moi. Comme tout ce qui parait sur ce blog. Cela va sans dire, mais c'est mieux quand c'est dit.