Du prétendu laxisme de la justice

Savigny sur Orge, le 14 Octobre 2020, un policier renversé par le conducteur d'un véhicule volé; un policier dans le comas.

Champigny sur Marne, nuit du 10 au 11 Octobre; une quarantaine d'individus s'en prennent au Commissariat, tentant d'y pénétrer, le batiment étant la cible de tirs de mortiers d'artifice durant plusieurs minutes.

Herblay, le 07 Octobre 2020, deux policiers, enquêteurs, sont en surveillance. Ils sont surpris par plusieurs individus qui leur volent leurs armes et leur tirent dessus. 2 policiers dans un état grave.

C'est un fait. Depuis plusieurs semaines, les policiers sont, non seulement la cible, mais bel et bien touchés par des faits graves. L'été dernier n'ayant pas été en reste avec le nombre de conducteurs ayant tenté de renverser des gendarmes, ou des policiers, en prenant la fuite, refusant le contrôle.

Le premier sentiment qui est le mien est la peine. Pour ceux qui sont gravement touchés. Et leurs familles. Leurs collègues proches.

Bien évidemment, j'attends, comme chaque policier, pour chacune de ces différentes affaires, que les auteurs soient identifiés, interpellés, et remis à la justice.

Au-delà de cela, j'ai du mal à avoir, une fois de plus, des certitudes. Je vois, plusieurs fois par jour, nombre de policiers, ou leurs "soutiens" parler de laxisme judiciaire. Mélanger plusieurs notions. Le "sentiment d'impunité"; sentiment selon lequel les auteurs de ces faits, parce qu'ils se sentiraient intouchables, se sentiraient d'une certaine façon, protégés. Et donc, autorisés.

Parce que la justice ne les condamnerait pas.

J'ai tellement de mal avec cette notion.

Qui pourrait imaginer tuer un flic et ne pas être condamné? Sur quelles affaires des policiers auraient été tués, et les auteurs non condamnés? J'aimerais bien les connaitre. Je ne crois pas qu'il y en a.

Oui, lorsque les auteurs seront interpellés, ils seront condamnés. Comme il se doit.

Alors, en suivant ce raisonnement, on peut discuter de ce que la justice, selon certains, ne condamnerait pas assez durement. Que, trop souvent, selon ces mêmes personnes, les peines ne sont pas assez sévères.

A cela, je répondrais ceci. Avant tout, les peines sont, en France, chaque année, plus importantes que l'année d'avant. Je n'invente pas cela, ce n'est pas moi, mais ce sont les études statistiques. Entre 2004 et 2016, le nombre de condamnations de majeurs, pour des délits, a augmenté de 17%. Sur la même période, le volume de condamnation à de la prison ferme, prononcés par les tribunaux correctionnels ou les cours d'appels, a augmenté de 32%, pour arriver à plus de 87.300 années de prison, en 2016. Qu'il s'agisse du nombre de condamnations (+22%) ou sur le quantum de la peine (+10%).

Alors, j'entends bien que ce ne sont que "des chiffres", et qu'ils ont tendance à nous éloigner du réel. De la dure réalité. De ces collègues, durement touchés. Qui y laissent parfois leur vie.

Pourtant, ces chiffres montrent une réalité. Il n'y a pas de laxisme, en France. Les magistrats sont de plus en plus répressifs. C'est une réalité.

Pourtant, tout n'est pas parfait. Loin de là.

Il n'est pas normal qu'une condamnation correctionnelle intervienne plusieurs mois, voir parfois plusieurs années, après les faits. Quel sens donner à une condamnation? Et il en est de même, lorsque l'on parle de justice des mineurs. Comment expliquer de façon rationnelle, à un ado... comment pourrait-il comprendre une décision rendue plusieurs mois après son interpellation? Que va-t-il se passer entre temps? Qu'aura-t-on fait pour l'empêcher de réitérer? Parce que c'est bien là que se pose la vraie question: lutter contre la récidive. Mais que fait-on, en France, pour cela?

Et ce n'est pas, ici, la faute des magistrats. Notre pays est de ceux qui a le budget alloué à la justice des plus faibles en Europe. Lorsque l'Etat dépense 1000 euro d'argent public... 4 vont à la justice. 4.

Combien de centaines de postes de greffiers sont vacants? Combien de centaines de dossiers chaque magistrat doit-il gérer? Mais ça, les policiers le voient, dans les unités d'inverstigation. Ils vivent la même chose, avec toutes les procédures en cours. Le problème est exactement le même de l'autre coté.

Quels suivis peuvent effectués par les services d'insertion et de probation, alors qu'ils sont en sous-effectif chroniques. Tous. Avec, eux aussi, une masse de travail bien trop importante pour qu'il soit fait comme il devrait l'être !

Quel travail peuvent rendre les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, lorsque, là aussi, tous les agents sont exsangues.

Et il en est de même pour les juges pour enfants.

Voilà les vrais responsabilités. Voilà là où il faut chercher. Le jour où ces services auront les moyens de travailler, là on pourra peut-être critiquer le fond. Là on pourra se demander si, oui ou non, chacun fait bien son travail. Mais comment voulez-vous avoir une critique constructive à l'endroit de personnels qui sont les premières victimes du manque de moyens! Ils sont les premiers touchés. Les premiers à vivre cette difficulté. Combien ai-je pu voir de magistrats, ces derniers mois, être totalement dépassé par la masse de travail? Emmener des dossiers chez eux, pour les travailler le soir. Les week-end. En vacances. A quelles heures, parfois, se terminent les audiences, et notamment de Comparution Immédiate? Quelles horaires font les greffiers, au niveau de recrutement qui est le leur, et pour le salaire qui est le leur?

Je vous l'assure. Ce monde de la justice a exactement les mêmes problématiques que la police. Il fonctionne par la bonne volonté, et la motivation de ses agents.

Alors oui, on peut ne pas être d'accord avec telle décision. Oui. Je le suis parfois. Oui, il peut y avoir des problèmes avec certains magistrats. Qui ne sont pas bons. Qui ne travaillent pas. Ou peu. Qui ont peut-être, parfois aussi, des idées politiques qui prennent bien trop de place dans leur raisonnement. Mais tout ça, c'est partout ! C'est bien le cas, aussi, dans notre propre institution. Les mauvais, les fainéants, il y en a partout !

Pourtant, j'ai acquis une (des rares) certitude. Chacun doit faire son métier. Avec le plus grand professionnalisme qui soit. Chacun à sa place, du mieux qu'il peut, avec les moyens qui sont les siens, dans le rôle qui est le sien. Le principe même du magistrat est d'être celui qui prend en compte, d'un coté une enquête de police (ou de gendarmerie) et de l'autre, des éléments apportés par la défense. Il juge tant sur les faits que sur la personnalité qui lui est soumise. En prenant en compte une potentielle réinsertion. Mais aussi, où il y a une forme d'hypocrisie, il doit faire avec les moyens de l'administration pénitentiaire. C'est à dire le nombre de place en prison. Aussi, lorsque l'on sait que les prisons sont saturées, les quelques places restantes doivent être dévolues au cas les plus graves.

Mais la prison, parlons-en, aussi. Tous. Tous les policiers le savent. Le vivent. Celui qui rentre en prison comme voleur a des chances d'en ressortir braqueur. C'est une réalité que de dire que la prison est, aujourd'hui, un endroit où l'on fait des rencontres. Et pas nécessairement les bonnes. Un facteur de délinquance en plus.

Quel doit être l'utilité d'une peine de prison, aujourd'hui? La peine de prison doit poursuivre trois objectifs: tout d'abord punir l'auteur d'une infraction en le privant de liberté. Ensuite, protéger la société, durant un laps de temps puis, enfin, dissuader l'esprit du condamné de recommencer.

Mais à quel moment on protège la société, si celui qui entre ressort plus violent qu'il ne l'était avant? Quelle dissuasion peut-on avoir?

Alors oui, durant un temps, la personne est privée de liberté. Dans un endroit où rien ne se passe. Ou alors, peu de choses. Où l'on ne prépare absolument pas à la réinsertion. Un endroit où l'on ne cherche absolument pas à faire bouger les ligne.

Et je ne parle pas des problèmes d'insalubrité, qu'il peut y avoir. Ni de la surpopulation carcérale.

Est-ce que les magistrats sont comptables du fonctionnement des prisons? Je ne crois pas.

Ensuite, je crois que c'est une erreur que de penser que parce qu'une peine sera plus importante, elle aura un effet dissuasif. Il n'y a qu'à voir les infractions importantes, de criminalité organisée, dont les peines sont très importantes... est-ce que pour autant, elles sont dissuasives? Non.

Ce qui doit l'emporter, plus que tout, c'est la certitude d'être interpellé et sanctionné rapidement, qui doit prédominer. C'est bien cette peur, qu'il faut rétablir. Mais pour cela, il faut des ambitions, et des moyens.

Les responsables de tout cela sont bel et bien les politiques. Ce sont eux qui allouent les moyens. Eux qui laissent chaque jour la justice être de plus en plus exsangue. De la même manière que peuvent l'être les services de police.

Parce que, quoi qu'il disent, quelles que soient les gesticulations, les bonnes paroles, il n'y a que très peu d'intérêt vis à vis de la justice.

Et l'on peut aussi parler de ces hommes politiques, de tous partis confondus qui, lorsqu'ils sont visés, instrumentalisent la justice. Pour, là encore, la décrédibiliser à leurs fins. personnelles .

Alors après, on peut parler d'un autre sujet. Et là, pour le coup, j'ai tendance à comprendre.

On peut parler, comme j'ai pu l'entendre, ce jour, un policier à la radio, de ce qui formate un policier à ne surtout pas utiliser son arme, y compris en légitime défense. Du fait des conséquences administratives. Judiciaires. Potentiellement des émeutes, et tout le balai médiatique.

Alors oui, dans une certaine mesure c'est heureux.

Heureux que les policiers ne soient pas des cow-boy, tirant sur tout ce qui bouge.

Pourtant, oui, lorsque l'hésitation conduit à ce qu'elle les mette en péril, eux-mêmes, ou leurs collègues, voir des citoyens, c'est qu'il y a un problème.

Oui, les policiers se sentent, aujourd'hui, en insécurité. Parce que oui, dans un coin de la tête, faire usage d'une arme, c'est aller au devant des problèmes. Y compris lorsque l'usage est justifié. Des problèmes pour soit. Mais aussi, potentiellement, pour toute sa famille. Et qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit. Bien évidemment que pour un usage d'arme, et à fortiori encore plus s'il y a blessé ou décès, il doit y avoir une enquête. Il en va de l'Etat de droit dans lequel on est.

Pourtant, il faut aussi, d'un autre coté, comprendre cette incertitude dans laquelle se retrouvent les policiers, pendant plusieurs années. Et tout ce qui pèse alors, sur toute leur famille.

Et cette insécurité, elle ne vaut pas que pour l'usage de l'arme. Elle est bien plus prégnante. Au quotidien. La forte critique des derniers mois a cet effet que de semer le doute. Y compris lorsque les choses sont bien faites.

La critique, constructive, devrait avoir pour effet, de faire réfléchir sur les pratiques. On parle alors de réflexivité. Sauf qu'aujourd'hui, il y a peu de choses constructives. Tout est exagéré à souhait. Il faut être "pour" ou "contre". Le blanc ou le noir. Le bien (chacun se croit dans le camp du bien) ou le mal (c'est les autres). D'un coté ceux qui disent que tout est pourri, et de l'autre, ceux qui disent que tout va bien.

IL y a là, en ce qui concerne l'usage de l'arme, un équilibre à trouver. Entre la nécessaire enquête, mais aussi la protection juridique du policier, au moins tant que la décision de justice n'est pas rendue. Auquel cas, d'autres questions doivent se poser.

Mais oui, rien n'est simple. Il ne peut y avoir de réflexion "simple", de mesure magique, à des problématiques complexes.

Et c'est, là encore, un nouveau problème politique. Il faut, aujourd'hui, des réponses rapides, des solutions toute faites. Sans aucune réflexion à moyen terme (ne parlons pas du long terme). Tout est fait dans l'urgence, en réponse à un fait divers. Sans analyse. Sans réflexion. Pour assurer la com.

Voilà ce que je tenais à dire ce matin. En m'adressant plus particulièrement à mes collègues. Ne vous trompez pas de cible. Les magistrats, et de façon plus générale, les corps de justice, sont derrière la police. Ils ne sont pas des ennemis. Ils ne cherchent à protéger personne. Simplement, ils font le travail qui est le leur. Avec ce qu'on leur donne pour fonctionner. C'est à dire pas grand chose.

Les responsabilités sont bel et bien ailleurs.

Enfin, pour terminer, j'espère, plus que tout, que ces collègues gravement blessés ces derniers jours, s'en sortiront. Et avec le moins de sequelles possible.