Le retour du petit Nicolas

Nous étions au mois de Juillet. A peine Christophe Castaner avait-il fini ses cartons, pour laisser la place à son successeur, que les journalistes posaient la question « alors ? vous en pensez quoi, du nouveau ministre ? ».

Il n’y avait alors pas de réponse à apporter, tant l’homme nous était assez peu connu. La presse relatait l’empressement du nouveau ministre à rejoindre ce poste, ainsi qu’une affaire judiciaire dont l’enquête était toujours en cours.

Cela posait bien évidemment question quant au principe de sa nomination ; mais il était bien trop tôt pour juger de son action, de la ligne de conduite qu’il adopterait.

J’avais, de mon coté, relevé quelques phrases qui m’étaient apparues comme « clé », dans son discours de passation de pouvoir. Et je trouvais que l’arrivée d’un ministre délégué à la citoyenneté était plutôt une bonne idée. Restait à savoir quel serait son champ d’action.

Nous voilà donc, deux mois plus tard, et cela reste un peu court pour apporter un jugement définitif, mais ces quelques semaines ont pourtant déjà bien tracé les lignes de ce qu’il semblerait être la « ligne de conduite Darmanin ».

Tout d’abord, à l’attention directe des policiers, un « soutien sans faille » lorsqu’un policer est blessé dans le cadre de ses fonctions. Ça ne coute rien (au ministre), c’est tout de même le « service minimum » en pareille circonstance.

Il s’est donc agi, dès le début de se « mettre les policiers dans la poche », avec beaucoup de déplacements dans les services. A l’image de celui fait, avec le Président de la République, au cœur de la capitale, auprès des effectifs travaillant de nuit. Dans la poche, une annonce de la revalorisation des primes de nuit, à hauteur de 10 millions d’euro. Une augmentation horaire de quelques centimes, lorsque l’on sait que l’heure est payée moins d’un euro en plus, par rapport à un cycle horaire plus « classique » (allez trouver une corporation si peu payée pour travailler de nuit). Pourtant, en termes de pouvoir d’achat, pour les policiers, tout est relatif. Avec l’apparition des nouveaux cycles horaires (qui font 12 heures, pour les nuiteux), si la durée de travail par jour est plus longue, sur l’ensemble d’un mois, ils font moins de nuit. C’est, de fait, une perte de pouvoir d’achat. Cette mesure vient donc à peine compenser cette perte horaire. Gain probable, en moyenne ; moins de vingt euro.

Mais, la perte la plus importante, ici, est bien le risque porté sur la santé, que de travailler 12h en une vacation. Sans compter le temps de trajet de retour au domicile, mais surtout les potentielles heures supplémentaires, lors d’une affaire qui se déclencherait quelques minutes avant la fin de vacation. Deux risques en un : la santé, sur le long terme, mais aussi, au quotidien, le risque accidentogène.

Bref, cette revalorisation n’est qu’affichage, au mépris de la santé des fonctionnaires.

Est alors survenue la rentrée, et le tout nouveau ministre n’a pas manqué la sienne. Il a eu le temps de réviser, cet été, la mise en place de l’Amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiant.

On entre ici dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, dont on sait quelle a été son efficacité depuis trente ans. Soyons clairs, des policiers qui écument l’océan avec une petite cuillère. Alors certes, le dispositif « stup » est bien plus vaste que cette seule AFD, avec, notamment, la création du tout nouvel Office Anti-Stupéfiants (OFAST, qui a été créé sur les braises de l’ancien OCRTIS). De ce point de vue, nous ne pourrons juger de l’efficacité de ce nouveau service que dans quelques mois, une fois qu’il aura trouvé sa méthode de fonctionnement, et trouvé un rythme de croisière.

Concentrons-nous sur l’AFD.

Cette amende forfaitaire pourrait avoir une vertu ; celle de désengorger les tribunaux, lesquels voient passer un nombre très important de consommateurs de stupéfiants, pour lesquels il y a un temps de traitement très important, au regard du résultat possible, et de l’efficacité. Lorsque l’on sait les difficultés de la justice à recouvrer des affaires dans des délais normaux, eu égard aux faibles moyens que sont les siens, l’on peut se dire que c’est une bonne chose.

Pourtant, à y regarder de plus près, tous les consommateurs interpellés ne pourront pas faire l’objet de cette amende. Les conditions d’applications sont restreintes : la personne à l’encontre de laquelle on peut délivrer une AFD ne doit pas être à l’origine d’une infraction connexe (un outrage, un port d’arme,…) ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’une telle amende dans l’année, doit avoir une bonne compréhension du français, et voir son identité confirmée. Et en ce qui concerne la choix de la limite de la quantité, c’est-à-dire celle qui départage l’AFD et l’interpellation, avec possible placement en garde à vue, ce sont les parquets qui, chacun, fixent la leur.

Autant de critères qui restreignent donc l’usage de cette nouvelle amende forfaitaire. Et donc, tendent à amenuiser le premier effet que l’on pourrait attendre, au moins sur l’encombrement de la justice.

Mais cette AFD entraine avec elle d’autres effets. Et ceux-là ne sont pas rassurants, c’est le moins que l’on puisse dire. Soyons clair, imager un seul instant que ce dispositif conduira à réduire l’usage de stupéfiants en France est une vue de l’esprit, voir un mensonge.

Mais, pour se convaincre de l’utilité du dispositif, le ministre a fait le choix « d’encourager » les policiers. En leu fixant des quotas. C’est-à-dire en leur demandant des résultats. Chiffrés.

(source : compte twitter du syndicat de police « Alliance » : https://twitter.com/alliancepolice/status/1306559469007048706 )

Voilà donc le retour, à grands pas, de la « politique du chiffre ».  Celle où l’on juge l’activité de police par les seuls critères de répression de la délinquance. Une politique par laquelle le risque est d'augmenter la pression quant aux contrôles d'identité, dans le seul but de trouver le "shiteux" et satisfaire la demande politique. Contrôles d'identité dont on sait la problématique existante déjà dans certains quartiers populaires. Alors même que l'on se pose des questions quant au fossé qui s'est creusé entre une partie de la population et la police. En somme, de quoi continuer à creuser.

Une politique dont on sait, quinze ans plus tard, qu’elle n’a, non seulement pas fonctionné, mais qu’elle a ancré la police nationale, dans une crise profonde. Certes, ce n'est pas le seul facteur, il y a eu des circonstances (attentats, mouvements sociaux d’ampleur). Mais l’on pourrait attendre de la classe politique qu’elle tire les leçons du passé, mais il n’en est rien.

Et là, on pense de suite à un ancien ministre de l’intérieur, avec lequel la presse s’était rapidement faite l’écho d’une ressemblance, Nicolas Sarkozy. Ce dernier était à l’origine d’une très forte accentuation de cette politique du chiffre.

Seule annonce à peu près positive, il faut aussi le reconnaitre, l'annonce du nouveau schémas national du maintien de l'ordre, avec un certain nombre de mesures qui semblent tendre vers une gestion des manifestations allant dans le bon sens. Nous verrons ce que cela donnera dans la pratique.

A coté de cela, aucune avancée quant au mal-être des policiers, et les suicides qui endeuillent chaque année des dizaines de familles. Aucune mesure par laquelle l'on pourrait imaginer voir poindre un rapprochement entre la police et la population. Un livre blanc dont l'annonce est, semble-t-il repoussée à l'année prochaine.

Et au final, on ne voit que poindre l'ambition de tous ceux qui passent par la place Beauvau, objet de toutes les attentions de ceux qui briguent, à terme, l'Elysée. Peut-être devra-t-on un jour se poser la question de ce quinquennat, voté par erreur, et par lequel un président en action se retrouve très vite à avoir besoin de résultats pour la prochaine élection qui arrive très vite. 5 ans, c'est une durée bien trop courte pour mettre en place une politique, et en jauger les résultats de façon assez précise.

Et si, déjà, cinq années paraissent trop courtes, comment imaginer changer les choses en seulement 18 mois?  Il ne peut y avoir une vision à long terme, sur ce laps de temps. Et le principal problème vient probablement de là.