Une Fois n’est pas coutume, ce n’est pas de police, que je vais vous parler.
Comme ça, naturellement, je crois avoir déjà écrit cette phrase. Ça n’en fait pas une coutume, n’est-ce pas ?
Bref. Non, pas de police, aujourd’hui. Ni de justice.
C’est de médecine, dont il sera question.
Rassurez-vous, je n’ai pas passé, en quelques jours, mon CAP médecin. Bien qu’avec tous les professionnels qui parcourent les plateaux télé, à force, j’ai déjà dû pas mal progresser. Sans compter les « experts »…
Trêve de plaisanterie.
Ce soir, c’est de nos soignants, que je veux parler. Et ce qui me fait vous en parler, c’est simplement le fait d’avoir une conjointe qui en fait partie.
Ce soir, donc, ce que j’ai envie, c’est de vous encourager tous, ou que vous soyez, qui que vous soyez, à envoyer un message de soutien aux soignants que vous connaissez. Ne les appelez pas, ils sont probablement occupés. Et si ça n’est pas le cas, ils se reposent. Juste un SMS, un message WhatsApp, un rien. Mais au fond, un petit rien qui réchauffera leur cœur, j’en suis certain.
C’est déjà le cas, tous les soirs, à 20h, avec les applaudissements, que l’on voit fleurir, ici ou là, aux balcons. A l’image de ce qui se fait déjà en Italie ou en Espagne. Instant de fraternité. Mais allons plus loin. Rien n'est de trop, dans ces cas-là.
La vie est étrange. Il y a un peu plus de deux semaines, je me trouvais sur une plage paradisiaque, à 12000km de Paris. Oh, le « Coronavirus » était déjà bien présent dans nos vies. A vrai dire, la question de savoir si l’on partait en vacances, en ce jour de Saint-Valentin, se posait déjà.
Certes, pour des raisons sanitaires, mais aussi, je dois le dire, pour des raisons familiales, privées, que je ne souhaite pas étaler ici.
Et puis finalement, nous sommes partis. En emportant avec nous 4 masques (sait-on jamais), et quelque médicament, au cas où.
Oui, parce que c’est ça, aussi, que de voyager avec un médecin. Il emmène la moitié de son bureau avec lui, et sa liste de courses à lui, avant de parler maillots de bain, il vous parlera risque sanitaire. Et dégainera une boite à pharmacie.
J’exagère, bien sur. Enfin, un peu.
Et puis, ce voyage. Où je prends connaissance du fait que l’un des premiers « clusters » se trouve à deux pas de chez moi. Précisément où l’une de mes filles est scolarisée.
C’est fou, mais je revois encore ce moment-là. Une soirée au restaurant, à proximité de notre hôtel. Où ma fille de 13 ans me raconte comment l’une de ses copines ne souhaite plus l’approcher. La raison ? Ma fille revenant de Thaïlande, la copine ne veut pas attraper la maladie. La maman de cette copine, ainsi que la grand-mère, par le truchement de leur adolescente de fille, demandent à ce qu’à notre atterrissage, nous prenions contact avec le 15 et allions voir « un spécialiste ». Ma fille commence quelque peu à paniquer, de peur de perdre ses amies, et se sentir rejetée, par le simple fait d’avoir été en vacances, potentiellement au mauvais endroit. La soirée du restaurant se passe entre Snapchat, en donnant quelque argument à ma fille, pour qu’elle puisse faire en sorte que son amie comprenne que non, elle n’est pas un danger. Et puis, c’est la mère de ma fille, en France, qui se chargera d’un petit coup de fil aux parents de la petite, pour leur expliquer de regarder l’actualité.
Et cet instant, il a une cinquantaine de cas en France. Un peu moins en Thaïlande.
Et puis, nous rentrons. Mon amie, médecin généraliste, sait déjà qu’à son retour de vacances, il sera forcément question de COVID19.
Ca ne loupe pas. Mais pas comme j’imaginais. Je crois qu’une des premières choses dont elle m’a parlé, c’est que le stock de masques de son service, qui a été volé. Bref, il leur en reste peu.
De mon coté, dans l'Oise, les écoles ferment. La semaine se passe. A peu près normalement. On est toujours en stade 2, avec des clusters, principalement en Alsace, dans l'Oise et, de mémoire, près de Grenoble.
Ce 13 Mars, nous devons nous voir, avec mon amie, afin de passer le week-end ensemble. Le vendredi, elle sort de réunion « beaucoup de choses dites ; pour les reco, c’est « démerdez-vous. Bisous. ARS ». En gros. Elle ajoute un « c’est stressant ; on va gérer les oxygenodépendants ».
Bon, je vous la fais court, mais lorsqu’un médecin commence à parler, c’est un peu comme écouter une langue étrangère. Enfin c’est mon cas.
Pour l’instant, ils ont l’impression d’être lâchés dans la nature. Seuls. Système D.
Puis je reçois un message « je serais un peu en retard ; j’ai fait toutes les pharmacies de la ville, pour trouver un masque. Mais elles sont toutes en rupture ».
Et puis surviennent 2/3 questions :
- y’a des magasins de bricolage, par chez toi ? on peut aller à Cultura ?
- euh… ben oui, bien sur
Elle m’envoie un gif de « MacGyver », tout en humour. J’ai compris. Elle va donc se fabriquer des masques, pour la semaine prochaine. La liste, donc : du tissu, des élastiques, du fil de couture, et des compresses.
« on n’a pas de quoi terminer la semaine, avec les masques qu’on a ».
Le samedi après-midi, direction une grande surface de bricolage. J’ose à peine demander, de peur de passer un peu pour un con « on cherche des masques ». Je ne me vois surtout pas dire pourquoi. J’imagine bien que de nombreuses personnes sont déjà passées pour la même chose. Acheter un masque de protection contre la peinture, ou le ponçage… Vu que je sais à peine planter un clou, autant vous dire que ces masques sont, pour moi, tout aussi nouveaux qu’un éventuel masque médical, hein. Enfin, à peu près.
Nous parcourons les rayons. Bien évidemment, ce qui devait arriver… arriva.
On se décide tout de même à poser les questions : « même pas la peine de chercher. Il n’y en a plus. Ils ont été réquisitionnés par les services de santé. D’ailleurs, on n’en recevra pas non plus, puisque la fabrication a, elle aussi, été réquisitionné ». Comme ça, c’est clair.
Direction, cette fois-ci, Cultura. La liste de courses.
Une fois rentrés, c’est parti. Atelier couture. Un patron. Des tutos Youtube ou l’un ou l’autre trouvé sur Twitter. Et la voilà partie dans un atelier EMT (les moins de 40 ans ne peuvent pas comprendre).
Le samedi soir, comme un grand nombre de français, nous suivons l’intervention du chef de l’Etat. Le ton change.
Coté médical, elle attend les « préco », comme ils disent, c’est-à-dire les « préconisations » de l’Autorité Régionale de Santé. On suit, à intervalles rapprochés, les mails « DGS URGENT ». Histoire de suivre un peu le fil de l’actualité médicale nationale, voire internationale. L’évolution.
Le dimanche, petit coup de panique. Coup de fil du service. Deux collègues médecins sont déjà atteints. Et elle était au contact de ces collègues en réunion le vendredi. Ça commence mal. Les minutes qui suivent son quelque peu tendues. J’essaie de la rassurer. C’est compliqué. Forcément. Je ne suis pas audible.
Plus de peur que de mal. Après quelques minutes de réflexion, elle rappelle sa collègue. Un truc cloche. Ça débrief par téléphone. Finalement, plus de peur que de mal. Tout va bien. Personne n’est atteint. La pression redescend.
Je la laisse le dimanche après-midi. Je sais que, de mon côté, je suis confiné. Elle sera sur le pont, dès le lendemain matin. On se remémore, rapidement, la chance qu’on a eue de pouvoir partir en vacances.
Son premier message, le lundi matin, arrive à 04h30. Elle est déjà levée. Prête à aller au front. Je saurais plus tard qu’elle était sur place à 06h, pour nettoyer le service.
Le lundi matin, toujours pas de préco » de l’ARS. Elle s’informe, comme tout le monde. Sur les réseaux sociaux. Cela me rappelle tellement la période des attentats où nous étions, nous, policiers, dans les services, sans aucune information. Les seules informations dont on disposait provenaient des mêmes canaux d’information. Alors qu’on pourrait se dire qu’on avait des infos avec un temps d’avance. Mais non. Là, c’est pareil. Les médecins s’informent entre eux, écoutent les médias, lisent les réseaux sociaux.
On parle beaucoup de téléconsultation ; expression à la mode. Mais Doctolib n’est pas fonctionnel pour cela, et les cabinets ne sont pas équipés de webcam. Comme ça c’est réglé. Eventuellement, cela se fait via les applications de Tchat, type Whattsapp. « 8 minutes par consultation », me dit-elle. Juste hallucinant. Il commence à y avoir du monde. Beaucoup de questionnements. De gens qui viennent parce qu’ils croient que…
Ces premiers jours me font dire, de l’extérieur, que rien n’est préparé. C’est de la débrouille. Chacun s’organise un peu, ici et là. Le centre de santé n’est évidemment pas adapté pour recevoir ce genre de problématique sanitaire.
Le midi, c’est un peu de dépit. Les réunions s’enchainent, avec parfois des idées qui vont un peu dans tous les sens. Pas forcément toujours comprises du personnel soignant de première ligne. La vie de la cité commence à s’organiser, les superettes sont prises d’assaut, les files d’attente longent les magasins.
Enfin, sur la pause déjeuner, l’ARS envoie les fameuses « préco ». ; « pas de dépistage, confinement, mesures barrière, et rappeler dans 7 jours en cas de symptômes COVID ».
La journée se termine autour de 19h. Depuis 6h le matin. Les questions qui la traversent « mais, si je vais faire des courses, là, et que je me fais contrôler, il va m’arriver quoi ? je n’ai pas d’attestation de mon employeur… si je dis que je vais m’acheter à manger, ça passe ? pour le confinement, mais on peut être dehors à combien de personnes ? non, parce que là, une fille a fait un malaise, dans la rue, et on était trois filles autour d’elle ».
La rigueur, jusqu’au bout…
Le soir venu, on discute un peu par message. J’essaye un peu d’humour. Histoire, surtout pour elle, de parler un peu d’autre chose. De faire le vide. Reposer l’esprit.
La journée du lendemain commence à nouveau, pour elle, par du ménage. J’ai l’impression que la moitié de son temps est pris par cela. Et, plus tard, nouvelle réunion. L’après-midi, en VAD, son « kiff ». Les visites à domicile… Je ne sais trop ce qu’il s’y passe, secret médical oblige. Simplement, je sais que c’est loin d’être évident. Parfois des menaces, parfois des violences, des patients eux-mêmes. Parfois du vol de materiel. Des gros soucis d’hygiène. J’ai beau voir comment peuvent être certains lieux de vie, pour avoir faire quelques perquisitions épiques… C’est là que je me dis que je serais incapable de faire ce qu’elle fait. Et le tout en quartier populaire…
Le centre commence à s’organiser, ça prend forme. Les patients sont accueillis à l’extérieur, sous des tentes. Heureusement qu’il ne pleut pas. Les soignants s’organisent entre eux, aussi. Pour se rapprocher de leur lieu travail.
Le stress monte, entre soignants. C’est compréhensible. Les télés crachent tous les jours que ça va être la catastrophe. Ils se préparent, psychologiquement. Avec des hauts et des bas. Petit coup au moral dans l’après-midi. Je lui fais parvenir quelques vidéos « à la con ». Toujours pour s’aérer l’esprit quelques instants. Faire sourire, pour reprendre un peu de force, finalement. Chez moi, je suis totalement inutile à la société, même si, paradoxalement, c’est comme ça que je l’aide le plus. Mais là, j’aurais envie de faire plus. Être dehors, sur la voie-publique, avec mon brassard, pour demander aux gens de rentrer chez eux. Mais c’est comme ça.
Le soir, me dit-elle, c’est « à poil de suite en rentrant, aucun contact avec rien. Les vêtements en machine » Ça sera comme ça chaque soir.
Elle me raconte aussi l’attitude de certaines personnes, à l’égard des soignants. Certains commencent à les regarder comme des porteurs de la maladie, n’hésitant pas à les bousculer, dans les couloirs d’immeuble. C’est proprement hallucinant…
Elle connait désormais son emploi du temps pour demain. Ça sera « COVID le matin » et « COVID l’après-midi ». Comme ça…
Pour le moment, les cabinets de médecine générale n’ont pas les cas graves. Ils ont les patients qui sont renvoyés par le numéro vert, les patients qui sont symptomatiques, mais dans des formes, à cet instant, bénignes. Fièvre, toux...
Mercredi. 3ème jour de la semaine. La journée « COVID ». Probablement, me dis-je, la première d’une longue liste. Les patients commencent à arriver. Effectivement beaucoup semblent positifs. Fièvre et toux. Petite colère, le matin. Le local où on lui a demandé de travailler n’était pas propre, pas préparé. Et ça n’inquiétait personne…
Entre l’heure, il faut se rendre d’un bout de la ville à l’autre, pour changer de centre de consultation. Pas de chance. Les bus sont arrêtés. Ça sera donc à pieds. Avec tout son matériel sur le dos.
La journée, dès que je vois un truc susceptible de l’intéresser, je transmets. Au moins, dès qu’elle a le temps, elle peut faire rapidement un point sur les nouveautés, l’actu. Elle me parle aussi des employeurs qui demandent des certificats médicaux à leurs employés déjà fragilisés par d’autres problèmes de santé… ça parait hors sol, tellement l’important est ailleurs… A côté de cela, sa maman, personne âgée, s’est faite bousculée, dans un supermarché. Là aussi, même quand on est à fond au travail, le reste du monde continue à tourner, avec son lot de mauvaises nouvelles. Forcément, ça la travaille. J’essaie de la rassurer. De passer quelque conseil pour sa maman, …
Et puis, en milieu d’après-midi, le petit doute « bon, j’ai la crève, là … Covidee à tous les coups »… Et, juste un peu plus tard, ça monte d’un cran « la pote de ma collègue, elle est en réa, elle est plus jeune que moi, ça se rapproche de nous ».
Tant qu’on est dans l’effort, on ne pense pas aux risques, c’est l’effet tunel. On applique ce qu’on a appris, on est professionel. Et puis, dès qu’on se pose, la vie de chacun rattrape. Les nouvelles arrivent, depuis l’environnement. Pas toujours bonnes. C’est le moment où l’on prend conscience des choses. Et notamment des risques. Forcément, le transfert est facile.
Je sors à nouveau la panoplie du coach. Avec plaisir, évidemment. Je me dois de la rassurer. Je lui rappelle les statistiques du ministère, les causes de réanimation, les âges… je lui dis qu’à son âge, même si le risque zéro n’existe pas (forcément il y a des cas graves), mais que ça reste statistiquement faible. Alors je l’encourage. Encore. Je lui dis qu’on compte sur elle. Sur eux. Que c’est eux, les soignants, qui vont nous sortir de là. La conversation dure quelques minutes, pour la requinquer. Avant qu’elle n’aille se coucher. Se reposer. Pour affronter cette nouvelle journée.
Et c’est en réalité ce qui motive ce billet. Si chacun, tous autour de nous, on pouvait prendre quelque nouvelle des soignants que l’on connait. Encore une fois, pas un coup de fil. Histoire de ne pas déranger au travail, ou au repos. Mais un message. Des encouragements. Peut-être faire parvenir les quelques vidéos qu’on trouve sur les réseaux, des applaudissements de 20 heures, un peu partout en France.
Ça ne coute pas grand-chose. Mais c’est tellement utile.
Parce que oui, forcément, nos soignants ont des coups de mou. Des coups de fatigue. De panique. De ras le bol. De colère. Parfois tout en même temps. Et tout ça est normal. A nous, à chacun d’entre nous, de prendre soin d’eux. Si chacun fait cela un tout petit peu. De temps en temps, ça ne pourra que les aider.
Aidons nos soignants. D’abord en restant chez nous. Et ensuite, en regonflant le moral, en prenant des nouvelles.
A vous tous, qui donnez, chaque jour, de votre temps, votre énergie. Parfois votre santé.
Un mot : MERCI.