Le moins que l’on puisse dire, c’est que les temps sont au conflit. Social, notamment. Chaque profession, par le biais de ses représentants, essaye de négocier un non alignement sur le régime universel des retraites.
Et l’on apprend que la police aurait coiffé tout le monde sur la ligne d’arrivée, obtenant la conservation de son régime de retraite.
Un peu d'histoire de la police
L’occasion de préciser certaines choses. La première étant que la police n’a pas de régime spécial, par contre, elle dispose d’un statut spécial.
Et ce dernier date de 1948.
Mme le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au statut Spécial des personnels de police. Avant d’ouvrir la discussion générale, j’ai à donner connaissance au Conseil duo décret désignant comme commissaire du Gouvernement pour assister M. le ministre de I intérieur dans la discussion du projet de loi: M. Boursicot, directeur général de la sûreté nationale. Acte est donné de cette communication. La parole est à M. le rapporteur de la commission de l'intérieur dans la discussion générale.
C’est par ces mots que Mme GILBERTE PIERRE-BROSSOLETTE, qui assure, à cet instant, la présidence de la séance du jour, au Sénat le 24 septembre 1948 (elle en est vice-présidente), cède la parole à M. Valentin-Pierre Vignard, rapporteur de la commission de l'intérieur. Ce dernier dresse le contenu du texte qui sera soumis au vote, avant de céder, lui-même, la parole, à Serge Lefranc, Sénateur de Seine et Oise.
Ce projet est tellement impopulaire, et l'ensemble des parlementaires a tellement bien compris qu'il serait difficile de faire admettre à l'ensemble des policiers qu'ils sont des citoyens diminués par rapport aux autres citoyens, que le rapport a changé de titulaires à plusieurs reprises
(vous pouvez consulter la suite de la discussion en suivant ce lien)
« citoyens diminués ». Le terme est brut. Et repris, dans les discussions, de façon plus dure, par l’intégralité des organisations syndicales de policiers qui ont été consultées. Il s’agit alors de « sous-citoyens ». Alors qu’aucun membre de la « commission de l’interieur » ne voulait rapporter ce texte, finalement, la fonction a été dévolue, gré du temps, à trois personnes différentes, passant de M Fagon, du mouvement républicain populaire, à M M. Benchennouf, du groupe musulman puis M. Cordonnier, socialiste, président de la commission de l'intérieur de l'Assemblée nationale.
Le texte proposé à à l’assemblée, et qui sera adopté, est le suivant :
« Art. 1er. — En raison du caractère particulier de leurs fonctions et des responsabilités exceptionnelles qu'ils assument, les personnels de police constituent, dans la fonction publique, une catégorie spéciale. « Par application de l'article 2 de la loi du 19 octobre 1916 portant statut général des fonctionnaires, les corps de police sont dotés de statuts spéciaux. « Le statut des personnels de la sûreté nationale sera établi dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, dans les conditions fixées par l'article 2 do la loi susvisée du 19 octobre 1946. « En ce qui concerne les personnels de la préfecture de police, non soumis au statut général des fonctionnaires, le statut, établi dans le délai prévu à l'alinéa précédent, sera approuvé par règlement d'administration publique. »
« Art. 2. — L'exercice du droit syndical est reconnu aux personnels de police dans les conditions prévues par la Constitution et par l'article 6 de la loi du 19 octobre 1910. « Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée pourra être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires. » Je suis saisi d'un amendement présenté par M. Serge Lefranc, au nom du groupe communiste, tendant à rédiger comme suit le deuxième alinéa de cet article: « Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline pourra être sanctionné sous les garanties disciplinaires, sauf dans le cas d'une tentative d'instauration du pouvoir personnel mettant- en danger les institutions républicaines. »
« Art. 3. — Les personnels visés à l'article premier de la présente loi sont classés hors catégories pour la fixation de leurs indices de traitement. Ces indices sont arrêtés par décrets pris en conseil des ministres dans les limites générales fixées pour l'ensemble des fonctionnaires. »
Le voilà donc, l’embryon de ce statut spécial qui dispose de deux principaux axes. L’interdiction de la grève pour les policiers, et la fusion en un seul corps de la Sûreté Nationale et la Préfecture de Police. Ce ne sont pas les entités administratives qui fusionnent, mais bel et bien leurs personnels qui disposent donc d’un statut commun… spécial.
Vincent Auriol, Président de la République, promulgue cette loi le 28 septembre 1948.
C'es une loi du 8 avril 1957 qui vient instituer un "régime particulier de retraite", au sein duquel les policiers "bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, d'une bonification de la dite pension (de retraite) égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités". L'équivalent de 20 trimestres. Il faut alors 25 années de service, pour en bénéficier.
Enfin, c'est en 1958, arrive l'Indemnité de Sujétions Spéciales Police, laquelle vient remplacer diverses indemnités, qu'il s'agisse de la prime de risque, la prime de danger des CRS ou encore la prime dite de "déplacement à l'intérieur de la résidence".
Cette nouvelle ISSP vient indemniser l'interdiction du droit de grève votée en 1948. Son taux est fixé à 20% du régime indemnitaire. Et ce n'est qu'en 1982 que cette prime est intégrée dans le calcul de la retraite. Aujourd'hui, en 2019, son taux est fixé à 28% du régime indemnitaire.
A ce jour, le calcul de la pension de retraite se fait sur les six derniers mois de salaire. Et ne peut excéder 75% du traitement (dont une partie est faite de primes, lesquelles ne sont pas intégrées dans le calcul).
Globalement, les policiers cotisent à hauteur de 13,03%, alors que la moyenne, dans la fonction publique, est de 10,89%.
Cette sur-cotisation, donc, est précisément tirée du 1/5ème et de la prise en charge de l'ISSP dans le calcul du montant des pensions (merci @harrybogirl et @policeEtSocieté pour ces précisions).
Voilà pour le côté historique.
Que prévoit la réforme des retraites, pour les policiers?
Ces explications sont contenues dans le courrier envoyé par le Ministre de l'intérieur, Christophe Castaner aux organisations syndicales.
Telles que les dernières négociations le laissent entrevoir, c'est cette bonification dite du 1/5ème qui reste acquise pour les policiers, pour le moment.
A la différence près que des discussions vont s'engager sur la définition des postes qui la conserveraient: que les fonctions soient "dangereuses" ou "spécifiques (non directement opérationnelles, mais confiées à des policiers". L'idée, que certains postes ne soient donc plus confiés à des policiers dits "actifs", mais bel et bien à des fonctionnaires administratifs.
Pour le reste, la réforme s'appliquera dans la police nationale de la même manière qu'aux autres professions, et sera applicable aux policiers nés à partir de 1985.
Pour les nouveaux entrants dans la police nationale, la bonification du 1/5ème serait remplacée par une "sur cotisation de l'employeur" pour, selon le courrier du ministre "garantir le niveau moyen actuel des pensions".
Les nouveaux entrants auront une pension calculée sur leurs 20 meilleures années. De fait, les policiers n'ont pas gagné la "conservation d'un régime spécial". Simplement le maintien des négociations menées en échange de l'abandon du droit de grève. Et, par rapport à ce qui se profile comme régime général, 10 années (vu que c'est la date de 1975 qui est retenue comme charnière).
Il me semble également utile d'ajouter que lorsque je suis, à titre personnel, rentré dans la police, en 1996, nos anciens partaient en retraite à 50 ans (pour ceux qui étaient rentré à 18 ans). C'est d'ailleurs ainsi que je le voyais.
Après une petite simulation faite ce jour, j'aurais l'ensemble de mes trimestres à 61 ans. Sauf à ce que j'ai 25 ans de service actif, auquel cas, je pourrais y prétendre à 56/57 ans. Et l'on sait déjà que le niveau des pensions est en baisse.
Aussi, vu l'état des "négociations" et de ce qui a été "obtenu", il n'y a, je crois, pas lieu de dire que les policiers ont réussi à conserver un "régime spécial", puisque ça n'est pas le cas. Ou alors, si l'on parle du 1/5ème, il faudra autoriser le droit de grève en bonne et due forme pour les policiers, à ceux qui souhaiteraient le retirer.
Le 1/5ème ou l'ISSP (vous connaissez désormais leurs subtilités) concernent le statut spécial des policiers.
Pour autant, je dois bien avouer que tout ça me parait tellement abstrait, tellement cela me parait loin.
Et, de façon générale, la question reste entière, malgré toutes les manifestations: comment faire pour continuer à verser une pension de retraite à de plus en plus de seniors, qui vivent de plus en plus longtemps?
Car c'est bien la réalité de notre société.
Aussi, il ne nous reste plus qu'à émettre quelque souhait:
Vivons mieux. Vivons vieux. Mais surtout... Vivons heureux.