Les deux faces d'une même pièce

C'est aujourd’hui une rencontre un peu particulière, que je vous propose. Celle d'un homme, un policier. CRS. Jusque là, rien de particulier, me direz-vous. C'est vrai.

Bien sur, nous tous, policiers, ne sommes pas uniquement caractérisés par notre profession. Celles et ceux qui portent cet uniforme sont, avant tout, des hommes et des femmes; père, mère, mari qui, comme tout à chacun, ont une vie avant et après qu'ils ne se parent de leur SIG SAUER SP22022 à la ceinture.

Mais cette rencontre, que je vous propose aujourd'hui est encore plus singulière. En ce qui me concerne, elle me fascine. Je ne vais pas vous en dire plus, et vous laisse découvrir pourquoi. Juste, il se prénomme... Christophe.

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7h25, l'Office des Laudes débute au Carmel que je fréquente. A 7h55, je pars dans la Sacristie en compagnie du prêtre qui va célébrer la messe à 8h, nous nous échangeons quelques nouvelles, souvent par rapport à mon travail, je mets mon aube, ainsi que mon étole de diacre, et nous célébrons ensemble. Parfois je prononce l'Homélie (prêche). Après la messe de ce samedi, pas vraiment le temps de discuter, je dois me préparer car dans peu de temps, je devrai être présent à la Compagnie pour effectuer un service d'ordre à l'occasion d'un match de foot au Stade de France à Paris, mission prévue en aller-retour, si tout se passe bien.

Je prévois donc mon sac de couchage. J'arrive un peu avant l'heure du rassemblement, j'enfile ma tenue de CRS, je charge dans le véhicule tout mon matériel de maintien d'ordre, et après un rassemblement dont notre commandant nous donne quelques informations quant à la mission, c'est parti pour de longues heures de travail. Après un retour dans la nuit, un dimanche écourté débute et nous pouvons passer un peu de temps en famille.

La fatigue de la veille me fait louper la messe dominicale mais ce n'est pas trop grave, demain les collègues et moi-même partons en déplacement durant plusieurs jours, et j'ai déjà repéré les différents horaires de messes dans les églises situées à proximité de notre lieu d'hébergement.

Lors de ce déplacement parmi tant d'autres, je serai à l'écoute de mes collègues, certains pour des moments de joie, d'autres pour me partager diverses souffrances. L'un me parlera de son essoufflement de motivation suite à des maintiens d'ordre de plus en plus violents, l'autre me sollicitera pour célébrer le baptême de son enfant, un autre me confiera que son couple bat de l'aile et qu'il craint de se retrouver seul à son retour, un autre m'apprend qu'il est en instance de divorce et que ça se passe mal, un autre me demandera de prier pour telle ou telle personne, un autre tente de garder le moral car son épouse en est à son deuxième cancer. Puis une autre mauvaise nouvelle, on apprend qu'un copain a mis fin à ses jours avec son arme de service, c'est le énième de l'année, et aucun n'a pressenti ce geste, même pas sa femme.

Oui, le métier de CRS est difficile et exigeant mais tellement passionnant par la diversité de ses missions. Nous représentons la réserve nationale de la police et sommes présents dans tout le pays dont la Corse, pour gérer les événements qui marquent l'actualité, en vue du maintien et du rétablissement de l'ordre public. Rétablir l'ordre public ? Pour un diacre ? C'est impossible me disent certaines personnes. Et pourtant, je suis bien un homme de terrain, avec son casque et son bouclier, qui vit parfois au cœur de la violence, tantôt verbale, tantôt physique, souvent les deux à la fois, surtout lors d'événements majeurs que nous connaissons tous. Mais les missions de CRS sont vastes et les occasions de faire du bien sont innombrables.

Nous sommes si souvent confrontés à la pauvreté, à la misère humaine, à la souffrance du peuple, et de plus en plus, à la haine envers les CRS, mais aussi et surtout à des personnes qui ne nous connaissent pas. Nous faisons partie du système, plus précisément nous sommes les fusibles. Quand ça ne va pas, on s'en prend à la police. Le système est défaillant aux yeux de certains, alors il y a manifestation. Et on s'en prend à qui ? Aux CRS!

Les médias ne nous aident pas toujours, puisque dès qu'il y a lancer de grenades lacrymogènes, ce sont les CRS, annonce t-on ! NON, il y a de nombreux services de police présents sur le terrain lors des manifestations et qui sont casqués, les gendarmes aussi, mais dès qu'un fonctionnaire porte un casque, c'est un CRS! Eh bien non, pas toujours. Il y a tellement de clichés de la fonction, cette vision du CRS casqué qui n'est là que pour donner des coups, qui ne discute pas. Non, en manifestation, ce n'est pas le moment de discuter, car nous ne sommes pas là pour prendre le parti de telle ou telle idée, nous réagissons uniquement lorsque le seuil de tolérance de l'infraction globale est caractérisée (jets de projectiles ou changement d'itinéraire du parcours du cortège, destruction du mobilier urbain...).

Nous sommes là pour garantir la paix, celle d'un peuple, d'un pays, mais pourquoi pas celle du Christ ?  Nous aimerions sauver le monde, vivre en paix, un monde juste dans lequel la police serait respectée. Bon d'accord, ça c'est la vision du diacre, mais il n'empêche que le diacre est une personne qui a de l'espérance, il est au milieu du monde, et non uniquement « enfermé » dans une église (bâtiment), afin de montrer à travers sa personne le Christ serviteur à l'oeuvre et faire Église (rassembler). Diacre vient du grec « diakonos » qui signifie serviteur. Mais parfois, il y a besoin de fermeté.

Imaginons une seconde un monde sans police, une France sans CRS, nous sommes disséminés dans tout le pays et très mobiles pour justement garantir la paix. Mais il est évident que lorsque durant des heures nous recevons toutes sortes de projectiles, nous passons au mode "maintien et rétablissement de l'ordre public", et tout se fait sur ordre, rien n'est décidé individuellement.

J'aime mon métier, et par ma passion et l'histoire de ma vie, tous ceux à qui je me suis dévoilé voient mon métier d'un autre œil, car il ont fait quelque chose qu'on a tendance à oublier avec le temps, la rencontre. Oui la rencontre permet d'échanger et de comprendre l'autre, bien entendu, autrement que derrière son écran de téléphone ou d'ordinateur. J'essaye de pratiquer mon métier avec le plus d'humanité possible, sans regard négatif sur telle ou telle personne. Nous ne connaissons pas l'histoire de ceux que nous rencontrons au cours de notre vie professionnelle ou personnelle, alors qui sommes-nous pour nous critiquer les uns les autres ?

Ceux qui me connaissent savent très bien que je ne sais pas être deux personnes à la fois, un jour CRS, un autre diacre, non ce n'est pas concevable. Lorsque je célèbre un baptême, un mariage, ou lors de toute autre célébration, je ne laisse pas de côté mon métier puisque souvent dans mes homélies j'intègre un élément de ma vie professionnelle, parfois subtilement, mais qui souligne à chaque fois une rencontre que j'ai faite et qui m'a marqué. Je terminerai par une prière que j'aime beaucoup et que j'essaye d'appliquer dans ma vie personnelle et professionnelle, prière de Saint-François d'Assise :

« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie... »

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Je me permet exceptionnellement de reprendre le clavier, après les mots de Christophe.

Vous avez compris en quoi cet homme est, selon moi, des plus atypiques. Il montre, selon moi, de façon tout à fait exceptionnelle, et singulière, ce que peuvent être les CRS, et plus largement les policiers.

Et pourtant, j'ai utilisé ce mot, "atypique"; "qui diffère du type normal ou habituel". Mais en réalité, non. Christophe n'est pas atypique. Simplement, il donne de lui-même ailleurs, au sein de l'église catholique.

En fait, Christophe est comme tous les policiers, dont la fonction est de faire respecter les lois, maintenir l'ordre et assurer la sécurité publique des citoyens. Il oeuvre pour la société. Leur mission: les autres.

Je ne fais pas ici preuve d'angélisme (pour reste dans le thème); oui, il y a des débordements de policiers. Oui, certains font un usage excessif de la force. Oui, ceux-là se mettent "hors la loi", et oublient, dans cet instant, leur fonction, leur mission.

Mais je voulais ici rappeler, à l'mage de Christophe, ce qui anime les policiers, au quotidien, lors de leurs centaines de milliers d'interventions quotidiennes. Les autres. Avec, encore une fois, des défauts, des gens moins bons, parfois fainéants, peut-être surtout fatigués, démotivés... Bref, à l'image de la société, et d'autres professions. Simplement, cela se voit plus. Tous les jours, les interventions de policiers sont filmées, par dizaines. Et, j'ai cette impression que la société découvre la violence. Parfois illégitime, exagérée, des policiers.

Mais c'est une réalité. Nos métiers y font face. Très souvent. Trop souvent.

CRS. Diacre. Deux faces d'une seule et même pièce. Deux faces d'un homme. Un seul.