Du devoir de vérité

A protester wearing a Yellow Vest (Gilet Jaune) receives first aid after he was injured by a rubber ball shot by a non-lethal hand-held weapon (LBD40) during an anti-government demonstration called by the Yellow Vest (Gilets jaunes) movement in Bordeaux, southwestern France, on January 12, 2019. - France braced for a fresh round of "yellow vest" protests on January 12, 2019 across the country with the authorities vowing zero tolerance for violence after weekly scenes of rioting and vandalism in Paris and other cities over the past two months. (Photo by MEHDI FEDOUACH / AFP)
Crédit : MEHDI FEDOUACH / AFP

(Photo by MEHDI FEDOUACH / AFP)

Le journal Le Monde a publié, cette semaine, le fruit d’un travail journalistique autour de la blessure d’un homme, survenue en marge d’une manifestation de gilets jaunes, en date du 12 Janvier 2018 à Bordeaux. Les observateurs, peu ou prou, des mouvements sociaux se souviennent sans doute des images. Pour autant, votre serviteur vous invite à regarder ce travail ; cela dure 15 minutes. Mais regardez.

Petit rappel pour ceux qui ont moins le temps, l’on voyait un homme, au sol, le visage en sang. Et des premières séquences enregistrées et alors diffusées, l’on voyait, un tir de LBD dans la direction de cet homme, sans que nous ne voyions, à l’image, si l’un était la conséquence de l’autre. Toujours est-il qu’il était au sol, le visage en sang. Dès la diffusion des premières images, le lendemain des faits, il semblait assez flagrant qu’il y avait eu un usage abusif du LBD. Mais, je suis le premier à le répéter… le contexte est important, que s’est-il passé juste avant, etc…
Mais je reviendrais sur le fond.

Il convient, avant tout, de rendre à César ce qui lui appartient. Ce travail semble de grande qualité, précis et fouillé. Ce que l'on peut attendre d'un travail de journaliste. Du factuel.

Ma première réaction, sur les réseaux, a été de dire « s’il y avait déjà peu de doutes à l’époque des faits, aujourd’hui, il y en a encore moins ». Ce fut sincèrement ma première pensée.

Et puis j’en discute avec des amis. Et je dis, texto « bon, c’est clair, les collègues ont fait de la merde ». Vous noterez sensiblement la différence de ton. Ces mêmes amis me disent « mais tout de même, ta réaction, là, sur les réseaux, c’est un peu chochottte, non ? Réaction d’instinct « je n’ai pas à me prononcer sur une enquête en cours ; l’IGPN dira si… ». Je clos, pour ainsi dire, la conversation. Et je vais me coucher là-dessus.

TANT DE QUESTIONS

Sur mon oreiller, je cogite. De suite, je me dis que, si je suis honnête, lorsque à l’inverse, des gilets jaunes viennent frapper la police, je n’ai pas la même timidité dans les mots. Plein de choses se bousculent dans ma – petite – tête (n’oublions pas que je suis policier, hein ; et « de base »)… je pense présomption d’innocence, mais aussi, comme je l’ai dit « l’enquête IGPN »…

Mais en fait, qui suis-je ? Autrement dit, quel est le poids de ma parole, moi qui ne suis qu’un "simple flic" ? Et puis, à qui dois-je rendre des comptes ? Je n’ai pas une parole publique. Je n’ai aucune autorité sur qui que ce soit. Je ne suis pas ministre, je ne suis pas syndicaliste. Et, à l’inverse, je ne suis pas non plus en cause, bref je n’ai aucun lien avec cette affaire.

Et puis, je dois l’avouer, j’ai une pudeur. Celle qui me rappelle que durant les douze derniers mois, les seuls gilets jaunes que j’ai vus, étaient à la télé (bon, y’avait bien le mec, l’autre fois, sur le bord de la route, mais pas sûr que c’était pour la même problématique ; d’ailleurs, j’ai roulé dans la flaque d’eau. Exprès). Trêve de plaisanterie.

Tout ça pour dire de façon très explicite que je n’ai été présent à aucune de ces manifestations. Je n’ai pris aucun pavé, respiré aucune lacrymo. Par contre, je sais ce que c’est que d’être flic. Je sais ce que c’est qu’une intervention banale qui tourne mal en trois secondes et qu’on ne maîtrise plus forcément de bout en bout, où il faut improviser quelque chose que l’on n’a pas vu venir. Par erreur, par impréparation (ça m’est arrivé), ou tout simplement parce que c’était imprévisible. Je sais aussi ce que c’est que la médiatisation d’un fait, tournée de telle sorte qu’elle est totalement éloignée de la réalité de ce qu’il s’est passé.
Alors oui, « tomber » sur un collègue, comme ça, à bras raccourcis, j’ai toujours un peu de mal. Je le reconnais.

LA NUIT QUI PORTE CONSEILLE

Mais je me demande…

Comment avoir une parole un tout petit peu crédible, vis-à-vis de ceux que je peux connaitre, au-delà d'une sphère policière, vis-à-vis de ceux qui pourraient me lire, ici ou sur Twitter ; ou tout simplement comment être honnête intellectuellement (oui, dans certaines limites, je sais) avec moi-même… comment être crédible, donc, si l’on n’est pas en capacité, à un moment donné, de dire, certes, avec de la mesure "oui, dans ce cas précis, il y a un usage illicite de moyens de défense. Oui, les violences sont (sous réserve d’éléments qui pourraient nous avoir échappés) illégitimes. Nous sommes en présence d’une intervention qui, manifestement, a dérivée".

Pour ce qui est de mes premiers arguments, si je réfléchis un peu plus loin, ils tombent très vite à plat.

Alors oui. Je ne dois rien à personne, et n’ai à me justifier de rien. Et, en tant que tel, simple policier que je suis, ne suis la voix de personne. En l'espèce, à cet instant, cette prise de position, pas même de l’association que je préside. Il n'y a que moi. Seul.

Cette parole n’emporte pas la justice non plus ; ni même notre administration. Chacune de ces entités dira si oui ou non, judiciairement et/ou administrativement, il y a eu faute, si le ou les auteurs potentiels sont identifiés ; et décidera si oui ou non il y a lieu de les sanctionner et dans quelle mesure. Chacune dans le rôle qui est le sien.

Et puis, ne s’autoriser à parler qu’à partir du seul moment où l’on a vécu la même chose limiterait les débats ; mais surtout les rendrait stériles, en restant dans l'entre soit, le confort d'être avec des gens qui ne pensent "que" de la même manière que nous, parce que "nous sachons". Sans aucune prise de hauteur, d’analyse. Uniquement dans l’émotion du vécu.
Et puis… oui, la police a le droit, voir même DOIT pouvoir être critiquée. Alors, évidemment, avec certaines précautions. La présomption d’innocence s’applique, c’est vrai, comme à n’importe quel individu. Et oui, c’est vrai aussi que les enquêteurs de l’IGPN doivent probablement avoir quelque chose de plus complet encore dans leur enquête.

Mais cette critique doit avoir pour objectif d'améliorer le système, le fonctionnement de la police ; comment faire si l'on ne se donne pas le droit de critiquer des interventions ? Pas pour blâmer l'individuel sur un cas précis. Mais pour faire progresser les usages, les mentalités. Une erreur commise qui est reconnue est une erreur qui aura moins de chance d’être répétée.

CLAIREMENT

Alors je le dis. De ce que j’ai pu voir de ces images, de ce travail de journaliste, c’est la conclusion à laquelle j’arrive. Les policiers arrivent dans une ruelle, alors que les manifestants sont en train de partir ; ils ont été dispersés (si c’était l’objectif poursuivi). Arrive un tir de LBD ; probablement que le premier policier pense atteindre celui qui a lancé un objet sur le groupe quelques minutes auparavant. Et puis survient une grenade lancée en cloche, ce qui, dans les règles d’usage de cette grenade, est interdit. Et puis, il y a un 2ème tir de LBD, qui touche un homme. A la tête.

Et à cet instant, l’incompréhensible. Une femme alerte les policiers qu’un homme est blessé à la tête. Leur demande d’appeler les secours… Mais pas un ne bouge. Pire encore, on répond à cette dame « faites-le vous-même, on ne peut pas ». A ce moment-là, encore plus qu’avant, on perd tout sens de la mission initiale des policiers. L’un des policiers n’aurait-il pas pu s’approcher de cet homme ? il n’y avait plus de risques, dans la rue ! Et passer un appel, via la radio, pour activer les pompiers ? Non ? Vraiment ? Ou même à distance ? Tout ça est confondant.

Sauf qu’une fois qu’on a dit ça, on n’a pas, je crois, tout dit. Probablement que les policiers seront entendus dans le cadre d’une enquête (si pas déjà fait). L’on verra quelles seront les suites. Mais aussi… n’ayons pas peur de le dire. Ne faudrait-il pas non plus s’enquérir un peu des ordres reçus ? De la hiérarchie ? C’est toujours un peu facile que de ne chercher, toujours que celui qui prend les risques, et qui, ça arrive, va trop loin.

Alors on va me répondre, à juste raison, que la hiérarchie ne peut pas non plus être responsable de tout ; que ce n’est pas elle qui tient l’arme ; et encore moins celle qui appuie sur la détente. C’est aussi vrai. Pourtant, de nombreux points dépendent de cette hiérarchie. La formation suivie par l’intéressé, son suivi dans le service, son éventuel état de fatigue, mais aussi dans quelle « ambiance » il a été placé à sa prise de service, au moment de la prise de consigne. Et aussi, naturellement, qu’est-ce qui a été dit en radio ? quels ont été les ordres donnés de déploiement. Si à la prise de service, vous avez une hiérarchie qui est déjà remontée, et qui encourage sans mesure, c’est tout à fait différent d’une hiérarchique qui rappelle à la mesure, au discernement… Un peu à l’image d’un match de boxe où le coach encourage son poulain…. Va-t-il lui dire d’être tactique, de penser aux qualités et défauts de son adversaires du jour, ou de foncer dans le tas ? Cela influe nécessairement sur le boxeur.

Sans y connaitre en maintien de l’ordre - d'ailleurs pas plus qu'en boxe - (je suis honnête sur ce point) je note que les CRS qui étaient avec le groupe de policiers (vraisemblablement une bac) n’ont, eux, pas avancé, et sont restés en retrait tout le temps de cette intervention, des tirs. Peut-être qu’un habitué du maintien de l’ordre aura une lecture selon laquelle ce maintien à distance est cohérent. Toujours est-il que cela interpelle.

Pour conclure, j’aimerais que tous, quelles que soit nos fonctions, soyons en capacité de nous remettre en question, lorsque des fautes ont été commises. Nous devons être capables de le reconnaître. A notre petit niveau.

Parce que je suis intimement persuadé que nous ne pourrons avancer que si nous avons cette lucidité.

Alors... D’aucuns pourraient me reprocher d’apporter ici ma voix à « ceux qui critiquent la police toute l’année, qui la détestent ».
A ceux-là, je dis l’inverse. Je me permets cette critique parce que je l’aime, cette police. Et que, précisément, je n’apporte pas ma voix à ceux qui la détestent par principe ; eux la détesteront toujours. Par contre, je suis de ceux qui veulent la voir s’améliorer. Et pour s'améliorer, il faut savoir reconnaître ses erreurs. Nier tout, d'un bloc, ou faire la sourde oreille nous rend aussi inaudibles que ceux qui, de l'autre coté du prisme, ont choisi la haine des policiers.

L’on ne peut pas se contenter d’être du côté noir ou du coté blanc. Les nuances de gris sont bien plus importantes. Et comme bien souvent, voir toujours, c’est là que se trouve la vérité.

Les plus jolis moments d’une journée ne sont-ils pas ceux où la nuit cède sa place au jour ? Ou, inversement, lorsque le soleil s’en va sous d’autres méridiens, laissant place à la lune ?