Police: y'a-t-il un médecin, au chevet du patient?

27000 selon les policiers, et ...

Non; disons, plus de 20.000.

C'est le nombre de policiers qui ont battu le pavé hier, à l'appel de la très grosse majorité des syndicats de police. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce rassemblement est une réussite syndicale. Et c'est probablement la premier paradoxe de cette journée, à l'heure où, dans les rangs, les syndicats sont des plus décriés.

Et pourtant, c'est bel et bien cette unité qui a transformé l'essai. Cela fait des années que les policiers attendent cela. Que leurs représentants puissent s'accorder sur ce qui peut les rassembler, ce qui, sans nul doute, est une réelle force dans les négociations qui vont s'engager.

Ne soyons pas non plus naïfs, cette intersyndicale, le gouvernent va tenter de la briser, avec des promesses qu'il fera en douce, à tel ou tel syndicat. C'est toujours comme ça que cela s'est passé. Il n'y aucune raison pour que cela change.

Un malade, disais-je donc, que cette police. Comme c'est toujours le cas, dans une épidémie, on cherche le patient zéro. En ce qui me concerne, je l'identifie comme étant l'investigation. C'est celle qui traîne, depuis des années, son mal-être. Celle qui, chaque année qui passe, intéresse de moins en moins. Celle qui connaît une réelle crise de vocation. Elle fait de moins en moins rêver, et c'est un euphémisme. Et, ce métier, rien n'est fait depuis tout ce temps pour lui rendre son attractivité.

Et puis, il y a eu comme une gangrène. La patient "Maintien de l'Ordre" est, lui aussi, en souffrance. Plus particulièrement depuis un an. Mais, en réalité, depuis un peu plus longtemps que ça. Sauf qu'on ne l'avait pas trop vu. En tous les cas, pas trop longtemps. Je dirais depuis les manifestations sur la loi travail, en 2016. Ce patient "Maintien de l'Ordre", il a bon dos, aussi. Il y a, en France, des unités spécifiquement chargées de cela. Les CRS et les gendarmes mobiles. Sauf que, devant l'ampleur de la maladie, et parce qu'il n'y avait pas assez de globules blancs, on leur a adjoint d'autres cellules. Les BAC, CDI, et désormais les BRAV. A l'exception des CDI, aucune des autres unités n'est formée au Maintien de l'Ordre. Pour leur défense, tout ça n'était pas trop "prévu", et il a fallu faire avec, pour faire face à des manifestations virulentes... Les BRAV, donc, avec, au guidon, un motard de la police, et en passager, un effectif CDI... Dont certains n'ont potentiellement jamais été, auparavant, sur une moto. C'est dire le degré de formation, et de prise de risque, rien que pour leur propre intégrité. Là encore, ces unités n'ont suivie aucune formation spécifique quant à leurs nouvelles fonctions. Simplement, le préfet a eu une idée. Et derrière, a donné des moyens. Alors imaginer ces policiers, dans le stress qui est le leur, sur ces motos, sans avoir été formés... je m'interroge... et j'ai peur.

Et puis, il en est un autre, de malade. Discret, mais lancinant, puisqu'il attaque un peu tous les membres de la maison Police; Je l'appelle "Proximité". Cet anticorps a totalement disparu de la surface police. On l'a appelé, dans le passé, ilotiers", ou "Police de Proximité"; et aujourd'hui, ça serait "Police de Sécurité du Quotidien". P.S.Q. Trois lettres qui devraient changer beaucoup de choses, mais qui, en réalité ne changent... eh bien en fait, on ne le sait pas. Et c'est bien ça le problème. Il n'y a pas de doctrine réellement établie. On a pris des policiers qui étaient dans une unité, et on leur a donné un autre nom. On leur a dit "maintenant, tu t'appelles PSQ". Point. Pas de doctrine. Pas de formation. Rien. Ils fonctionnent comme ça par ici, et de telle autre manière par là. Alors certes, il faut laisser une latitude locale aux intervenants, propre aux difficultés rencontrées. Mais il me semble que, globalement, on a déjà identifié, dans les quartiers en question, les problématiques, et que certaines sont communes.

Et puis, ces malades chroniques ont ensuite été victimes de crises cardiaques. Fatales. Je les nomme "suicides". Chaque année, un chiffre de plus en plus inquiétant. 51 policiers, à ce jour, se sont donné la mort, en 2019. De ce point de vue, il semblerait qu'on ai trouvé un médecin... attendons de voir l'étendue de sa connaissance. Mais, toujours est-il qu'il semblerait que des choses bougent dans la maison police. Il était temps. Maintenant, attendons de voir quel traitement il prescrira.

Et pourtant, les gouvernements successifs ne sont pas non plus exempts de tout reproche, puisqu'ils ont, pour certains, inoculé eux-même, certaines bactéries. On peut donc se poser légitimement la question de la gestion globale de la police depuis plusieurs années. Je peux parler d'un premier virus appelé "RGPP" qui a fait énormément de mal. 13000 emplois supprimés dans la police et la gendarmerie. Des services, aujourd'hui, dépeuplés, où il n'y a plus de quoi assurer de façon correcte des missions de police secours. Là où il y avait avant 3 véhicules d'intervention, on en a parfois plus qu'un seul; avec, de fait, un travail démultiplié. Même si, chaque année depuis cinq ans, les gouvernements successifs recrutent de plus en plus. On peut aussi parler de l'insalubrité de certains locaux, des moyens matériels pas toujours (loin s'en faut) à la hauteur. De la gestion des effectifs, du management, des stocks d'heures supplémentaires non payées.. bref, les infections ne manquent pas.

Et puis, il y a la goutte qui fait déborder le vase. Le gouvernement actuel, dans sa gestion de l'épidémie "retraite" a décidé de mettre tout le monde au régime général. Y compris, de fait, la police. Etant rappelé que ce régime spécial est le fruit d'une négociation avec l'administration, laquelle avait abouti, en son temps, à ce que les syndicats acceptent, en contrepartie, l'interdiction du droit de grève pour les policiers.

De fait, si l'une des deux parties n'est plus respectée, il va de soit que l'autre partie ne devrait pas l'être non plus; sauf que le gouvernement ne le voit pas du tout de cet œil-là, puisqu'il n'y aurait là, rien en contrepartie.

Donc, voilà où nous en sommes. La police a besoin d'un spécialiste. D'un médecin d'urgence qui vienne à son chevet. Pourtant, dans la réalité, l'homme providentiel n'existe pas. J'y ai cru. Et me suis leurré. Aussi, ce n'est que dans l'effort commun, la concertation (réelle) et la plus large possible, que nous pourrons dessiner les contours de la police de demain. Avec l'ambition de voir plus loin que le jour d'après, ou le seul quinquennat en cours. Aussi, j'appelle de mes voeux (certes à mon tout petit niveau) à une grande concertation, un grenelle de la sécurité (même si le terme, depuis son origine, s'en trouve galvaudé). Administration, policiers, syndicats, élus, citoyens... Toutes ces personnes doivent être concertées pour qu'un nouvel élan soit donné à cette police, qui se doit de vivre avec son temps, et plus sous une organisation qui date de plusieurs dizaines d'années, ne répondant plus nécessairement à la société de 2020. Sans qu'il s'agisse de ne mettre à chaque fois que de petits pansements sur des plaies dont on sait qu'elles se rouvriront très vite.

Pour autant, j'espère que le médecin qui viendra n'est pas issu de la fonction publique hospitalière, dans la mesure où, celle-ci semble avoir quelques maladies ayant d'étranges similitudes. L'épidémie est plus large que la simple maison police. Ce sont toutes les administrations régaliennes qui souffrent des même symptômes.