Douze mois et puis s’en vont !

Il est un métier dont on parle très peu, au sein de la Police Nationale. Il est pourtant central, puisqu'il conditionne, sans que l'on ne s'en rende compte, au moins le début, dans de bonnes conditions, de toutes les carrières des policiers. C'est celui de formateur.

C'est dans ce souci de présenter un maximum de métiers différents, parmi tous ceux que l'on retrouve dans cette grande institution, que j'avais envie de voir, ici, un tel texte.

Le formateur, c'est lui qui nous enseigne les bases, en école de police; c'est le premier contact d'une longue carrière dans l'univers qui s'ouvre à celui qui, quelques mois avant, a réussi son concours. Il va en découvrir les codes, mais surtout la façon de travailler. Etre préparé à être un policier, sur le terrain, dans tout ce que cela comporte. Ses connaissances techniques, procédurales, la déontologie. Et c'est celui qui va nous mettre en garde sur nos propres pratiques, les mauvaises habitudes. Quelqu'un que l'on n'oubliera jamais, dans sa carrière de policier; qui sera toujours là dans un petit coin.

Et je suis certain que, en lisant ces quelques lignes, beaucoup de policiers vont faire un petit retour en arrière, et se rappeler cette année d'école.

Aussi, il m'a semblé important d'en savoir un peu plus sur ce métier trop méconnu. J'ai donc, ici, laissé le clavier @nicojet.

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« FORMATEUR, je vais être formateur », je me souviendrai toujours du jour où j’ai prononcé cette phrase, nous étions mi-décembre quand j’ai reçu l’appel téléphonique du secrétariat de la Direction Centrale du Recrutement et de la Formation, On me demande si je souhaite intégrer, l’École Nationale de Police (ENP) de SENS le 1er janvier !! euh comme le 1er janvier dans 15 jours ??? OUI évidemment a été ma réponse !

À l’époque j’étais affecté en Brigade de Sûreté Urbaine (BSU) en tant qu’OPJ à gérer quelques centaines de dossiers d’atteintes aux personnes, cela faisait presque deux ans que j’avais postulé et réussi les sélections. Dans le cadre du mouvement profilé, je me trouvais donc dans le vivier des formateurs généralistes de l’ENP SENS.

Je n’avais pas beaucoup d’idées sur ce qu’était exactement la formation, à part mon expérience d’élève Gardien de la Paix, quelques années auparavant, cette expérience quelques fois douloureuse, mais aussi et surtout très agréable.

Je me rappelle de ce Brigadier-Chef que je voyais déambuler avec des documents à la main, il faut toujours des documents à la main ça fait occupé,
Je le voyais arriver en salle, nous donner des conseils sur les choses à faire, nous parler d’infractions, de procédure pénale, de timbres-amende ! le pied ! mon futur métier !

Après un parcours entre Brigade de roulement, Brigade Anti-Criminalité, BSU... me voilà donc arrivé dans cette bonne école de Sens en Bourgogne; première chose qu’on m’a dite: « tu vas voir ici on mange trop bien!! » Maslow appréciera, ma balance aussi !

LA FORMATION DU FORMATEUR

Après avoir pris possession de mon « starter pack » : bureau, ordinateur, téléphone professionnel, me voilà convoqué à la Mecque de la Formation : Clermont-Ferrand !
Cette ville a hanté de nombreux policiers, les Gardiens de la Paix LEROUGE et LEVERT font régner l’ordre, c’est fou ce qu’il s’y passe !!

On me parle (APC) Approche Par Compétence, mais qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit d’une méthode de Formation où l’on met l’apprenant face à une situation donnée, il doit intervenir en s’adaptant, ses actions sont ensuite étudiées et des axes d’amélioration sont évoqués, les face-à-face pédagogiques qui suivent cette mise en situation doivent permettre à chaque élève de se constituer une boite à outils qu’il utilisera demain sur la sacro-sainte Voie Publique.

Cette formation pour devenir formateur dure 8 semaines, elle est composée de 3 modules;
-le premier est composé de quatre semaines de formation + une semaine de mise en situation durant laquelle on doit passer des cours à de vrais élèves sous l’œil intransigeant d’un jury de formateurs de formateurs.
-le deuxième module est un retour dans la structure d’affectation, on en profite pour donner quelques cours en tant que « volant » sur les différentes promotions présentes (Adjoints De Sécurité, Gardien de la Paix, Cadets)
-le troisième et dernier module, qui se déroule à nouveau dans la ville de Vercingétorix, se compose de deux semaines de formation ainsi qu’une semaine en ENP où chaque apprenti-formateur passe une « certification » diplôme reconnu de niveau 3: faisant de nous des « Formateurs en Sécurité Intérieure. »

Ça y’est j’y suis !

Qui vont être mes premiers élèves ? Comment cela va t’il se passer ? quel est le programme ?

au bout de quelques semaines, je me retrouve en liste pour une promotion d’élèves Gardiens de la Paix…

Préparation, appropriation des contenus non sans quelques doutes : une vraie remise en question.

LA PREMIERE

Nous sommes fin d’année et voilà que se présentent mes 30 premiers élèves Gardiens de la Paix rien qu’à moi, je suis donc le formateur référent de ces 30 femmes et hommes, je me retrouve en binôme avec un jeune formateur TSI (Techniques de Sécurité en Intervention), on ne dit plus APP (Activités Physiques et Sportives), bref ce jeune formateur TSI vient d’arriver: ex-crs mais également sa première section ! même pas peur, allez binôme on y va !!

La scolarité débute, et je découvre maintenant ce qu’il fait ce formateur qui se balade avec son dossier sous le bras; il écrit, il synthétise, il apprend aussi, il crée des présentations, il fait des évaluations, il corrige des copies, il est à la fois enseignant, assistant social, psychologue, papa, grand frère, camarade…

Mais alors quel pied ! cet échange permanent avec les apprenants est tellement enrichissant, cette éternelle remise en question, le fait de savoir que grâce à toi ils sauront faire leurs premiers pas sur la Voie Publique avec TES conseils, TES cours, TES pv qu’ils sauront rédiger, ceux que tu rêvais de lire en tant qu’OPJ…. quel bonheur !!!

Est-ce que je pourrais travailler avec lui ou avec elle demain ? LA question de fin de scolarité, celle qui tranche, qui donne le ton de la dernière ligne droite.

Mais avant tout ça il va falloir les guider pendant un an, les préparer aux contrôles écrits, les encourager, s’investir !!
Oui c’est un investissement, à travers leur réussite c’est ta réussite, tu te sens également responsable des échecs, tu remontes la pente, tu reformules, etc. le temps passe et voilà le classement final qui arrive accompagné de son camarade: le choix des postes !
Moment riche en émotions, l’ascenseur émotionnel en une journée : tu stresses avec eux, tu patientes (pendant des heures) avec eux, tu ris avec eux, tu pleures parfois, tu notes chaque affectation (on ne sait jamais ça peut servir).
C’est Le jour où les élèves deviennent des collègues à part entière.
Ce n’est que le premier poste d’une longue carrière c’est vrai ! Mais autant commencer ce métier de la meilleure façon possible.

Après toutes ces émotions vient le temps de la préparation de la cérémonie, journée qui clôture en famille et entre collègues cette année écoulée, le temps de se dire au-revoir.
Le jour de la cérémonie est à la fois touchant et excitant, les élèves te présentent leur famille, femme, mari, enfants, parents, grands-parents, ils veulent faire des photos avec toi, un jour dont tout le monde se souvient.
Les au-revoirs, les pleurs et voilà les prochains élèves qui pointent le bout de leur nez, un éternel recommencement.

Le côté obscur de la force : la différence école / terrain.
Je pense qu’il y a très peu de différence, l’école est là pour préparer au mieux les effectifs à de nombreuses situations, l’école forme la polyvalence, le terrain lui forme à une spécialité.

À l’école les agresseurs sont faux (les élèves jouent eux-même les requérants, auteurs ou victimes lors des simulations), ensuite, le terrain est miné par les mauvaises habitudes : contrôle routier seul pour un véhicule, palpation devant, contrôles d’identité improvisés, etc.…
Pour les mauvaises langues je retourne chaque année sur le terrain, je vous l’ai dit j’aime la remise en question c’est pourquoi je suis toujours volontaire pour participer à ces semaines de « ressourcement en service actif » cela permet de garder un pied sur le terrain.

J’adore transmettre aux élèves, je ne regrette pas ce choix de carrière, et c’est maintenant à mon tour de me promener avec des documents à la main, d’avoir un bureau avec les photos des élèves qui sont passés devant moi, me tournant vers l’avenir et leur permettant de préparer le leur.