Steve MAIA CANICO; au delà du fait tragique, un contexte des plus tendus

Crédit: Loic Venance / AFP

Steve MAIA CANICO, 24 ans, est décédé. Ce qui était une forte probabilité, depuis sa disparition, dans la nuit du 21 au 22 juin dernier, est aujourd'hui une certitude, son corps ayant été retrouvé dans la Loire, à environ un kilomètre du lieu où il avait disparu. Qu'il est tragique de mourir si jeune. Lors d'une fête... c'est, quoi qu'il se soit passé, certain.

LES FAITS

Les éléments qui suivent sont tirés du rapport administratif de l'IGPN, rendu public le 30 juillet dernier.

Le 21 Juin dernier, à l'occasion de la fête de la musique, un "sound system" est organisé sur les quais de la Loire, à Nantes. Ils seront 10, au total.

La fête est autorisée jusqu'à 01h du matin; mais la marie et la police ont convenu d'une tolérance jusqu'à 04h du matin. D'ores et déjà, la mairie semble répondre, dans un article du journal "Libération", qu'elle n'a donné aucune autorisation, et que la fête se situait sur un terrain du port autonome, donc de la propriété de l'Etat.  Et de sa responsabilité. Autre précision, ces implantations sont habituelles, et se renouvellent donc d'année en année.

Les effectifs engagés sont issus de la police nationale (à priori une vingtaine), d'une société privée de sécurité (2 agents) et d'un bateau de la SNA eu égard aux "risques de chute".

La soirée se déroule de façon tout à fait normale.

A 04h00, les policiers font le tour de tous les "sound system"; ils commencent par la "grue grise" (qui se trouve en bout de quai, à l'ouest) et vont en direction du pont des 3 continents, vers l'est. Tous les DJ obtempèrent, mais la tension monte quelque peu. Au fur et à mesure que la musique s'éteint, le public converge vers le dernier soud system. lequel, malgré les rappels, n'éteint pas la musique. Ou plutôt l'éteint, mais la rallume quelques instants plus tard. A cet endroit, aucun barrierage. Mais, selon le maire adjoint de Nantes (toujours dans l'article de Libération), il n'y en a jamais.

Le commissaire, chef du dispositif, sur place, devant la tension, demande à ses effectifs de s'équiper en moyens de protection. Ils retournent vers le dernier sound system, et c'est à cet instant que les policiers commencent à recevoir divers projectiles, lancés par certains. Les policiers répliquent par envoi de lacrymogènes.

04h36, le Directeur de la Sécurité Publique par interim, par radio, voyant sur les caméras un nuage de lacrymogène, demande l'arrêt du recours aux moyens lacrymogènes.

Les images vidéo de la ville montrent effectivement un nuage de lacrymogène à 04h37, puis à 04h41 et 04h50.

Des échanges radios enregistrés, les violences à l'encontre des forces de l'ordre ont commencé à 04h31, jusqu'à 04h52, après l'arrivée d'une compagnie de CRS (sur place à 04h41).

Pour être complet, de ce que les journalistes de "Libération" ont vu sur des vidéo amateur, c'est à 04h31 que les policiers seraient retournés au contact, et un nuage lacrymogène serait déjà visible.

De ce qui disent les intervenants, durant cette soirée, plusieurs personnes sont donc tombées à l'eau cette nuit-là. Certaines avant l’intervention de la police. D'autres après.

En ce qui concerne Steve MAIA CANICO, le seul élément horodaté dont dispose l'IGPN proviendrait de son téléphone. Tout d'abord, vers 3 heures, il envoie un message à une amie, disant qu'il avait "besoin d'aide", qu'il était fatigué, tout en donnant l'endroit où il attendait ses amis. 03h16: c'est la dernière heure à laquelle le téléphone portable de Steve accroche un relais téléphonique.

En ce qui concerne les témoins, l'un d'eux se serait signalé, notamment sur la plateforme IGPN, signalant un usage de lacrymogènes, ayant entraîné des chutes et des malaises. Mais, selon le rédacteur du rapport, ce dernier n'aurait pas repris contact avec l'IGPN, malgré une relance faite par mail. Là encore, il est bon de préciser que l’intéressé, dans les colonnes du journal "Le Monde" , ce témoin, Romain G. dit ne pas avoir reçu ce mail, et avoir déposé plainte, le lendemain, au commissariat de Nantes, pour "mise en danger d'autrui par personne morale". Pour autant, cet article ne parle, à aucun moment, de l'heure où Steve MAIA CANICO serait tombé à l'eau.

L'article de Libération parle, de son coté, de deux témoins qui auraient vu Steve; un qui l'aurait quitté "juste avant la charge", et l'autre, "Jade", qui dit l'avoir vu "après quatre heures".

Il semblerait que ces deux personnes n'aient pas été entendues par l'IGPN.

Ce rapport finit par conclure "En riposte à des voies de fait, des grenades étaient lancées, et des tirs de LBD réalisés sans qu'aucun élément ne permette d'établir un lien direct entre l'intervention des forces de l'ordre et la disparition de M. Steve Maia Canico, vers 04h00, le même jour, dans le même secteur".

Il me semble que ce rapport ne fait que souligner le fait qu'il est, à cet instant, difficile de savoir à quelle heure exactement, Steve Maia Canico a disparu. Il semblerait que les deux témoignages parlant de "après 4 heures" et "peu avant l'intervention" ne figurent pas dans l'enquête administrative. ils ne sont donc pas pris en compte.

Ce qui est certain, c'est qu'une information judiciaire est ouverte, pour "Homicide Involontaire"e, et donc suivie par un juge d'instruction. Il parait utile de préciser qu'une enquête administrative ne permet pas tout ce que peut faire une enquête judiciaire. C'est donc celle-ci qui sera la plus à même de répondre à toutes les questions qui se posent. Cette enquête est menée par la DIPJ de Rennes. De son coté, l'IGPN s'est vue confiée une enquête préliminaire qui fait suite à la plainte de plus de 80 personnes, pour mise en danger de la vie d'autrui.

En parallèle, le Défenseur des Droits s'est saisi lui-même, et selon les déclarations du gouvernement, l'Inspection Générale de l'Adminstration est, elle aussi, chargée d'une enquête, traitant plus particulièrement des mesures de sécurité prises autour de cette fête.

La première chose que j'aimerais dire, c'est que l'on ne pourra tirer des conclusions qu'une fois que toutes ces enquêtes (et surtout celle qui est judiciaire) auront été menées. Il n’apparaît absolument pas objectif de tirer quelque conclusion qui soit sur un simple rapport, qui se veut, à la fois administratif, mais aussi partiel.

LE CONTEXTE

Le rapport de l'IGPN le pointe de lui-même. Il pose la question de l'image de la police, conséquence des dernières manifestations (notamment des gilets jaunes), image dégradée, donc, et devant laquelle "aucune mesure particulière n'a été prise".

Et c'est, il me semble, le nœud du problème. Les enquêtes diront, in finé, si l'intervention de police était disproportionnée, si la chute de la victime, dans la Loire, en est la conséquence.

Mais au delà de ça, on ne peut que constater le doute qui entoure toute la communication faite autour de la Police. Et je rejoint Natacha Polony qui, dans son article, parle des tensions qui font suite à ce drame comme étant "conséquence directe de la crise qu’a connue le pays pendant plusieurs mois et de l’instrumentalisation du maintien de l’ordre par un gouvernement politiquement dépassé, de sorte que le rapport de l’IGPN concluant qu’on ne peut, à l’heure actuelle, « établir de lien » entre l’intervention des forces de l’ordre et la disparition de Steve, est parfaitement inaudible". En fait, à ce stade, toute autre réponse qu'une police "coupable" des débordements n'est pas acceptée. Quand bien-même son action serait tout à fait légitime.

Nous y sommes, c'est bien de cela dont il s'agit. Notre pays à connu plusieurs mois de manifestations, au cours desquelles se sont déroulés des événements violents. Les forces de l'ordre ont été dressées comme seul rempart à cette crise sociale. C'est un fait. Était-il possible de faire autrement? Quelle est la responsabilité du mouvement qui, au début, a refusé de se constituer et d'avoir des "porte-parole", lorsque le gouvernement a tenté de négocier? Le gouvernement, ayant "lâché du lest" l'a-t-il fait suffisamment? A partir de quel moment considère-t-on que "donner plus" est, en quelque sorte, donner raison aux casseurs? Qu'aurait-il fallu, finalement, pour que ces manifestations cessent, et les violences qui vont avec? N'a-t-on pas, ici, "simplement", la résultante de 20 ou 30 ans d'inaction? Tant de questions, et plus encore...

Même si j'ai un avis, il ne m'appartient pas de répondre à toutes ces questions politiques, auxquelles l'histoire répondra probablement.

Mais c'est un fait. Les policiers ont été placé en première ligne. Face à des manifestants radicalisés, violents, qui cherchaient l'affrontement.

Et, semaine après semaine, tous, en direct, nous assistions à des heurts des plus violents. Avec des blessés, de part et d'autre. Des policiers, des manifestants... Et, si la très grande majorité des policiers a œuvré dans l’extrême difficulté, semaine après semaine, comme elle le devait, en toute conscience et professionnalisme, certains ont dépassé leurs prérogatives.

Et il s'est trouvé un gouvernement incapable de dénoncer les quelques événements au cours desquels des policiers ont dépassé le cadre de l'usage légitime de la violence qui leur est confiée.

Et c'est là que plus rien n'est audible. Si le gouvernant ne distingue plus ce qui est légitime de ce qui ne l'est pas, le doute s'installe dans toutes les têtes.

Lorsque le Ministre de l’intérieur assure qu'aucune violence illégitime n'a été commise par les forces de l'ordre, au-delà des faits, c'est une monumentale erreur de communication, dont on perçoit désormais l'effet boomerang.

Non qu'il faille aller à l'encontre de la présomption d'innocence des policiers intervenants (et dans des conditions ô combien difficiles, je crois qu'il est juste impossible d'imaginer ce qu'ils ont vécu); non qu'il faille aller plus vite que la musique, et les enquêtes diligentées par l'Inspection Générale de la Police Nationale... mais certaines images, pardonnez-moi, ne laissent place à aucun doute quant à l'usage excessif de la violence. Et, sous réserve des enquêtes et prérogatives de chacun, le ministre aurait pu apparaître plus ferme vis à vis de ces manquements.

Et c'est ce que l'on attend d'un pouvoir politique, que de pouvoir différencier l’usage légitime de la force de celui qui ne l'est pas. Ne pas être capable de distinguer les quelques actes qui dépassent du cadre entache tous les autres. Même si ces manquements ne représentent qu'une infime partie des interventions, au regard de l'engagement général des forces de l'ordre.

Peut-être est-ce aussi, là, le problème d'un ministre de l’Intérieur "premier flic de France"? Je l'ai déjà dit, c'est le Directeur Général de la Police Nationale, et son équivalent de la gendarmerie, qui pourraient se prévaloir de ce titre. A eux de justifier de leurs troupes. L'homme politique a le devoir d'être au-dessus de cette mêlée. Et ce n'est pas le cas. Bien sur, que les policiers veulent un ministre qui les défende. Mais certains actes sont indéfendables. Et c'est l'erreur, il me semble, qu'a faite le ministre actuel.

Je vois aussi un autre problème: la communication interne de la police. Non que son service de communication existant soit mauvais. Il est, au contraire, je crois de bonne qualité, avec des personnels dynamiques, passionnés par leur métier, qui ont de nombreuses idées, qui font ce qu'elles peuvent, avec ce qu'on les autorise à faire. Le service est juste, je pense, largement sous-dimensionné et ne jouit pas de toutes les prérogatives qu'il pourrait avoir.

Il existe aujourd'hui, deux formes de communication: celle qui est tournée vers l’intérieur même de l’administration, vers les policiers. Et celle qui est tournée vers la prévention, mais aussi mettant en avant un policier ou un service, au travers d'une action. Et cela par le biais des réseaux sociaux. Tout ça est très utile, mais il me semble, insuffisant. Il ne répond pas aux attentes d'une communication telle qu'on pourrait l'avoir en 2019.

Tous les jours, des faits mettant en cause des policiers sont signalés. Parfois à juste titre, mais parfois aussi, à tort. Et, dans ces cas-là, il n'existe aucune communication qui rétablisse la vérité. On entend très souvent les "opposants" à la police (même si je n'aime pas ce terme, je n'en trouve pas d'autre). Donc toutes les images négatives sont véhiculées, relayées. Mais rien ni personne pour contredire les fakenews. Dans l'esprit de chacun, tout est confus. Et, encore une fois, lorsque l'homme se met à douter, le bateau penche dans le mauvais sens. Donc, pour lui, dès que la police est mise en cause, c'est vrai. Il devrait y avoir des communiquant dans chaque service, avec un certain nombre de prérogatives. Dans une société où la com a pris l'ampleur telle qu'on la vit aujourd'hui, au travers des réseaux sociaux, ou des chaines d’information en continue, il y a un manque évident.

Ce qui m’apparaît des plus certains, c'est qu'il va falloir agir. Si rien n'est fait, ce doute, dans la tête de personnes de plus en plus nombreuses, va se généraliser, jour après jour, fait divers après fait divers, comme une traînée de poudre qui se rapproche du baril... Et plus rien ne sera audible. Toute action de police sera décriée, justifiée ou non. Par Principe.

Il va donc falloir trouver des solutions. Des gages. Comment? j'avoue ne pas avoir la réponse, à l'instant où j'écris ces quelques lignes.

Mais le peuple, les citoyens, ont besoin d'une police en laquelle ils ont confiance. Et la police a aussi, de son coté, besoin de sentir que ce peuple, ces citoyens, ont confiance en elle.

Force est de constater que, chaque jour qui passe, c'est de moins en moins le cas.