Violences policières; quelle définition pour quels faits?

credit: © Getty / Kiran Ridley

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"Violences policières". C'est un peu devenu un refrain que l'on peut lire tous les jours dans les journaux, sur les réseaux sociaux. Mais surtout une question posée à Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur. Y a-t-il eu des violences policières commises durant les manifestations des Gilets Jaunes? Non.

Récemment, Brigitte Jullien, directrice de l'IGPN a, elle-même, réfuté le terme de "violences policières. Que peut-on voir derrière cela?

Il convient, avant tout, de savoir de quoi l'on veut parler. Il est ici question des blessures dont ont été victimes un certain nombre de manifestants. Notamment "23 éborgnés et 5 mains arrachées... " pour ne parler que des plus graves. 2448 blessés selon les manifestants eux-même.

Soyons très clairs. Ces blessures, largement incapacitantes sont regrettables.

Définir "violences policières"

Commençons par le commencement; c'est Thomas Hobbes, philosophe anglais des 16/17ème siècle, qui théorisait que "l'existence d'une loi ne suffit pas pour que celle-ci soit respectée. Pour ce faire, il faut que la perspective d'un déplaisir l'emporte sur la perspective du plaisir". Le terme de plaisir est très inconfortable, je ne peux que le reconnaître, mais, pour le vulgariser, pour que règne l'ordre, ceux qui veulent le chaos doivent savoir à quoi ils s'exposent. C'est la notion d'ordre public. Aussi, et c'est Max Weber, l'un des pères de la sociologie, qui a défendu l'hypothèse selon laquelle l'Etat est "détenteur du monopole de la violence physique légitime". Pour aller plus loin, je vous laisse lire cet article philosophique très intéressant sur le sujet). Notez bien les trois termes: VIOLENCE PHYSIQUE LEGITIME. J'y reviendrais.

Aussi, les représentants de l'Etat, dans le cadre de la gestion de l'ordre public, sont les forces de l'ordre. Policiers et gendarmes.

En parallèle, il est en France un droit consacré, qui est celui de manifester. A condition que celle-ci soit déclarée, en Préfecture, trois jours avant, déclaration qui inclue les itinéraires, lieux de rassemblement... L'on en dénombre plusieurs milliers chaque année. C'est un fait. Et la plus grande majorité se déroule bien.

Lorsque la manifestation est interdite ou non autorisée, elle est considérée comme un attroupement. Et elle peut être dispersée selon les modalités de l'article L211-9 du Code de la Sécurité intérieure, après sommations "demeurées sans effet", notamment. L'article ajoute ensuite que " les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent". 

En ce qui concerne les sommations, il semblerait qu'elles n'aient pas toujours été des plus claires et entendues... On imagine bien que dans le bruit de la manifestation, un simple mégaphone est difficilement audible. D'ailleurs, un rapport commun IGPN/IGGN de 2014, préconisait déjà, dans sa recommandation n°1 d' "introduire un dispositif de visibilité ou de compréhension de la posture des forces à destination du public et des manifestants". La 2ème recommandation étant relative aux formulations même des sommations, fonction de l'usage des armes.

Pour autant, soyons aussi lucides, lorsque commencent à pleuvoir moyens lacrymogènes, mêlés à des mouvements des unités mobiles, on peut aussi, raisonnablement se dire, que la dispersion a été demandée. Nul besoin de sortir d'une grande école pour le comprendre.

Voilà donc, via le Code de la Sécurité intérieure, que les forces de l'ordre sont autorisées à faire usage de la violence. Et cette violence est légitime.

Pour autant, il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. La réponse qui est apportée à une manifestation qui a dégénéré ou un attroupement doit être proportionnée. Il ne s'agit pas de tirer à balles réelles au moindre caillou lancé. C'est l'article R211-13 du Code de la Sécurité intérieure qui le dit : "L'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé".

Ci-dessous,  le détail des moyens pouvant être mis en œuvre dans les différentes situations:

J'en reviens ainsi au terme de "violences policières". La police a donc ce droit à la violence, dans les conditions sus-décrites. Utiliser, ainsi, le terme de "violences policières" est un non sens, pour parler des cas soulevés. En ce sens que l'expression n'est pas, d'abord, fondée en tant que telle, comme je l'ai expliqué, mais en plus elle a tendance à généraliser des comportements individuels d'excès de violences pour en faire un principe selon lequel l'ensemble des forces de l'ordre ont fait usage d'une force inconsidérée, disproportionnée.

Aussi, il m'apparaît, mais c'est tout à fait personnel, que, s'agissant de cas dont la presse souhaite parler, il s'agirait plus de violences illégitimes. Juridiquement appelées "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique", au sens de l'article 222-13 du Code Pénal (7°).

Pour autant, il reste encore, me semble-t-il, une problématique qui ne doit pas être éludée: il y a eu un nombre de blessés important, durant ces manifestations. Personne ne peut le nier. Pas même le gouvernement.

Pour autant, qui dit blessés ne dit pas nécessairement qu'il y a eu des violences illégitimes. Aussi graves soient les blessures. Aussi, il convient, pour chaque cas, de connaître les circonstances dans lesquelles les blessures ont été subies. Il ne fait aucun doute que parmi ces blessés, un certain nombre l'a été alors qu'ils agissaient de façon inconsidérée face aux forces de l'ordre, lesquelles répliquaient.

Mais oui, ça aussi il faut le reconnaître, il est des exemples très clairs d'usage excessif de la force: je pense à ce pompier de Bordeaux, touché par un projectile de LBD dans le dos, ou même encore le Burger King de Paris...

C'est là, finalement, l'apport que je souhaite à ces discussions: dire qu'il n'y a pas eu de violences illégitimes me parait être un non sens. Inversement, dire (ou sous-entendre) que toutes les violences le sont, l'est tout autant.

C'est là qu'interviennent l'IGPN et la justice. Chacun est dans son rôle. L'IGPN a réfuté le même terme en ce sens qu'il généraliserait les violences illégitimes à l'ensemble des forces de l'ordre. Ce qui ne peut être accepté.

Maintenant, pour les cas avérés de violences illégitimes, la directrice de l'IGPN l'a bien dit, il me semble: même lorsque ces violences sont avérées, il est complexe de pouvoir en identifier les policiers en cause. Mais ça n'est pas lié à l'IGPN en elle-même, mais à la difficulté des investigations à réaliser. Plusieurs difficultés, égrenées par la directrice:

  • le dépôt de plainte parfois tardif, qui empêche, par exemple, de retrouver, à temps des images vidéo (c'est le cas de nombre de dossiers dits "classiques"); à Paris, elles sont conservées un mois (ne venez pas me parler de l'affaire Benalla qui est une exception; tous les enquêteurs ont ces difficultés)
  • la difficile détermination du lieu exact où se sont déroulés les faits, par les victimes; ce qui complexifie les investigations également (comment chercher des témoins, des vidéos, si l'on n'a pas l'heure et/ou le lieu des faits
  • la difficile identification des policiers ou gendarmes, au vu du déploiement des forces de l'ordre, et de leur mobilité, d'un instant à un autre, sur un point donné

Ainsi, doit-on s'étonner des propos de Mme Jullien, directrice de l'IGPN? Non, elle ne fait que faire un compte rendu factuel des difficultés rencontrées par les enquêteurs de l'IGPN. Ajouté au fait que ces dossiers sont venus en surplus des dossiers existants... et, avec un peu de recul, on peut comprendre les difficultés.

C'est ensuite la justice qui se penchera sur les dossiers qui lui sont soumis. A nous de lui faire confiance.

Aussi, doit-on s'étonner des propos du Ministre de l'intérieur ?

Bien sur que non ! C'est le gouvernement lui-même qui a géré, comme il l'entendait, la crise des Gilets Jaunes. Il a, à deux reprises, engrené un certain nombre de mesures. Chacun en pense ce qu'il en veut. Je n’émet pas d'avis. Simplement, il a estimé que, au-delà des annonces, il n'avait que à gérer, samedi après samedi, les manifestations, avec tous les risques inhérents au rétablissement de l'ordre.

Aurait-il pu faire autrement? Question très complexe. Face à un mouvement volontairement désorganisé, lequel s'est empêtré, parfois, dans des actions violentes... Dire que le mouvement "gilets jaunes" est une résultante du faible dialogue social des (au moins) deux décennies passées est une chose. Y faire face sans donner l'impression de donner une prime à la violence, pour répondre à un nombre assez modeste de manifestants (c'est une réalité, eu égard aux grandes manifestations que l'on a pu connaitre en France) en est une autre.

Ce qui est certain, c'est qu'il va falloir faire un état des lieux des dispositifs de maintien de l'ordre. Revoir, à froid, tout ce qui a été fait. De bien ou mauvais. Peut-être, comme j'ai déjà pu le dire, prendre le pouls chez nos voisins européens et voir ce que eux font, de leur coté.  Et réfléchir, également, à l'usage du LBD. Encore une fois, demander son retrait pur et simple n'a pas de sens; il mettrait en danger les forces de l'ordre. Donc, peut-être le remplacer, mais par quoi? Ou alors densifier les formations? Réduire le nombre de policiers/gendarmes pouvant en faire usage? N'ayons pas peur de poser les questions.

Bref, mettre tout à plat. Mais avec honnêteté.

N'oublions pas non plus les centaines de policiers et gendarmes blessés. Parfois gravement, aussi. Et soyons aussi conscients que les policiers, déjà en proie à un malaise profond, verront les conséquences psychologiques et/ou familiales de ces manifestations, de ces engagements récurrents, un peu plus tard... ça aussi, il faudra l'assumer.

Enfin, ne soyons pas naifs... Derrière tout cela, il y a de la politique. Et c'est valable quels que soient les gouvernement, les partis dont ils sont issus. Et en face, des groupes qui n'ont que faire de l'Etat, prônant le chaos, l'anarchie. Et ceux-ci utiliseront les mouvements manifestants pacifistes pour créer le désordre. Qui de l'oeuf ou de la poule???