On la connaît tous, cette phrase... enfin sauf peut-être les moins de vingt ans... Pensée à l'immense Coluche.
Bref, c'est l'histoire d'un mec.... il était poulet. Flic, keuf, rayez les mentions inutiles. Pendant 20 ans... avec tout ce que ça comporte d'émotions, de joies, de peines, de parfois frustrations, colères... Mais quand-même un attachement viscéral à une profession découverte un peu par hasard et qui lui a permis de faire un certain nombre de choses...
Et le mec... il est pas loin de ses collègues... enfin ex-collègues (oui, il ne sait plus trop comment dire). Et pourtant, nombreux sont ceux qui ne le considèrent plus comme tel. Nombreux sont ceux qui lui disent ""nan mais toi tu peux pas comprendre"...
Je dois le reconnaître, ma position actuelle a ce côté inconfortable. que tout est un peu prétexte à critique. Pour les flics, je n'en suis plus. Pour les autres, je le suis encore; mais tous ont ce point commun de me trouver pour la critique. Etre au milieu n'est jamais confortable, puisqu'on s'expose finalement aux tirs de tous les côtés. Soit.
Et pourtant, oui, ça me donne un certain recul (oui, le mec de l'histoire c'est moi... je sais, c'est étonnant). Un recul parce que, en pleine connaissance de ce qu'est la police, j'ai désormais un œil un peu extérieur qui me fait prendre de la hauteur. Un œil avec lequel il est plus aisé d'être critique, mais pourtant, pas autant que n'importe quel observateur, parce que je sais comment cela peut se passer. Ce qui ne fait pas non plus des vérités, mais un avis, à minima un peu éclairé. Et qui n'engage que moi. Clairement.
Et puis ce mec, cet observateur, il voit arriver une histoire. Une autre. Allez, je vous la raconte...
C'est l'histoire d'un magistrat qui préside une audience. Et qui, au cours de cette audience, a un conflit avec une avocate. Le magistrat décide de mettre fin à l'audience, et demande à l'avocate de quitter la salle. Cette derniere refuse, et tente d'appeler ses instances. Le président fait appel aux forces de l'ordre. Des policiers. L'avocate refuse de sortir. Elle s'allonge (ou s'assoit, c'est un peu confus) sur un des bureaux... finit par se recroqueviller sous le bureau du greffier. Les policiers, obéissant à la demande du magistrat, sortent l'avocate hors de la salle. Cette dernière décide de porter l'affaire devant les instances ordinales, potentiellement le CSM, voir le pénal, s'étant vue délivrer une ITT de 2 jours.
L'histoire est celle-là, à peu de choses près (source). Selon qu'on écoute la version du magistrat ou de l'avocat, elle diverge vers plus d'agressivité de l'un ou de l'autre. Bref... un conflit comme on en voit des milliers tous les jours.
Emballement immédiat sur Twitter :
Alors, aux Branquignolles, aujourd'hui, la police a trainé par les pieds une avocate en dehors d'un cabinet parce qu'elle refusait d'en sortir.
— Vincent Ollivier (@Lawsanddisorder) May 16, 2019
(précision étant faite que l'auteur de ce tweet est l'avocat de sa consoeur)
Et autres commentaires selon lesquels la police serait, parmi les choses invraisemblables, anormales, bref toutes les difficultés rencontrées dans ce nouveau tribunal... la police serait donc le pire changement.
Je m'arrête un instant: en cas de conflit entre un avocat et un magistrat, il doit être fait appel au représentant du conseil de l'ordre qui vient en médiateur. Et pendant ce temps, le magistrat doit interrompre l'audience. Il semblerait que tout le monde s'accorde là-dessus. Magistrats et avocats.
Petite précision de ma petite hauteur; j'avoue que je découvre cette règle. Et la comprend. Avec ce petit bémol: à la place des policiers auxquels on a fait appel... j'aurais obei à l'ordre de celui qui détient la police de l'audience, qui est une autorité. Oui, devant un policier, le magistrat, dans sa salle d'audience est une autorité. Qu'on le veuille ou non. Et en n'ayant pas connaissance de cette règle, j'aurais donc fait sortir cette avocate. Alors... 4, 5, 6, 8 policiers? On ne sait pas trop.
"on l'a trainée dehors par les pieds".
C'est ce qu'il ressort des récits, et autres articles de presse. Maintenant, comment aurait-il fallu faire? De quelle manière auraient dû procéder les policiers? Demander à l'avocat de sortir, déjà. Précision étant faite qu'à cet instant, donc, ils sont dans la position où ils doivent obéir au président d'audience. Parce que oui, je suis convaincu que, comme moi, les policiers engagés n'avaient pas connaissance de cette règle consistant à appeler un médiateur (ça doit désormais être le cas, j'imagine et espère qu'une note leur a été, depuis, adressée).
Rapidement un mot sur l'obligation qu'ont les policiers de ne pas répondre à un ordre manifestement illégal (on m'a soumis l'argument, donc j'y répond). Il est assez facile de ne pas obéir à l'ordre consistant à frapper, tuer, voler, quelqu'un... il est acquis pour tout le monde que c'est interdit. Mais dans le cas d'espèce, pour refuser d'obéir, encore eut-il fallu qu'ils sachent (sachiassent? c'est pas très jojo, donc restons-en à "sachent") que c'est illégal. Et même à cet instant, je crois qu'il ne s'agit pas d'une règle pénale (ou bien? si vous avez l'info, je la prend).
Nous avons donc des policiers, une autorité, le magistrat, et sa demande visant à ce que l'avocate soit sortie de la salle. Avocat qui se couche ou s'assoit sur une table, puis va sous un bureau... Mettons-nous un instant à la place des policiers... comment faire en sorte d'obéir à cet ordre (oui, on sait maintenant qu'il était illégal, oui) ? Comprenez qu'ils ont une obligation de résultat. C'est à dire qu'ils ne peuvent pas se contenter de dire "désolé madame la présidente, elle ne veut pas sortir" (imaginez la scène du policier les poing sur les hanches, l'air bien embêté, désolé). Qu'on le veuille ou non... ça n'est pas possible. Eh bien, tout aussi anormal que ça puisse paraître, les policiers vont s'organiser... et le nombre permet d'éviter la violence. Donc, le moins mal, c'est d'essayer de porter cette personne hors de la salle. Oui, ça fait désordre. Je sais. Je l'admet. Et plus que ça. Pour la personne qui le vit, ça n'est pas agréable, probablement est-ce vécu comme une humiliation, oui. Je l'entends. Notez que des situations de ce genre, où il faut séparer des parties, faire quitter l'une d'un endroit, les policiers, globalement, en voient très régulièrement. Et il est assez fréquent de devoir faire de la sorte, lorsque la parole n'est pas entendue, et qu'une partie refuse de l'entendre. On part d'une situation de dialogue, et ensuite, on gradue l'intervention fonction de la réaction. Mais il faut arriver au résultat.
Et, j'insiste et le rappelle encore une fois, puisque tout le monde s'accorde autour de cela. Le magistrat n'a pas à prendre cette décision au départ.
Et c'est le Président du Tribunal de Grande Instance qui le dit, dans un communiqué commun avec le bâtonnier de Paris:
Après, mon sentiment personnel, et là encore, qui n'engage que moi (notez bien toutes les précautions que je met): n'y a-t-il pas moyen d'en arriver à la même chose, c'est à dire prévenir l'ordre, faire bouger les instances administratives, que cela soit du coté des avocats (syndicat, bâtonnier, ordre des avocats), sans avoir à se cacher sous un bureau, et s'opposant physiquement? Enfin... je ne sais pas... mais je visualise l'image d'un avocat sous un bureau... et j'avoue que ça me fait un peu mal. S'opposer à la mesure était donc tout à fait normal. Mais peut-être qu'à un moment donné, il n'est pas utile d'aller jusqu'à l'opposition physique ! Que les voies de recours existent; même sur une décision administrative... il eut été aussi efficace de sortir et d'attendre le représentant du conseil de l'ordre qui aurait pu agir également. Parce qu'au final, vis à vis du dossier en question, qu'est-ce que ça change? il est renvoyé, et d'ailleurs que d'ici là, un autre magistrat en sera chargé, vu le litige désormais existant.
J'en reviens à l'histoire du mec... le flic, ex, peut-être futur... bref:
Une des demandes du conseil de l’ordre formulée hier est le retour de la gendarmerie qui connaît l’institution judiciaire et respecte tous les auxiliaires de justice le temps que nos jeunes policiers du Tribunal soient formés https://t.co/LaJVz5Bwh2
— PEYRON Marie-Aimée (@PEYRONA) May 22, 2019
Quand il voit ce genre de tweet, et d'autres, des avis tranchés, et très généralisants... eh bien le mec, ça le touche. Pourquoi? Après tout, il n'est pas concerné, non?
Parce que je me met à la place de ces policiers. Qu'on se dise bien certaines choses: aucun d'eux, je dis bien AUCUN n'est entré dans la police pour patrouiller dans un tribunal. Aucun. Maintenant, la surveillance de certains bâtiments est une mission de la Police Nationale, c'est ainsi. Il faut donc le faire.
Petit rappel: lorsque le palais de justice était sur l'île de la Cité, les gendarmes y officiaient. Plus précisément des escadrons de gendarmes mobiles, qui étaient là pour (de mémoire) 3 mois, en rotation. Donc une mission qui dure un certain temps. Et les gendarmes y officiaient parce qu'il s'agissait d'un batiment classé; ils sont tous sous l'autorité de la gendarmerie.
Là, donc, dans ce nouveau bâtiment, la Police Nationale a pris place. Comment cela s'est-il passé? Dans la mesure où c'est un nouveau service qui a été créé, un télégramme a été diffusé, afin que les volontaires fassent acte de candidature pour y être affecté. Surtout, j'imagine, des officiers, des gradés, donc les encadrant... Mais la plus grande majorité de ceux qui y sont affectés sortent de l'école de police. Cela doit représenter quelque chose comme 200 ou 300 jeunes policiers.
Une grosse partie d'une ou deux promotions... Et ces policiers ne sont pas là pour trois mois. C'est leur affectation. Et ils sont là pour au moins deux ans. Etant précisé que tous ne pourront pas partir en même temps.
Là encore une précision: ça n'excuse pas tout. J'ai vu, moi-même, des comportements anormaux. En ai entendu d'autres. Comme ce policier sortant d'un cabinet d'instruction pour un appel téléphonique personnel... c'est juste anormal. Ou les nombreuses difficultés lorsque les magistrats ont besoin de faire monter dans leur cabinet une personne détenue, qu'ils attendent parfois un certain temps...
Maintenant jeter l'opprobre sur un service complet, sur une entité, en leur faisant bien comprendre qu'ils sont bons à rien... ça me gêne. Beaucoup. Parce que même s'il y a des comportements inacceptables, il y a, dans ce service, de nombreux policiers qui essayent de tenir le rôle auquel ils sont astreints. Et qui le font correctement.
Enfin, un dernier rappel: les règles internes du palais de justice (comme l'usage des téléphones portables dans les audiences), sont définies par la présidence, et les policiers sont tenus de les faire appliquer. C'est lourd; moi-même, lorsque j'ai assisté à une audience, à peine ai-je eu le temps de sortir mon portable qu'on m'en faisait la remarque... eh bien... je suis sorti. Même pour envoyer un SMS. Mais, une fois encore, c'est une règle globale qu'on leur demande de faire appliquer...
Tout ça pour dire que généraliser, et demander à les évincer peut-être mal vécu. Et c'est ainsi que moi je l'ai pris. Parce qu'il est facile de se mettre à leur place. Parce qu'il y a vingt ans, sortant d'école, j'aurais pu en être. Et que probablement, ça n'aurait pas été des plus motivants pour commencer une carrière...
Enfin, pour ce qui est du litige particulier dont il est question plus haut.. peut-être qu'on peut s'accorder pour dire que les torts sont partagés; quand bien même la décision de départ de faire sortir l'avocat n'est pas la bonne.
Et c'est bien souvent le cas dans les litiges... la vérité est souvent au milieu. Mais ça, on a de moins en moins la volonté de le voir, chacun y allant de sa hargne, de sa vérité. Sans trop prendre un certain recul. Chacun y voyant à la hauteur de sa fenêtre.
Alors oui, je suis ce petit flic, qui ne l'est plus trop... qui ne sait pas trop où il est, d'ailleurs... Mais qui essaye, à son petit niveau, d'observer ce monde des flics/avocats/magistrats, avec un peu de recul, et d'analyse. Et sans pour autant que ça ne me donne raison. Sans que ça ne consntitue une vérité. Mais j'ai pour moi cette volonté de ne pas hysteriser les débats, et de ne radicaliser aucune position.
Parce que, avant d'incarner nos professions, nous sommes aussi des femmes et des hommes, avec leur faiblesses. Aussi. Et parfois, ils peuvent aussi se tromper, faire une erreur, de bonne foi (parfois de mauvaise, oui). Ça n'en est pas moins humain.