Gilets jaunes vs Gouvernement: au milieu, gendarmes et policiers livrés en pâture

CREDIT: YANN BOHAC / SIPA

Qu'il est difficile d'être policier, en ces temps troubles. Et, plus particulièrement lorsque votre mission consiste à du maintien de l'ordre. J'ai eu du mal, samedi, à m'extraire de ces images qui passaient sur les chaînes d'info en continu. Elles n'étaient, cette fois-ci, pas en boucle, témoignant, en direct, de ce qu'il se passait, notamment, dans la capitale parisienne.

Et j'étais effaré. Apeuré. J'étais, moi, assis sur mon canapé. Et mes collègues, étaient, eux, au milieu de ce qui avait tout d'une guerre civile. Et à chaque instant, je m'attendais à ce survienne un drame. Un manifestant ou un policier, pris dans la guérilla, gravement blessé, ou pire. Je sais qu'un manifestant est encore, à cet instant, dans le comas, après qu'une grille l'ait écrasée, aux tuileries. Mais, aussi grave cela soit-il, il n'est pas dû directement aux affrontements. Mais directement à la connerie (pardonnez-moi le terme) de ceux qui n'ont eu d'autre idée que de dégonder ces grilles.

Froid dans le dos, et c'est un euphémisme, lorsque je voyais des colonnes qui devaient traverser la place, probablement pour rejoindre un point qui leur était assigné. Ces mêmes colonnes prises à revers par des groupes de manifestants... regardez, depuis l'intérieur, ce que ça donne:

Et cette impression que les casseurs "jouaient" avec les forces de l'ordre; chassés sur un grand axe par ici, s'enfuyant par une rue adjacente et recommençant par là...

Nous avions là tous les ingrédients, explosifs, d'un mouvement de foule sans aucune organisation. L'on comprend mieux, ainsi, pourquoi les manifestations sont et doivent être encadrées.  A aucun moment, il n'a été possible de scinder gilets jaunes "pacifistes" des casseurs. Ce qu'aurait pu faire un dialogue entre autorités de la Préfecture, et une organisation structurée des manifestants. Dans la mesure où chacun est venu avec son petit groupe, il n'y avait donc aucune possibilité qu'à un moment donné, une décision globale soit prise. A l'image du 1er mai, où le cortège des manifestants (oui, c'était un cortège, donc encore différent d'un rassemblement) a été séparé de celui des casseurs, qui ont donc été isolés.

On a l'impression que là, les forces de l'ordre se sont trouvé dans l'impossibilité totale d'isoler les casseurs, qui étaient très mobiles. Probablement, comme cela m'a été dit, que, vu la configuration des lieux, la partie était, quelque part, perdue d'avance, et qu'il n'y avait plus qu'à essayer de limiter la casse. Et en cela, je veux dire, éviter le pire, avoir un mort; d'où qu'il vienne.

Et pourtant, à écouter les observateurs qui étaient au milieu, il y a bel et bien une nouvelle donne: nous avons, habituellement, des casseurs, extrémistes de tous bords, qu'ils soient anarchistes ou de ce que l'on appelle "l'ultra droite". Je fais peu de différence, tant je n'ai rien à voir avec ces gens-là qui ne font en sorte que d'exacerber les haines. Mais on a eu à faire, là, à des gilets jaunes, dont certains, probablement de plus en plus, se radicalisent. Des gens qui ne font partie d'aucune mouvance connue, mais qui, devant une situation politique et sociale qui s'enlise, n'hésitent pas à faire preuve de violence, estimant que la seule façon de mettre la pression sur le gouvernement, c'est de multiplier les actes du genre. Il n'y a d'ailleurs qu'à voir certains gilets jaunes qui sont sur les plateaux de télévision, qui ont du mal à dénoncer la violence; certains ayant même peur pour eux-mêmes. Ce qui est un comble.

Et, je constate, un peu circonspect, que cela fonctionne. Puisque nous tous, demandons au gouvernement, d'avancer sur le sujet. Non pas sur la base du mouvement "gilets jaunes" en tant que tel, mais plus à la lumière des débordements que l'on ne souhaite plus voir. C'est tout de même assez étrange. Cela revient à dire que la violence et les débordements sont les seuls moyens de faire bouger un gouvernement. Et ça, c'est plutôt mauvais signe.

J'en reviens à la gestion du MO du week-end. Et je rappellerais, une fois encore, cette lettre du Préfet Grimaud, en mai 68, que j'avais publiée ici. Cette lettre est-elle dépassée? Non, aucunement? Elle est écrite dans une période trouble, où les forces de l'ordre sont prises à partie de façon intense et violente. Que l'on soit en 68 ou en 2018, c'est la même chose. Notre devoir de policier n'a pas changé entre temps. Il est toujours le même. Maintenir et/ou rétablir l'ordre. Procéder à des exactions personnelles, non. Et je dis cela tout aussi humblement que je reconnais sans aucune difficulté que je serais incapable de faire ce que ces hommes et ces femmes ont fait samedi. Rester plus de douze heures sous les gaz lacrymogènes, à devoir faire attention de ne pas prendre un projectile, d'où qu'il vienne, ou pire encore... ce qui nécessite une concentration de tous les instants. Alors que l'on sait l'état d'épuisement dans lequel se trouvaient déjà les forces mobiles, en France. Je crois que, pour comprendre l'autre, il faut aussi arriver à se mettre à sa place.

Aussi, face aux images que j'ai pu voir, sur les réseaux sociaux, sur lesquelles l'on voit des forces de l'ordre frapper des manifestants à terre: je ne peux que le regretter. Cela ne doit pas arriver. Pour faire le parallèle avec le Préfet Grimaud, probablement que les gendarmes ou policiers ont gagné cette "manche"; probablement que leur intervention arrive en réaction de ce qui n'est jamais filmé. Comme l'a dit Grimaud:

"nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c'est notre réputation"

Et pourtant...

"Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière"

Probablement que ça soulage, sur le coup... Mais au final? Comment être crédible, aux yeux de la population, si nous nous adonnons aux mêmes exactions que ceux que nous dénonçons? Comment, ensuite, aller dire aux gens qu'on ne comprend pas le désamour de la population, si l'on se met au niveau de ceux qui nous exècrent, et ne respectent aucune règle? Nous avons, policiers, seuls, autorisation d'user de la force légitime. N'outrepassons pas ce droit, ne donnons pas d'argument à ceux qui ont trop de faciliter à nous hair, nous décrédibiliser aux yeux de tous.

Enfin, sur ce sujet, parce que je n'étais pas présent, dans la manifestation, samedi, je n'aurais pas le droit d'avoir un avis de la sorte? Faut-il, à tous prix, tout soutenir? ne doit-on pas être capable d'être un tant soit peu critique, nous-même, de revenir sur ce qui a été moins bon? Parce que c'est difficile, on accepte tout? Pour faire un parallèle, cela reviendrait à dire que, sur un terrain d'affrontement, en temps de guerre, on devrait tout accepter, les viols, et autres actes du genre... "parce que c'est difficile" ? Non.

Mais j'insiste, et je le répète, parce que c'est important, aussi. J'aurais probablement été incapable d'enfiler un uniforme de MO et de tenir, sans sourciller, une journée comme celle-là. Qu'aurais-je fais à la place d'un CRS, après 10 heures sous les gaz lacrymo, à m'en prendre plein la tête, lorsque mon chef m'aurait donné l'ordre d'évacuer un restaurant dans lequel se sont regroupé des casseurs que la compagnie poursuivait depuis qu'ils avaient jeté des pavés et mis le feu au mobilier urbain? Oui, il faudrait les évacuer. Interpeller... oui, mais au fait? qui? et pourquoi? lorsque l'on poursuit un groupe cagoulé, dans lequel tout le monde se ressemble... comment fait-on pour identifier individuellement telle ou telle personne? L'interpeller... mais pour quoi? Mettons-nous toujours, un peu, à la place de l'autre, que l'on peut, si facilement critiquer.

Et là, je vais sur le pan judiciaire de l'action de police... L'on sait tous, à force, que la majorité des personnes interpellées sur des théâtres de manifestation ne sont pas les plus radicaux. Parfois ceux qui "courent le moins vite", pour faire dans la facilité. Mais avec quels moyens de preuve? C'est là toute la tâche d'un service d'enquête ou de la justice. Recouper des éléments de preuve objectifs, autres que la simple présence dans un groupe qui... A ceux qui demandent à la justice d'être "intransigeante", je dis ceci: arrêtons ces discours qui tend à, quelque part, mettre la pression sur les magistrats, façon de pouvoir dire, plus tard "regardez, on les a interpellé, mais ils sont condamné à des TIG", tout en poursuivant sur le refrain de la "justice laxiste". Que chacun fasse son travail. Il ne sert à rien de dénoncer le voisin. Nous avons, dans cette "chaîne pénale", tous un rôle. Respectons-nous, les uns les autres. Et s'il y a des dysfonctionnements, que l'on n'est pas satisfait du traitement judiciaire pour telle ou telle raison, c'est au legislateur de pallier aux carences. N'oublions jamais que les policiers, comme les magistrats, ne font toujours qu'appliquer la loi votée par le pouvoir législatif.

Enfin, je terminerai par ce qui me semble être, la "théorie du complot" que l'on voit passer, encore, ici et là, et à laquelle certains, encore, donnent du crédit, ne faisant qu'attiser les "fakenews" de la sorte. Je parle de ces "policiers, déguisés en voyous, qui vont casser", tout ça dans le but de "servir la macronie" (sous entendu). Avant cela, c'était la "Sarkozye", etc... J'aimerais juste dire que, pour interpeller des casseurs, être au plus près de ce qu'ils font, pour renseigner les autorités sur leur mobilité, et tenter d'avoir le moins de retard possible sur eux... Le mieux est encore d'être mêlé à eux physiquement. Ce n'est pas en arborant un brassard "police" que vous arriverez à faire quoi que ce soit de concret. Donc oui, probablement que des policiers, en civils, se sont mêlés aux casseurs. Mais certainement pas dans le but dénoncé par les agitateurs, adeptes du complot. Eux ne font pas du maintien de l'ordre. Ils sont utilisés, soit pour faire du renseignement, soit pour isoler et interpeller tel ou tel casseur, au plus près. Et contrairement à l'idée reçue, imaginez bien la difficulté de la chose si l'un d'eux venait à être découvert.

Que le bon sens de chacun prenne le dessus, que l'on soit en capacité de réfléchir, un peu, tous, à notre niveau. Que l'on soit policier, ou citoyen. N'oublions pas que, potentiellement, tous les policiers pourraient être des gilets jaunes. Les policiers ont les mêmes soucis que tout le reste de la société. Y compris pour boucler leur fin de mois.

A nos dirigeants, enfin, et les "corps intermédiaires", que sont les partis politiques, les syndicats, de faire en sorte que la violence et l'insurrection ne soient plus le seul moyen d'obtenir quelque chose. A nos gouvernants, je me permettrais simplement cette petite phrase: comment faire comprendre à quelqu'un qu'il faut payer pour l'écologie, lorsque cette personne ne sait pas comment elle va finir le mois? Lui demander de faire des efforts pour les futures générations, alors qu'elle n'a même pas de quoi subsister est un non sens. Aux politiques de trouver les ressorts. Pour le bien de tous.

Et enfin, aux "gilets jaunes", je leur demande de s'organiser. Il n'y a pas pire mouvement que celui qui vient de partout, et à la fois de nulle part, qui demande l'alpha et l'oméga sans aucune concentration des idées. Vous voulez un mouvement apolitique. Alors que l'essence même du mouvement est politique. Et ce n'est pas un gros mot, que de le dire. Encore faut-il l'assumer. Et aller jusqu'au bout de l'idée. Mais, utiliser le web 3.0 et regarder des soit-disant représentants qui, sur les trois quarts de leurs vidéos, disent des âneries qui ne trouvent leur source dans rien de concret, ça n'est pas une solution. Faire un "loft story" de la politique, à celui qui aura le plus d’audience sur Facebook n'est certainement pas une solution pour mettre fin à la crise, encore moins pour diriger un mouvement. Sauf à vouloir nous retrouver à l'image des Etats-Unis, dirigés par un Président et un gouvernement qui n'avance que par l'émotion, contre toute réflexion. Et c'est précisément ce qui a mené le monde à la dérive dans les années 30. On connait le résultat; Hâtons-nous de ne pas reproduire les erreurs du passé. Pour ceux qui sont morts. Nous avons là une responsabilité collective.