En plus d'être la période des congés scolaires, des départs en vacances,chassé/croisé juillettistes et aoûtiens, ces deux mois sont souvent l'occasion, pour les policiers, de profiter d'une mutation; Une page qui se tourne, pour ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. Pas toujours évident. Mutation province, changement de direction... Quelle qu'elle soit, elle synonyme de grand changement dans la vie du policier.
Aussi, je me suis entouré de deux collègues policiers qui, eux aussi, vont "muter" cet été. Non pas qu'ils vont se transformer en gargouille (encore que, pour l'un d'entre eux, on pourrait se poser la question), mais ils vont découvrir un tout autre univers qui est le leur. L'occasion de se retourner sur les dernières années professionnelles de leur vie, et d''en faire un petit bilan.
La parole est à @sardevrk :
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Et voila, après presque dix-huit ans de vie commune, dans quelques semaines je vais te quitter, toi, la police judiciaire, ou plutôt la procédure pénale. Oh pas celle de la grande Maison PJ, non, celle du quotidien, celle de l’urgence, celle du bricolage, celle de l’article 22, celle de la sécurité publique.
18 ans à se lever régulièrement au milieu de la nuit pour aller chercher des bandits,
18 ans à bosser certains week-end, à louper Noël en famille, les anniversaires, à partir tôt, rentrer tard …
18 ans passés aux quatre coins de la France
18 ans dans des services divers,
18 ans d’adrénaline, 18 ans de pain-pâtés-pinard (le fameux 3P), 18 ans d’affaires sordides, d’affaires sensibles, d’affaires heureuses, d’affaires tristes, d’affaires qui finissent bien, d’affaires qui finissent mal, d’affaires qui te réveillent la nuit, d’affaires qui te touchent, d’affaires qui t’énervent …
Ma préférence …
Dés que je t’ai connue, j’ai su que toi et moi on ferait un bon bout de chemin ensemble. J’ai même cru que ce serait pour la vie. Alors que j’hésitais encore à rester dans la police, il m’a suffit d’un stage, un seul, quelques jours dans un service d’investigations et recherches pour comprendre que c’était ce que je voulais faire et que mon avenir passait forcément par toi. Bien sûr, j’ai fait la fille pas intéressée, je suis d’abord allée « faire du terrain » comme on dit. C’est finalement toi, qui m’as choisie, très rapidement d’ailleurs, en moins de 2 ans je t’ai rejointe. Seule femme parmi tous ces vieux « inspecteurs » qui râlaient : de leurs nouvelles appellations, leur trouvant une sonorité trop militaire, de voir des ordinateurs remplacer « leurs batteuses », avec même quelques récalcitrants qui s’accrochaient à leurs vieilles plaques de bureau. Très vite, on a franchi un cap, le bloc OPJ, notre PACS a nous ... On s’est retrouvées liées toutes les deux. Pour te plaire, j’ai appris à rédiger un procès-verbal de garde à vue qui tenait sur 2 pages, diligences comprises. J’ai appris la méthode « canadienne », à faire plusieurs auditions sous différents angles aux fins d’en dégager, si ce n’était la vérité, une trame plausible du déroulement des faits. C’était notre lune de miel, tout était si simple. Pendant un temps j’ai cru te maîtriser, puis la routine s’est peu à peu installée. Une mécanique bien huilée, simple dans sa forme pour laisser la place au fond. Mais quelques nuages sont venus assombrir notre horizon. Tu t’es faite plus pointilleuse, les lois GUIGOU d’abord, puis PERBEN et tant d’autres réformes depuis. J’ai du alors faire quelques efforts pour m’adapter à tes changements. Bien sûr, toutes tes transformations étaient dans un souci d’équité et de respect des droits de la défense. D’aucuns citeront l’arrivée de l’avocat en garde à vue, gros chamboulement dans ma vie d’OPJ … Ils auront en partie raison, mais pas que. Pour ma part, malgré la contrainte de timing, je trouve que finalement ce n’est pas si négatif l’avocat en garde à vue, sa seule présence apaise parfois les tensions qui surgissent et rassurent le gardé à vue qui se montre moins sur la défensive, mais c’est autre sujet. Non, ce qui nous a perdues toutes les deux c’est ce poids que tu as pris, ce sont tous ces petits procès-verbaux normalisés qu’on nous a imposés au fil du temps, là où une simple mention suffisait autrefois. Tous ces petits actes ajoutés aux uns aux autres – « Oh, ça changera pas grand-chose, un procès-verbal de plus ou du moins … ». Et bien, si, au final ça change beaucoup de choses. Parce que dans notre couple s’est immiscé une variable devenue particulièrement enquiquinante : LE TEMPS.
Le temps de te mettre en conditions, le temps du Parquet, le temps de l’administration elle-même …
Avec le temps va tout s’en va ...
En sécurité publique, bien souvent l’OPJ est seul pour gérer sa garde à vue. Seul, c’est perdre plus de temps à mettre en état sa procédure qu’à réellement faire notre boulot : établir des faits. Parce qu’aujourd’hui, ma chère procédure on perd beaucoup plus de temps à te rendre belle. Aujourd’hui, la forme l’emporte sur le fond et peu importe tant que les index 4001 tournent ... Oh bien sûr tu n’es pas la seule à blâmer, les nouvelles technologies et les contraintes d’investigations qui y sont liées t’ont aussi considérablement alourdie mais ce n’est pas seulement ça. Inutile de te rappeler le temps de l’avocat, qui nous fait perdre encore un peu plus de temps, c’est inéluctable (pas l’avocat hein, le délai de 2H00). Moi, je me souviens au début de notre idylle, de l’époque, où dans mon petit TGI de province, on déférait à n’importe quelle heure, ou presque. (Ok, le JLD n’existait pas …) A l’heure actuelle et à l’instar de la société, il faut que ça aille vite. Fini les préliminaires ma jolie procédure, il faut aller droit au but. On défère en fin de matinée pour une comparution immédiate à 14H00, si la GAV date de moins de 24H00. Sinon à 09H00 le lendemain matin ou à 14H00 pour le parcours JLD, faudrait voir à finir avant 18 :00 quand même … Et puis, tu t’es montrée de plus en plus exigeante et rigide, figée dans un carcan normatif. Pour te plaire on s’est dit que plutôt que chacun adapte ses façons de faire, on allait uniformiser un peu tous ces procès-verbaux. On nous a d’abord donné un nouvel outil de rédaction. Il a fallu s’adapter aux bugs, aux couacs, aux coupures de réseau intempestives, puis on nous a crée des modèles. C’ était une fausse bonne idée, ils sont à choix multiples pour la plupart : on perd plus de temps à effacer ce dont à pas besoin, qu’à rédiger rréellement. Mais surtout ma procédure, là où avant toi et moi on flirtait à toutes heures, c’est devenu presque impossible. Pourquoi ? Mais à cause des heures supplémentaires ! Donc fini nos soirées en tête à tête, les auditions quand le service est calme, fini les mises en pages tardives et les rapports de synthèses rédigés au calme, on a fait de moi une fonctionnaire : si possible pas d’heures en-dehors de celles fixées par le règlement d’emploi de la police nationale et le cas échéant, je dois maintenant me justifier pour ces petites entorses à la bible …
Curieux paradoxe que cette police judiciaire de la sécurité publique qui depuis la départementalisation, est passée d’un modèle généraliste à une spécialisation en groupes et unités avec des thématiques bien précises. Se voulant une copie de la PJ mais qui dans son fonctionnement tend vers une logique d’économie, d’heures supplémentaires, de fonctionnaires et de moyens matériels. Une logique de rentabilité où le quantitatif prime sur le qualitatif.
Misère, misère …
Enfin, je crois que le plus grand mal de cette police judiciaire du quotidien, c’est la déliquescence elle-même de cette qualification d’O.P.J. On me reprochera de faire vieille réac en le disant, mais depuis 7/8 ans maintenant je vois quelques collègues partir et revenir de cette formation sans grandes connaissances en droit et procédure pénale. Bon ils sont au top sur la recherche d’infraction dans le code, mais ignorants du fonctionnement réel de notre justice, ne sachant pas toujours faire la différence entre délit/contravention flag/prélim, … J’ai vu des personnes obtenir ce fameux bloc alors que 15 ans auparavant, ils n’auraient jamais mis un pied dans un service d’investigation (j’ai des noms !). Je vois des procès-verbaux qui ne sont que des conglomérats de morceaux de phrases recopiées à droite et à gauche qui ne veulent rien dire. Je vois des procès-verbaux de constatations sur des faits criminels de 2 pages, mentions comprises ; je vois surtout une hiérarchie qui se moque de cette paupérisation de la procédure, du moment que les index 4001 sont les bons et que des faits élucidès sont comptabilisés. Je vois aussi de bons O.P.J., très bons rédacteurs qui se voient reprocher le temps perdu en audition et qui las de se voir remontrer un « rendement »moindre, se contentent maintenant du minimum vital en procédure. . Je vois une police où l’obtention de la qualification d’OPJ est devenue presque une formalité et ce, au détriment de des capacités rédactionnelles, d’analyse et décisionnelles nécessaires.
Oui je suis nostalgique de mes vieux inspecteurs rugueux, On a fini par s’apprivoiser, j’ai beaucoup écouté ces flics, ils m’ont transmis un savoir faire exceptionnel. Je me souviens de mon chef, Inspecteur Divisionnaire qui corrigeait toutes mes tournures de phrases et mes fautes au feutre rouge par de grands « Quid de l’orthographe, Quid de la syntaxe … » A leur contact rugueux, j’ai surtout appris mon métier, les auditions de « chique », l’importance des enquêtes de voisinage, l’importance des témoins improbables ; J’ai appris à « gratter » intelligemment. 18 ans plus tard, leurs conseils m’accompagnent toujours et c’est avec plaisir que les transmets. Et à l’heure où on nous annonce une simplification de la procédure pénale, je ne vois qu’une logique comptable. Moins de copies, moins de tampons ne simplifient pas la procédure, ils font croire à l’enquêteur qu’il ne perd plus son temps à des tâches rébarbatives. Il pourra donc se concentrer sur cette foutue photocopieuse qui bourre toutes les 10 feuilles, ce réseau parfois (souvent) défaillant…
Ma chère procédure, devant toutes ces embûches dressées sur notre route, il est temps maintenant que nous nous séparions, parce que, oui je suis lasse de faire plus de paperasses de mise en état que d’actes d’investigations et ce, au détriment de l’enquête. Parce que faire une procédure en moins de 4H00 pour « cadrer » avec le tempo imposé me gonfle. Parce qu’aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression de ne plus faire mon travail correctement et que cela ne dérange pas grand monde sauf moi. Parce qu’aujourd’hui, je ne te trouve plus le charme de nos débuts. Et puis, j’arrive à l’âge des remises en question et il est temps pour moi de sortir de ma zone de confort, de relever un nouveau challenge et de retrouver un peu d’émulation intellectuelle. C’est donc presque sans regrets que je quitterais la sécurité publique prochainement
Au crépuscule de ma carrière judicaire (merci Chris), je ne me retrouve plus dans cette procédure pénale devenue, mécanique, sans reliefs ni saveurs. C’est donc sans regrets, ou presque que je vais quitter la sécurité publique. . J’y ai vécu des moments formidables, des engueulades, des rigolades mais aussi des drames, si bien qu’un morceau de mon cœur de flic y restera toujours ancré. Un chapitre se clôt, à moi d’écrire le suivant …
J’émettrai quand même un petit bémol, mon cœur se serre un peu à l’idée de ne plus aller jouer l’ami ricoré le matin, parce que le côté « action » de la procédure est bien l’un des seuls à n’avoir pas beaucoup évolué et reste donc toujours aussi « excitant ».