Nantes: Un mort et beaucoup de questions

SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP)

Le 3 juillet dernier, un homme est mort, à Nantes, des suites de l'intervention d'un équipage de la Police Nationale. Des CRS. L'auteur du coup de feu est aujourd'hui mis en examen pour "violences volontaires avec arme ayant entraînées la mort sans intention de la donner". Il a été placé sous contrôle judiciaire. C'est une instruction qui a donc été ouverte. Les investigations se poursuivent, sous la direction, désormais, d'un Juge d'Instruction.

LES FAITS

Il est à peu près 20h30, mardi soir, dans le quartier du Breil, à Nantes. Un équipage de CRS décide de procéder au contrôle d'un véhicule et de son occupant. Au volant, Aboubacar Fofana, 22 ans. Au cours du contrôle, ce dernier aurait donné une fausse identité, avant que les policiers ne s’aperçoivent qu'il faisait l'objet d'une fiche de recherches dans le cadre d'un mandat d’arrêt, relatif à une affaire de «vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs». Au cours du contrôle, un coup de feu part. Le conducteur est touché à la carotide. Emmené à l’hôpital, il y décédera.

Dans un premier temps, le CRS explique avoir agi en légitime défense, expliquant que le conducteur avait fait une marche arrière, mettant en danger un de ses collègues, ainsi que des passants (les versions exactes, diffusées dans la presse divergent). Version corroborée par les autres CRS présents. Vingt quatre heures plus tard, le tireur est placé en garde à vue par l'Inspection Générale de la Police Nationale. Au cours de cette garde à vue, durant laquelle il est assisté de son avocat, Laurent Franck Liénard, il changera de version, expliquant désormais qu'il se serait agi d'un "accident". Le conducteur aurait voulu se défaire du contrôle, et à cet instant, une main dans l'habitacle, et l'autre en ayant l'arme à la main, le policier aurait tenté de tourner le volant, moment où le coup de feu serait parti, blessant mortellement Aboubacar Fofana.

LES QUESTIONS QUI SE POSENT

Il est bien évident que je connais aucunement le dossier, ne pouvant me referer qu'aux articles de presse qui sont parus depuis. Quelques questions se posent, autour de plusieurs aspects:

La version contradictoire

Il y a effectivement une grande différence entre la première version donnée, et celle au sortir de la garde à vue. Si la seconde se confirme durant l'instruction, il sera bien évidemment question d'un mensonge. A la fois du tireur, mais aussi des autres policiers présents. A cet instant, il semblerait que seul le tireur soit mis en examen. Et seulement eu égard au décès survenu durant l'intervention.

Si le mensonge se confirme, il serait donc question de "faux en écriture publique", infraction défini à l'article 441-4 du Code Pénal. Pour faire simple, l'écriture publique serait constituée si les policiers ont diligenté une procédure pénale immédiatement après les faits. Ce pourrait être le cas, s'ils avaient estimé avoir été victime de violences volontaires, avec arme, sur personne dépositaire de l'autorité publique, ce qui serait constitué par la première version des policiers. Et le faux serait constitué par le mensonge qui serait démontré, eu égard à la réalité des faits. On pourrait penser que cette procédure existe, puisque la Police Judiciaire de Nantes a été co-saisie avec l'IGPN. A part ce volet d'investigation, je ne vois pas pourquoi ils l'auraient été ! (mais il est aussi possible que quelque chose m'échappe à cet instant)

Toujours est-il que, à cet instant, ni le tireur, ni les policiers, n'ont été mis en cause sur ce volet. Ce qui ne veut pas dire que ça ne viendra pas.

La qualification des faits retenus

De ce qui est relayé par la presse, la qualification retenue par le parquet, lors de l'ouverture d'information, est "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner; cette infraction figure à l'article 222-7 du Code Pénal. A ce jour, l'autorité judiciaire estime donc que le policier a commis des violences de manière volontaire; et que celles-ci ont entraîné la mort, de façon involontaire. Selon le Procureur de la République, Pierre Sennes, au cours d'un "corps à corps", entre le policier, pour partie dans l'habitacle, et le conducteur. Mais cette qualification pose également problème:

 

Certains imaginent donc, aussi que pourrait être retenue la qualification d"homicide involontaire", prévue à l'article 221-6 du code pénal.

En ce qui concerne les peines, les violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner sont punissables de 15 ans de réclusion criminelle. Alors que l'homicide involontaire est punissable de 3 ans. Comme le dit @jjalmad, on part du principe (dans notre discussion) que la thèse de l'homicide volontaire, c'est à dire que le policier ait volontairement tué le conducteur a été écartée.

A titre personnel, je n'ose penser qu'un policier ait pu, volontairement tuer quelqu'un. Mais attendons la suite de l'enquête.

La thèse accidentelle

Revenons-en aux faits. Directement. De la dernière version livrée par le policier, on peut imaginer les faits de la manière suivante: au cours du contrôle, le policier attrape le volant de la main gauche (ce qu'il dit, même si je ne vois pas quelle utilité cela aurait pu avoir !), tout en ayant son arme dans la main droite, en direction du conducteur. C'est à cet instant que le coup est parti.

Quelques explications sur l'arme SIG SAUER SP2022, en dotation dans les services de police, de gendarmerie, et de douane, en France.

Avant tout:

Pour être un peu plus précis voilà ce qu'est une sureté manuelle

En gros, lorsqu'elle est présente sur une arme, cette sûreté s'enclenche de manière volontaire par le tireur, ce qui empêche mécaniquement le tir. Vous avez beau appuyer sur la détente, le coup ne partira pas, les mécanismes de l'arme sont, dans cette position, neutralisés. Cette sûreté n'est pas présente sur le SIG SP2022 en dotation, que voici:

Cette arme dispose de plusieurs sécurités mécaniques, internes à l'arme. Avant tout, la première cartouche, lorsqu'elle est chambrée (obligatoire pour un policier qui est sur la voie publique) est automatiquement tirée en double action. C'est à dire, comme l'explique @M_I_K_40  , que le chien de l'arme n'est pas à l'armé, et qu'il faut donc exercer une pression plus forte pour que le premier coup parte (entre 5 et 5.5kg de pression). Après celui-ci, le chien reste armé, et les tirs suivants ne nécessitent donc que des pressions légères sur la queue de détente (entre 1.5 et 1.7kg de pression). Sauf si le tireur actionne le levier de désarmement, ce qui aura pour effet de ramener le chien au repos.

Pour ceux qui veulent aller plus loin, vous trouverez, ici, une notice que je trouve bien faite, du fonctionnement de l'arme en dotation chez les forces de l'ordre, en France.

Pour en revenir aux faits. Il est enseigné, par tous les moniteurs de tir de la police (et j'imagine des autres institutions), que le policier doit avoir, systématiquement, le doigt le long du pontet, c'est à dire le long de la carcasse. Celui-ci ne doit aller sur la queue de détente que lorsque un risque se présente.

C'est, je pense, là que se joueront beaucoup de choses. Y a-t-il eu un risque imminent pour le policier ? S'est-il senti en danger en apprenant l'existence de la fiche, eu égard à la nature des infractions? Ou de part son attitude? Le tireur a-t-il commis une erreur de manipulation en ayant le doigt sur la queue de détente? Est-ce que le policier avait, sur le terrain, de manière habituelle, son arme en simple action (ce qui n'est PAS préconisé par l'instruction au tir) ? Les policiers de l'IGPN, sous la direction du magistrat instructeur, tenteront de répondre, notamment, à ces questions. Avant que le policier ne soit renvoyé vers une juridiction de jugement.

Ce qui est certain, c'est qu'un homme est mort, à priori dans des circonstances qui n'ont pas lieu d'être, et c'est dramatique. Et de l'autre coté, pour le policier, comme le dit son avocat, "Il a tué quelqu'un, il a menti, il va être poursuivi, il n'est pas joyeux. C'est le monde qui s'effondre, c'est sa carrière qui s'écroule. Tout s'effondre".

 

PS: je présente mes excuses à tous les armuriers ou moniteurs qui pourraient lire. Je n'ai pas l'exacte connaissance des terminologies de l'arment; j'espère avoir fait le moins de faute de vocabulaire possible.