Parce qu'il est toujours nécessaire de dialoguer, il m'est apparu intéressant de laisser la parole à une idée divergente, qui ne fait pas forcément consensus. A la suite d'une discussion sur les réseaux sociaux, le format n'était pas forcément des plus adaptés, j'ai préféré laisser la parole dans le cadre de cet espace, afin de pouvoir argumenter au mieux les idées. Le thème: les contrôles d'identité, et plus particulièrement ceux qui se font en application de l'article 78-2 du Code de Procédure Pénale, et encore plus spécifiquement "sur réquisition du Procureur de la République".
Aussi, j'ai fait appel à Xorizo, qui est Officier, chef d'une unité de police en région parisienne.
Étant précisé qu'il ne sera pas, ici, question, du contrôle au faciès (peut-être objet d'un article distinct ultérieur), mais de l'efficacité de ces contrôles.
Je laisse la plume à M l'Officier, Xorizo.
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Présentés comme peu efficaces et propices aux comportements discriminatoires de la part des forces de l’ordre, les contrôles sur réquisitions devraient-ils être abandonnés ?
Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. (Article 78-2 du Code de Procédure Pénale).
4 %.
4 % « seulement ».
Ou l’histoire d’un chiffre qui n’a rien demandé à personne et auquel on fait dire n’importe quoi.
4 % : ce serait donc la proportion de contrôles entrepris dans le cadre de réquisitions du Procureur de la République qui aboutissent à une interpellation.
Ce chiffre incontestable a été établi selon une étude très sérieuse menée ici et là sur la base d’un protocole super sérieux par un gars qui sait de quoi il parle, ayant pignon sur rue, qui a publié dans les revues scientifiques les plus prestigieuses, bla, bla, bla, etc.
Retour sur une discussion entre professionnels un jour où le débat s’engage, courtois mais animé. Ce chiffre fait polémique. Le mode de contrôle lui-même finit par faire polémique.
Mais d’abord, répondons à la question qu’on pose toujours avant d’entrer dans l’arène : « d’où est-ce que tu parles ? ». Pour faire court, ma carrière, essentiellement parisienne, s’est en grande partie déroulée sur le nord de la capitale. Dans des services d’investigations d’abord, puis à la tête d’unités de voie publique spécialisées (BAC, brigades d’appui, etc). J’occupe aujourd’hui un poste de commandement dans un service de région parisienne.
Notons que ce jour-là, mes interlocuteurs sont des collègues affectés dans des services spécialisés de police judiciaire. Je me permets cette précision car même en prenant tout le recul (ou la hauteur) attendu d’hommes de bonne foi, notre fonction influence toujours notre point de vue. Comme ma mémoire est vacillante (et sélective), que je ne sais plus vraiment qui a dit quoi et qu’il n’est pas impossible que j’invente un peu, nous regrouperont ces sinistres bonimenteurs sous l’appellation le péjiste (sans malice et avec tout mon respect).
Le péjiste donc, brandit les résultats de la fameuse étude du brillant sociologue. « seuls 4 % des contrôles débouchent sur l’interpellation de la personne qui en fait l’objet ». Il accompagne sans complexe la thèse orientée du chercheur qui a décrété que ce score n’était pas satisfaisant : « Tout ça pour ça. Quand même, c’est pas beaucoup ! ».
Tout ça : des contrôles de personnes choisies par des policiers à qui le procureur a laissé carte blanche dans la sélection des clients (dans le respect des lois et de la déontologie bien entendu). Donc vous imaginez bien : des contrôles à la tête du pékin ! De quoi prêter le flanc aux accusations les plus graves, à grand renfort de bruits de bottes dignes des heures les plus sombres de notre histoire.
Pour ça : 4 % de réussite à la loterie du contrôle. 4 % de chance de tomber sur un individu qui a quelque chose de suffisamment grave à se reprocher pour être appréhendé.
C’est pas beaucoup !
Ben si justement, moi je trouve que c’est beaucoup. Il suffirait donc de contrôler 25 personnes dans un secteur délimité pour faire bonne pioche ? Quelque soit la manière dont on choisit ses candidats : c’est beaucoup. C’est, a minima, satisfaisant. N’importe qui ayant pratiqué cette pêche au filet vous le dira. Moi je trouve que du coup, il les détermine rudement bien les lieux et les périodes de temps notre magistrat.
Si vous n’en êtes pas convaincus, prenez un moment et faites cette simple expérience : regardez autour de vous, comptez 25 personnes et demandez-vous qui est le méchant garçon (ou la vilaine fille) qui mérite son interpellation. C’est bon vous l’avez repéré ?
Non : vous venez de vous rendre compte que 4 % ce n’est pas si mal.
Oui : vous vous apprêtez à vous rendre complice d’un contrôle au faciès (choisissez donc plutôt la réponse non).
Le péjiste, lui, il trouve que non seulement c’est peu, mais qu’en fait ça sert un peu à rien tous ces contrôles. Pour se débarrasser des débats gênants, on ferait carrément mieux d’arrêter tout ça. Pensez-donc 4 %… Il ajoute même : « Je ne connais pas beaucoup d'affaires PJ révélées par un contrôle d’identité. Je pense que nous sommes bien en dessous des 4% dans ce cas » (par affaire PJ comprenez une affaire d’importance réclamant la technicité d’enquêteurs disposant de temps, de moyens et de compétences supérieures en matière procédurale).
Partant du principe que tout le monde veut être en sécurité mais que personne ne veut être contrôlé, simplifions l’équation en nous contentant de contrôler ceux qui nous fournissent un ou plusieurs éléments plausibles justifiant de leur faire subir cette humiliation publique. Évitons la question gênante du « pourquoi moi ? ». Surtout que ces lourdauds en uniformes, ça n’étonnerait peut-être pas trop le péjiste qu’ils adoptent une méthode de tri un peu borderline.
En gros :
Moins de contrôle à 4 % de gagnants sujets à controverse.
Plus d’enquête à 99 % de gagnants visant des délinquants ciblés.
Moins de braconnage à l’explosif. Plus de chasse au gros gibier au fusil à lunette.
Sauf que...
Faire ce choix, c’est décider que celui qui n’attire l’attention par aucun comportement suspect, qui n’est pas déjà sous surveillance, qui n’a pas été balancé et qui évite les zones frontières, n’a quasiment plus aucune possibilité d’être contrôlé légalement.
Est-ce vraiment une bonne idée ? (spoil : la réponse est non).
Peut-on tolérer qu’un homme muni d’une arme à feu dissimulée sous sa veste puisse déambuler sans le moindre risque d’être inquiété tant qu’il ne traverse pas en dehors des clous ? (Oui, après tout, le péjiste l’interpellera une fois qu’il l’aura utilisée).
Peut-on imaginer qu’un individu recherché parce qu’il a oublié d’aller en prison pendant cinq ans après une condamnation pour agression sexuelle sur son neveu puisse se promener sans pouvoir être contrôlé parce qu’il valide sagement son ticket de transport (en laissant sa place aux dames) ?
Plus généralement, devons-nous faire une croix sur la majorité des IRAS (les infractions révélées par l’activité des services) et des fiches de recherche ?
Non. Bien sûr que non.
Indispensable à la production de sécurité, le contrôle sur réquisition est un outil puissant dont la mise en œuvre doit s’accompagner d’un encadrement particulièrement rigoureux. La hiérarchie policière doit impérativement s’assurer que ces opérations sensibles sont menées sur le terrain par des fonctionnaires qui en maîtrisent parfaitement le cadre juridique et les enjeux déontologiques.
Parce que la méthode de sélection des individus ciblés est au centre de toutes les polémiques, elle doit être établie avec le souci d’écarter tout risque, et toute suspicion, de discrimination. Si la physionomie des lieux et le volume de l’effectif impliqué dans le dispositif le permettent, le contrôle systématique doit être envisagé. A défaut, le contrôle aléatoire est à privilégier, toujours assorti d’une communication inspirée.
4 %, c’est le degré d’alcool de la bière que me paiera le péjiste pour cette démonstration de bon sens s’il est bon joueur.
Une bière « seulement ».
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Va pour la bière. Et si t'es sage, je j'offrirai la seconde 😉