En moins de 10 jours, sur deux interventions différentes, à 200km de distance, et dans des univers qui ne sont pas les mêmes, cette question m'est posée. La première fois, à l'Assemblée Nationale, lorsque je participe à une discussion autour de la relation police/population, en compagnie d'autres policiers, de jeunes de quartier populaire, et d'élus (organisé par le collectif Citoyens & Policiers). Et la seconde fois, lorsque j'interviens dans un amphithéâtre d'Université, devant de jeunes étudiants en 2ème année de Licence de droit.
Pas de surprise, bien entendu, parce qu'en réalité, cette question est dans la bouche de bon nombre de personnes. De plus, j'interviens, publiquement, en tant que policier. Je sais donc, à peu près, à quoi m'attendre. Même si...
En réalité, je ne peux que le constater, ceux qui me posent cette question n'ont en fait envie d'entendre qu'une seule réponse. Celle qui consisterait à dire "les policiers sont des violeurs, ils doivent passer les prochaines années de leur vie en prison". C'est ce que j''entends, dans les non-dits, les regards.
Voilà des mois que cette affaire parcoure les unes de journaux, au gré des révélations de l'enquête, des apparitions de Théo, de ses défenseurs, devant les médias. Nécessairement, autant de temps qu'on en parle, qu'on envisage ce qui a pu se passer, que j'y réfléchis. Parce que l'on a fait de cette affaire l'épicentre de de la relation police/population. On parle de cette problématique, du fait que l'on veuille améliorer les choses, et dès la première phase "d'approche", c'est souvent l'exemple qui nous est donné, comme si cette affaire, en elle-même cristallisait toutes les difficultés. Et, fonction de la réponse que vous allez apporter, on jugera de votre compréhension de la situation et de la banlieue en général. Quelque part, tant que vous n'en serez pas arrivé à dire qu'il faut pendre les policiers, vous serez discrédité.
Cette question, donc, je la tords dans tous les sens. Ma première réaction, après les faits, a été de dire que le comportement des policiers avait été abjecte. Nous n'avions alors que pour seule information le fait que ce jeune homme avait l'anus perforé, sans aucune image. Et la communication faite autour de l'affaire était à sens unique. La victime, la famille, les proches et l'avocat qui communiquent.
Le fait que cet adolescent ait l'anus perforé est juste un fait. C'est concret, il n'y a rien à dire là-dessus. Et, de ce que l'on sait, par une arme utilisée par les policiers. Cela aussi, c'est une certitude.
Il n'y a, bien sur, à ce jour, que les magistrats et l'IGPN qui ont bon nombre de réponses sur les faits tels qu'ils se sont déroulés ce soir-là. Ils disposent des témoignages, des caméras de vidéo surveillance, des expertises. Et, à notre place, nous ne pouvons qu'avoir des "avis" sur la question. Avec un certain nombre d'éléments qui ont été relayés.
Qui suis-je si je dis que je n'arrive pas à imaginer des policiers qui vont, intentionnellement perforer l'anus d'un gamin, aussi rebelle puisse-t-il avoir été?
Qui suis-je si je dis que, pour ce qui me concerne, cette affaire met en lumière une intervention au travers de laquelle des policiers, usant d'une force légitime n'ont pas, justement, correctement mesuré celle-ci, engendrant les traumatismes que l'on sait?
Cela fait-il de moi un complice? Cela démontre-t-il, par A+B que je suis juste, comme certains se plaisent à me le dire, "corporatiste" ? Cela tourne dans ma tête, telle une forme de culpabilité. Voir même de complicité. Un peu, à certains égards, une forme de honte. Comme si j'y avais été. Presque. Et comme si je devais en répondre. Devant la justice de l'opinion.
Que l'on ne se méprenne pas. A partir du moment où j'interviens, je me dois de l'assumer, et je le fais. Et c'est même plutôt sain que de se retrouver face à un auditoire. A des gens qui cherchent des réponses. Il me semble que l'on manque trop souvent à cet exercice de communication avec les autres; un peu comme si la police était enfermée dans son monde, à ne répondre que devant la justice. Cela ne peut pas suffire. Cela ne suffit plus. Il faut sortir, expliquer notre fonctionnement; au moins dans une certaine mesure. Je crois que cette absence d'explication, de communication, est une cause du problème. Nous laissons trop la parole à nos détracteurs, sans jamais y répondre publiquement.
Pour en revenir à notre affaire, oui, bien sur, ces jeunes qui posent ces questions, je les entends aussi; et il le faut. Et se projeter au-delà de l'affaire judiciaire. D'une certaine manière, ces jeunes ne voient dans cette affaire aucune nuance. Et ils ne le peuvent pas, en réalité. Ils voient un gamin qui est devenu un symbole, parce que chaque jeune de quartier se dit qu'il aurait pu être à la place de Théo. Il est devenu une forme d'étendard. De fait, ils ne cherchent même pas à savoir, encore moins à comprendre, ce qui a pu se passer. Il y a une situation (des policiers et un jeune), et le résultat (le jeune a l'anus perforé). Point. C'est tout. Derrière, il faut la sentence. Le jugement. Et que "pour une fois, les policiers aillent en prison". Parce que ça aussi, c'est une réalité. L'on se dit que les policiers sont protégés. Qu'ils ne vont jamais en prison. Et c'est ce qu'un certain nombre de personnes se plait à colporter, à véhiculer, attisant la haine et les ressentiments. Et vous aurez beau expliquer que les policiers sont les plus sanctionnés dans l'administration. Que, lorsque les policiers sont convoqués à l'IGPN, cela n'est pas pour jouer aux Légos... Rien n'y fait. Le rapport que l'on fait entre les policiers et leurs condamnations est le même qu'une partie de l'opinion publique se fait de la justice en général. Elle se résume en deux mots: laxisme et duplicité.
Alors je crois qu'il est de notre devoir, à tous, de rappeler les choses, d'expliquer.
De rappeler que l'on ne connait qu'une partie des événements comme j'ai déjà pu le dire. Et que seuls les enquêteurs et magistrats en charge de l'enquête les connaissent tous. Et qu'il appartiendra à des magistrats, professionnels, de dire, dans un premier temps, si les faits doivent donner lieu à un jugement. Et, dans un second temps, à une juridiction (correctionnelle ou d'assises) de les juger. Et qu'un appel sera possible. Et seulement à cet instant, nous aurons un maximum d'éléments en notre possession. Et que chacun se fera un avis, une opinion éclairée. Mais que, en tout état de cause, c'est aux magistrats qu'il revient de juger, de prendre une décision. Et ils le feront. En toute impartialité. Parce que, ça aussi, il faut le rappeler. Personne n'est protégé. Et certainement pas les policiers.
Enfin pour, tout de même, donner le sentiment qui est le mien, non, je ne crois pas à l'hypothèse selon laquelle des policiers ont violé, sciemment, un gamin, sur la voie publique. Parce que je ne crois pas un seul policier de France capable de cela. Parce que le faire comme ça, en pleine voie publique, ça serait juste croire que tout est possible, façon "The Shield" (série télé américaine qui met en scène un groupe de policiers qui, à chacune de leurs affaires franchissent allègrement toutes les lignes de ce qu'il est interdit de faire), et que la réalité est toute autre, et tant mieux. Je crois en une intervention de police (de ce qu'en dit la presse, elle fait suite à un contrôle d'identité) qui mène à une interpellation. Et que les policiers, ce jour-là, ont voulu interpeller ce gamin, le maîtriser, pour le ramener au commissariat; Et que c'est dans les moyens qu'ils ont utilisé que les événements ont mené à ce drame. Je ne suis, moi-même, pas formé à l'usage de la matraque télescopique. Son utilisation à l'horizontale pose question. Probablement que c'est là où se jouera une partie de cette affaire. Est-il enseigné, lors de la formation à la télescopique, un usage horizontal (un coup qui, par la douleur instantanée, amène la personne au sol, permettant de la menotter?) ? Et si oui, dans quelles circonstances, à quelles fins? J'avoue ne rien y connaitre. Ce sont des experts qui répondront à ces questions. Lorsqu'il s'agit de devoir user de violence, légitime, pour interpeller, tout n'est pas comme on pourrait l'imaginer, carré, propre, maitrisé. Passé un certain cap, on fait comme on peu pour maitriser un individu qui refuse de se laisser interpeler. Mais évidemment que cela ne doit jamais mener à cela. Très clairement. Maintenant, les faits sont là. A la justice d'établir les degrés de responsabilité.
A l'inverse, ce que je peux entendre, c'est qu'il y a, à la base, un problème de relationnel plus global, dans certains quartiers, en France, entre les habitants (notamment les jeunes) et les policiers, et notamment dans l'approche que l'on peut avoir. Et qu'il faut travailler là-dessus. Peut-être que la future Police de Sécurité du Quotidien amènera quelques réponses. Si tant est qu'on lui donne les moyens nécessaires à une mise en place correcte, pas juste comme l'on met un pansement sur une plaie. Que l'on arrive à connaitre ces quartiers, et leurs habitants; à les réinvestir durablement, que l'on sache dissocier ceux qui posent problème, et travailler en profondeur sur les activités illicites. Qu'on soit en capacité de déceler très rapidement les gamins qui décrochent, et faire coulisser le travail inter-administrations (éducation nationale, services sociaux). Et ces moyens doivent être accompagnés de mesures pluridisciplinaires. Une politique de la ville, du logement, des infrastructures, des services sociaux... et surtout, de l'emploi, et la formation qui va avec. Mais aussi, à notre niveau, que l'on fasse preuve de pédagogie. Nous devons apprendre cela. Modifier, par certains égards, notre approche.
Mais oui, au delà du choc directement lié aux faits, je cherche à comprendre. Avec un regard différent, qui est celui d'un policier qui a déjà dû faire usage de la force, et qui sait combien cela peut parfois être délicat.
Non, je ne suis pas complice, de rien.
Non, je ne suis pas corporatiste; ou, peut-être, dans une certaine mesure. Mais pas celle qui consisterait à défendre tout et n'importe quoi, à n’importe quel prix.
Et, par cette réflexion qui est la mienne. Bien sur, je ne suis pas coupable. Ni même responsable.
Et j'ai ma conscience. Pour moi.