La garde à vue pour les nuls (ou plutôt les non-juristes, en fait)

crédit SIPA

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L'ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy est, depuis hier, l'objet de toutes les attentions; tant médiatiques que - surtout - policières. Il fait, en effet, l'objet d'une mesure de garde à vue, au sein de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, à Nanterre.

C'est, sous la 5ème République, la première fois qu'un dirigeant de ce niveau, ex-président, fait l'objet d'une telle mesure. Enfin, plus précisément, la deuxième fois, pour Nicolas Sarkozy. Puisque c'était déjà arrivé en 2014.

Pour les "non juristes", petit retour sur ce qu'est cette mesure:

Le droit

C'est l'article 63-1 du Code de Procédure Pénale qui définit ce qu'est la garde à vue:

L'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République

C'est donc une mesure décidée par un Officier de Police Judiciaire, contrôlée par un magistrat. Selon le cadre juridique, il est du Parquet (enquête de flagrance ou préliminaire) , ou juge d'Instruction (les policiers sont porteurs d"une "commission rogatoire" et agissent dans le cadre d'une délégation du magistrat).

Il s'agit donc de garder, en quelque sorte "à sa disposition" une personne soupçonnée d'être auteur d'un crime ou d'un délit (punissable d'une peine de prison). L'idée étant de la confronter avec les éléments figurant au dossier, les lui opposer et entendre ses explications.

La garde à vue peut durer, pour la majeure partie des infractions (dites de droit commun), 24 heures. Et la mesure est renouvelable d'autant. Pour des infractions plus complexes (dites de criminalité organisée, trafic de stupéfiants ou terrorisme), elle peut aller jusqu'à 96 heures, voir plus (dans le cas de suspicion d'un acte de terrorisme imminent).

L'Officier de Police Judiciaire notifie donc, pas procès-verbal, la mesure. Et la personne qui en fait l'objet bénéficie alors d'un certain nombre de droits. Les plus importants: faire aviser un membre de sa famille, son employeur, être examiné par un médecin, ou encore pouvoir s'entretenir avec un avocat et être assisté par lui dans le cadre de ses auditions. Ce sont des droits; l'on demande à la personne ce qu'elle souhaite.

Plus pratiquement, on lui notifie également le motif de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise, la date des faits. Mais aussi le droit qui est le sien de ne pas répondre aux questions posées.

Une fois la mesure notifiée, les enquêteurs s'occupent prioritairement de ces droits. Appeler la famille (le Procureur peut s'y opposer s'il y a un risque de dépérissement de preuves, durant un certain temps), appeler l'avocat et prendre rendez-vous pour l'entretien (30 minutes), appeler le médecin pour qu'il se déplace (et rédiger une réquisition judiciaire l'enjoignant d'examiner la personne, et nous dire si son état de santé est compatible avec la mesure de garde à vue).

Une fois que tous les droits ont été notifié, les avis effectués, place au fond du dossier. Il est possible lorsque la personne est interpellée chez elle, que son logement fasse l'objet d'une perquisition. Plus ou moins longue, vous l'imaginez, fonction de la taille.

De retour au service, l'on procède à une première audition (celle-ci possiblement sans avocat) qui reprend l'ensemble des éléments d'identité de la personne. Ensuite, après l'entretien avec l'avocat (si demandé), on en vient au fond du dossier.

Les auditions sur le fond se déroulent en présence de l'avocat (si demandé), lequel pourra, à la fin, faire des observations. Fonction des réponses apportées, d'autres investigations, de vérifications, peuvent être lancées. Une fois que l'on a une idée sur l'ensemble des éléments, l'OPJ prend attache avec le magistrat. Ensemble, ils échangent leurs arguments sur le dossier, après quoi le magistrat prend une décision quant aux suites à donner à la garde à vue. La personne peut être libérée, sans que des suites soient envisagées, libérée avec une convocation en justice, ou être déférée auprès du magistrat, qui jugera des suites à donner (mise en examen éventuelle avec mesure de contrôle judiciaire ou placement en détention provisoire, sur décision du Juge des Libertés et de la Détention).

Le cas d’espèce

L'ancien président de la république a été placé en garde à vue dans le cadre de l'enquête sur le financement, par le pouvoir libyen, de la campagne présidentielle de 2007. Celle-là même qui a vue l’élection du 6ème président de la 5è République.

Comme j'ai pu le dire, c'est une première. Et nul doute que la décision s'est faite en concertation entre enquêteurs et le juge Tournaire, l'un des trois magistrats chargés de l'instruction. Et, du côté enquêteur, il ne faut pas se mentir, c'est aussi une pression individuelle que de devoir notifier une telle mesure à une personnalité de premier plan. D'une manière générale, prendre une mesure de garde à vue, attentatoire aux libertés, est déjà, en soit, une responsabilité. Là, ça en devient une pression. Et, de mon avis personnel (ça n'engage que moi), les chefs de service, ou ceux concernés par l'enquête, ne sont pas nécessairement pressés de voir arriver une éventuelle alternance à droite. Mais, j'insiste, c'est mon ressenti. Rien de plus.

Retour en arrière. Comme l'explique le journal "Le Monde", c'est le site Mediapart qui, en 2012, révèle un document laissant entendre que le dignitaire Libyen, Mouammar Khadafi, aurait pu financer la campagne présidentielle ce qu'a toujours nié l’intéressé, devant les médias. Cette enquête est en cours depuis 2013, et aura nécessité des investigations complexes à bien des égards. Déjà par l’internationalisation de l'enquête, par le fait, bien entendu, que les principaux dignitaires libyens ne peuvent plus, au moins en partie, répondre aux questions qu'auraient pu poser les enquêteurs ou magistrats. Mais aussi parce qu'il a fallu essayer de suivre, les différents transferts de fonds.

En ce qui concerne la mesure de garde à vue à proprement parler, Nicolas Sarkozy, retenu depuis hier matin, est ressorti vers minuit, hier soir, des locaux de la police judiciaire. Pour y retourner, ce matin. A noter qu'il s'agit-là d'une mesure exceptionnelle, que de suspendre une mesure de garde à vue pour la nuit. Exceptionnel, mais plus répandu dans les affaires dites "politico-médiatiques".

Aussi, le délais de garde à vue dont j'ai parlé plus haut sera nécessairement rallongé dans le temps. La mesure, à laquelle il a été mis fin hier soir, a, de fait reprise ce matin. Et les enquêteurs décomptent donc les délais, de ces fameuses 24 heures, voir 48 heures. Lorsqu'il s'est présenté ce matin, Nicolas Sarkozy avait donc déjà fait environ 16 heures de garde à vue. Et, au besoin, sur décision du magistrat, la mesure pourrait donc être prolongée dans l'après-midi, pour 24 nouvelles heures. L'on saura, ce soir, si les enquêteurs ont encore des questions à poser demain, où pas. Et, une fois que Nicolas Sarkozy aura répondu à l'ensemble des questions, le magistrat prendra sa décision. la garde à vue prendra fin. Soit Nicolas Sarkozy sera libéré; soit présenté au magistrat.

L'histoire ne dit pas si, hier, Nicolas Sarkozy a eu droit, comme en 2014, à une pizza...

Suite, comme l'on dit, au prochain épisode.