Auditeurs de justice - leur immersion dans un service de police

J'ai déjà pu parler au travers de certains textes, dans ce que représente la Justice (oui, avec un grand J), de l'importance toute particulière que j'attache à la relation qu'ont magistrats et enquêteurs. Et je trouve, là encore, je me répète, qu'elle est souvent trop distante. J'ai déjà proposé, au travers de ces pages, des modifications des formations, des uns et des autres, afin qu'ils apprennent mieux à se connaître, et travaillent plus en confiance et en connaissance, dans le respect de leurs prérogatives respectives.

Je ne suis pas sans savoir que les auditeurs de justice font un stage d'une semaine en commissariat, et une semaine supplémentaire en gendarmerie. Durées qui me semblent être loin d'être suffisantes, pour des magistrats qui exerceront en pénal. Mais c'est ainsi.

Aussi, j'ai profit de l'outil "Twitter", afin de m'adresser à eux, il y a quelques semaines, en leur demandant de me faire un retour de stage. Concrètement, j'avais envie d'avoir leur ressenti sur différents aspects; leur manière de voir la police avant/après le stage, leurs déceptions, leurs bonnes surprises.

Ils sont 6 à m'avoir répondu. Ils sont issus de trois promotions différentes d'auditeurs de justice. C'est ce retour que je me propose de vous faire.

Avant tout, je tiens à remercier les auditeurs d'avoir pris un peu de leur temps, pour m'écrire quelques lignes.

Je dois dire que, bien évidemment, tout ont compris l'importance d'un tel stage; et, ces retours, dans l'objectif qui était celui du stage, vont tous dans le même sens. Les auditeurs avaient à cœur de voir un peu la réalité, sur le terrain, à l'instant T, la gestion de l’événement.

"... en une seule patrouille, on a subi des insultes, des outrages qui n'ont jamais été relevés, alors même que la population locale est réputée assez respectueuse, par rapport à certaines villes..."

Et pourtant,  il est donc encore des services, où l'on reçoit des auditeurs, futurs magistrats, en les asseyant sur une chaise, pour leur présenter l'ensemble des services sur un organigramme, puis les statistiques, tout en leur faisant faire ensuite, le tour des chefs d'unité. Avec, note de service à l'appui, l'emploi du temps de la semaine entièrement préparé à l'avance. Pourquoi ne pas se dire que le futur magistrat ira là où il y a de l'actualité; et, à défaut, qu'il fasse le tour des services. Quelle utilité de le faire aller dans un service d'investigation où il ne se passera rien, alors que dans un autre service, il y aura une activité intéressante? Qu'on leur fasse un topo sur la circonscription, les aspects de la délinquance, quelques chiffres, oui, bien sur. Mais qu'ensuite on les mette au contact de la pratique. Ils ne sont pas là pour prendre, encore, de la théorie. Même si, on le comprend; il est des circonstances où il est compliqué d'emmener un stagiaire, quel qu'il soit; eu égard aux risques encours de telle ou telle intervention. Mais je pense que, dans l'absolu, il y a tout de même peu d'interventions où le risque sera réel; même si, bien entendu, il est difficile à appréhender avant. Je pense que les auditeurs, ainsi que les policiers ont le bon sens de laisser ce dernier quelque peu en retrait si la situation devient tendue.

La durée du stage est un élément qui est revenu plusieurs fois pourquoi n'y faire qu'une semaine, lorsque le stage "avocat" dure cinq mois ! En ce qui me concerne, il m’apparaîtrait un réel atout que, juste avant son affectation, un magistrat qui s'oriente vers ce début de carrière "judiciaire", passe quelques semaines dans un commissariat. Au même niveau qu'un OPJ.Il n'y a rien de plus formateur.

Les mauvais points

 "le constat est aussi celui d'un manque criant de moyens avec un immobilier vieillissant dont on voudrait pousser les murs, qui a un impact direct pour le personnel comme pour le justiciable".

Cette remarque ne met pas en cause, directement, les policiers, mais plus les moyens, d'une manière générale. Et cela rejoint ce qui a déjà été dit à maintes reprises par les policiers eux-mêmes. Autre témoignage, allant un peu dans le même sens:

"j'ai admiré la dextérité des OPJ qui conduisent les auditions dans des bureaux bruyants et surchargés et parfois sans lumière; les réponses des auditions se croisent, se mélangent aux coups de téléphone et au brouhaha venu des couloirs... je me souviens de cette victime plissant les yeux pour essayer de voir les photo que l'OPJ lui présentait en l'absence d'un éclairage, parce que l'ampoule de plafonnier est grillée depuis deux mois et que personne ne l'a remplacée".

Et cette petite anecdote

"cet OPJ est allé chercher une nouvelle ampoule... volée dans un autre bureau, moins usité".

Remarque intéressante de l'un des auditeurs, lorsqu'il dit

"je savais que les enquêteurs prenaient en note tout ce qu'il se disait lors des auditions, mais j'ai trouvé que cela pouvait parfois gêner l'échange (alors que les juges d'instructions sont assistés de greffiers, par exemple"

C'est une autre réalité; il est parfois difficile de rester dans l'humain, lorsqu'il est question de tout écrire; toutes les questions, toutes les réponses... on est rattrapé par la technique, et l'environnement. Là où le juge d'instruction sort son écriteau "instruction en cours" qu'il pose sur la porte pour ne pas être dérangé, c'est quelque chose qui est complexe dans un commissariat, tant il y a de mouvement, d'agitation.

La critique qui est revenue le plus souvent concerne les problématiques qui peuvent exister entre différents services. Tout d'abord, l'absence de communication qui peut exister, entre différents groupes d'un même service; une Brigade de Sureté Urbaine qui ne communique pas avec une BAC, alors qu'ils ont des objectifs communs; ce que dit cet auditeur est assez juste

"l'organisation (des services) est totalement tributaire des relations humaines qu'entretiennent les agents des différents services, ce qui peut nuire à la qualité des enquêtes".

C'est, effectivement, à l'échelle d'un commissariat, une image des querelles de policiers, pour conserver la main mise sur tel objectif. Ne pas le laisser aux autres. C'est précisément ce qui se passe, au niveau supérieur, entre différents services de PJ. ça peut bien se passer. Ou mal. Ou pas du tout, chacun faisant mine d'ignorer l'autre, tout en sachant qu'on travaille sur la même personne. Et c'est alors au premier qui l'aura. Il y a aussi les cas où le service initial est désaisi, parce que l'affaire prend une tournure plus importante. des OPJ locaux qui ont parfois du mal à garder des dossiers qu'ils ont initié avec beaucoup de motivation, face des à des services spécialisés.. Il est ici question de la nécessite de trouver cet équilibre entre les possibilités du service d'enquête local, ses limites, et le fait de prendre garde à la motivation des OPJ qui ont parfois besoin de conserver de bons dossiers dans lesquels ils s'investissent. Ce sont aussi des paramètres que doivent avoir en tête les magistrats, lorsqu'ils saisissent ou désaisissent des services. Il vaut parfois mieux confier qui apparaîtra important aux yeux d'un petit service, plutôt qu'à un service spécialisé, pour lequel il apparaîtra moins important.

Peu de surprise, dans ces retours de la part des auditeurs, en ce qui concerne les relations entre police et justice; il est souvent question des suites données à certaines enquêtes, de ce sentiment d'incompréhension face à certaines décisions. Deux remarques me sont faites; la première vise les policiers qui seraient preneurs d'un minimum d'explication quant à certaines décisions prises. Et là, tout comme l'auditeur en question, je le sais; certains magistrats voient cela comme le fait de "rendre compte"; alors que, de mon coté, je vois juste cela comme le fait d’éclairer un peu celui qui a déjà passé du temps sur un dossier, en lui expliquant les fondements d'une décision.

La seconde problématique qui surgit: la formation des OPJ qui:

"méconnaissent la procédure pénale à l'issue de la phase d'enquête; ils n'étaient pas au point sur les orientations qui peuvent être décidées par le parquet et sur les critères qui guident le choix de l'orientation des procédure"

C'est une réalité; même si un minimum de cours sont données lors de la formation OPJ, il est un fait. Tout ce qui se passe après, comme on ne le pratique jamais, que l'on n'en a aucun retour, ni aucune explication... eh bien, cela créé de la méconnaissance et des incompréhensions. De fait, je suis certain que beaucoup de choses pourraient être comprises; avec un peu de formation, et un peu de communication. Tout n'est pas perdu, avec cet auditeur :

"je ne serai pas opposé à l'idée d'expliquer brièvement mes décisions aux policiers... " 

Les bons points

Du retour fait, tous soulignent qu'ils ont été très bien accueillis là où ils sont passés

"j'ai aimé la confiance que ces personnes m'ont témoigné en me parlant aussi librement qu'elles l'ont fait"

. Et c'est bien normal. Je constate aussi que tous, d'une manière générale, ont un œil bienveillant quant à la qualité du travail fourni par les services de police:

"les OPJ et les APJ que j'ai vu travailler étaient très compétents"; 

ou encore

"j'ai été impressionné par la connaissance parfaite, des policiers, de la ville et des individus peuplant celle-ci"

"les policiers m'ont donné l'impression d'être extrêmement attentifs au respect de la procédure pénale et des droits de la défense".

Et, cette remarque très juste: 

"J'ai aussi été le témoin de leur besoin que leur travail soit reconnu, notamment par les magistrats, et de leur volonté d'être mieux considérés; .. Je n'ai rencontré que des personnes passionnées par leur travail, mais aussi fatiguées, autant par les difficultés de leur mission, la surcharge de travail due à la baisse des effectifs, que par l'absence de reconnaissance".

Tous les témoignages soulignent cet état de fait; et je le dis moi-même. Pourquoi? Parce que ces policiers donnent énormément d'eux-même. Certes, comme beaucoup de professionnels, me direz-vous. Oui, mais j'ai tendance à croire que l'on est "un cran au dessus", lorsque l'on côtoie, en direct, la violence, qu'elle soit physique ou verbale, lorsque l'on se met physiquement en danger, lorsqu'il arrive ce moment où le flic doit prendre le risque, "y aller"... tout ça fait qu'il y a ce besoin de se dire que ça n'est pas fait pour rien. Cela me parait, encore une fois, juste humain. Le sacrifice, oui. Mais pour quelque chose qui en vaut la peine.

"Malgré ce manque de moyens (...) les personnels étaient surtout volontaires, motivées, disponibles, déterminés à ne pas laisser tomber, déterminer à se consacrer à leurs missions"

Je note, au final, chez chacun d'eux l'esprit de découverte dans lequel ils étaient dans les services où ils sont allés; et même, pour certains, l'envie d'essayer de "convaincre". Tous semblent avoir été satisfaits de leurs échanges qu'ils jugent enrichissants, et en cela, ces stages sont donc la preuve que la communication est essentielle; même s'il a été souligné que, pour passer dans tous les services, cela supposait donc d'y passer peu de temps.

Enfin, je note que les mots qui sont revenus le plus souvent, dans ces retours sont "dialogue" et "échanges". Cela ne peut être qu'un bon signe. Certains de ces auditeurs vont devenir magistrats sous peu; d'autres sont en début de formation. J'éspère qu'ils garderont en tête, lorsqu'ils auront à user de leurs prérogatives, ces quelques jours passés en immersion. Quoi qu'il advienne, bon vent à eux. Et encore merci.