Eva travaille dans un groupe privé, et plus précisément Directrice des ressources humaines. Depuis une quinzaine d'années. Et elle traite, entre autre, des problématiques liées aux risques psychosociaux. De fait, ça existe dans le privé. Elle a accepté de nous expliquer quelle était sa vision de la problématique. Et de quelle manière, avec un peu d'imagination, cela pourrait s'appliquer à la Police Nationale.
La laisse la plume à Eva.
Les risques psychosociaux, qu’est-ce que c’est ?
Une simple recherche Google va donner des milliers de pages de résultats
Aujourd’hui on prend conscience que risques psychosociaux et qualité de vie au travail sont deux sujets importants pour les entreprises
Déjà d’un point de vue légal il y a l’obligation de l’employeur de protéger la santé physique et mentale et la sécurité des travailleurs (art. L.4121-1 du Code du Travail)
Ensuite d’un point de vue RSE (responsabilité sociétale des entreprises) il est important que les entreprises portent des valeurs de respect de chacun
Enfin d’un point de vue purement pragmatique : le coût de ces sujets ... c’est de l’argent pour les entreprises et aussi pour la société. Ils sont une partie importante de notre boulot en tant que RH ...Même si cela peut paraître paradoxal, j’essaye autant que faire ce peux d’objectiver les choses ; Je m’appuie sur des chiffres pour construire un plan d’action. Oui on parle de sujets comme risques psychosociaux et je réponds chiffres et plan d’action cela peut paraître étonnant. Mais mon métier c’est de mettre en place un cadre de travail sécurisé et développant pour les salariés. Mon premier regard quand je prends un nouveau périmètre c’est toujours de regarder les chiffres et pas les cas individuels ... un turn over trop haut, un taux d’arrêts maladie trop haut sont autant de signaux. À partir de là on va faire des études de postes pour identifier les sources : je vais prendre un exemple simple j’ai pu traiter des populations à fortes astreintes .. et j’avais plus d’accidents de trajets : la mise en place de taxis ou vtc pour rentrer après ces astreintes a fait chuter ce taux ... évidement cela a un coût mais compensé par la baisse des absences.
Pour en revenir au burn-out, au premier abord c’est un échec collectif, évidement d’abord humainement, mais pour l’organisation, cela veut dire que les signaux n’ont pas été identifiés (via les chiffres dont on a déjà parlé) ... ensuite il y a le manager et la rh qui doivent être formés à détecter les changements dans les équipes : un surinvestissement, des horaires trop amples, des changements de comportements ... il y a des outils et des relais : le manager, les collègues, les représentants du personnel ....
À chaque relais il faut avoir des formations pour détecter ces situations
Quelles mesures de prévention ? Et après, quel retour ?
On va faire de la sensibilisation, des formations, on va aussi former des équipes entières si on détecte que leur poste/métier est plus exposé à certains risques. Autre exemple pour des populations qui sont en relation avec de la clientèle et qui sont plus exposées aux conflits ou micro agression de mécontentement; il faudra les former obligatoirement à la gestion de conflit par exemple ... par des ateliers avec des collègues pour que le collaborateur ne se sente pas seul et qu’il relativise. Il va également s’agir d’éviter l’effet de halo, qui est un effet de contamination ... pour faire simple : Si la première impression sur la personne est favorable, ce biais perceptif tend à interpréter favorablement ce que cette personne dit ou fait. C'est l'effet halo positif. À l’inverse, si la première impression est défavorable, ce biais perceptif tend à voir la personne sous un prisme négatif. C'est l'effet halo négatif. Cela peut s’appliquer à un service/métier, qui, donc, peut être contaminé ... on va parler de spirale négative : le turn over va être important ... les arrêts aussi ... dans ces cas il faut “briser” la chaîne. Le coût est difficilement chiffrable mais en prenant des services au fonctionnement nominal on verra le différentiel
Voilà pourquoi j’explique que mon métier est de regarder des chiffres ... même si dans l’intitulé de mon poste il y a « humaine » ...
Si la prévention n’a pas suffit à détecter le burn out en lui-même, il va falloir le gérer. Cela nécessite une prise en charge en deux temps :
- L’arrêt en lui-même : il doit donner le temps au salarié de se reconstruire ... là c’est la place des médecins ... avant de reprendre il y a une visite auprès de la médecine du travail, voir une visite de pré reprise
- la partie obligation légale (poste équivalent ...) en la pratique, généralement, ces cas sont vu par des rh plus expérimentés et on co construit le retour. Il est évident qu’un retour réussi est un gain pour tout le monde, je m’explique évidemment humainement parlant c’est important mais en terme d’image tout le monde y trouve son compte ... et cela évite l’effet de Halo négatif ...
Question: Demain, tu es RH dans la Police Nationale; comment interviendrais-tu? quelles mesures pourrais-tu prendre?
- Le fait que ce soit la Police n'influe en rien sur la méthodologie, mais elle peut influencer sur la présentation du projet. Je ne lutte pas contre le suicide ou le burn-out qui sont des maladies (et je ne suis pas médecin) mais mon rôle est d’identifier les sources des risques psycho sociaux qui entrainent ces situations. Et comment ? En enlevant tout affect aussi paradoxal que cela puisse paraitre. Je vais être pragmatique :
Si je demande individuellement à chacun j'aurais autant de réponses que de policiers et tous pas contents ! Donc pour commencer j’implique tout le monde dans la démarche sinon cela ne sert à rien : pour moi ce sera la direction, la ligne hiérarchique, les élus et représentants du personnel, le médecin du travail, l’assistante sociale si il y en a une …
Ensuite il faut chercher le/les « coupable(s) » alors j’investigue.
Globalement tu peux les regrouper en 6 catégorie (ce n’est pas moi qui le dit c’est INRS … donc l’Etat.. donc votre employeur !! )
Les exigences du travail, qui regroupent les risques en lien avec le travail sous pression, les contraintes de rythme, la difficulté à concilier la vie professionnelle et la vie familiale, l’exigence de compétences élevées - les exigences émotionnelles, liées par exemple à la nécessité de devoir cacher ou maîtriser ses émotions face à la clientèle ou à un public en difficulté ;
- l’autonomie et les marges de manœuvre qui désignent la possibilité d’être acteur dans son travail, de participer aux décisions, d’utiliser ses compétences et de s’épanouir dans son travail ;
- les rapports sociaux, les relations de travail qui couvrent les relations avec les collègues, la hiérarchie ; est questionnée aussi la reconnaissance du travail (reconnaissance symbolique, rémunération, promotion…)
- les conflits de valeurs qui désignent une situation où l’on demande à une personne d’agir en contradiction avec ses valeurs professionnelles ou personnelles ;
- l’insécurité économique qui inclut le risque de perdre son emploi et les changements non maitrisés de la tâche ou des conditions de travail.
Une fois que t’as dit ça « super Eva mais comment tu sais ce sur quoi il faut bosser » ? Je ne sais pas mais comme vous j’enquête ^^
Je prends les chiffres - oui les chiffres - , je sors complétement du côté humain pour étudier des données : cela va du nombres d’arrêts de travail, durée et fréquences, accidents de travail , … des demandes de mobilités, les postes soumis à des horaires décalés, des astreintes, le taux de réalisation des entretiens annuels, est-ce que les métiers sont en contact avec du public, .. Toutes ces infos et d’autres encore nous les avons en données brutes … à nous après d’identifier où l’on doit concentrer les investigations …
Je ne vais pas pointer du doigt tel service qui a un turn over au-dessus de la moyenne (le coupable idéal mais qui peut s'expliquer par d'autres voies), je vais faire des croisements entre les lieux, les services et les typologie de métiers qui y sont représentés, je vais regarder ces données à travers différents prismes (lieu, service, métier, …). Je peux passer par la médecine du travail qui peux alerter sur ce qu’elle voit, par des questionnaires, des enquêtes, des baromètres sociaux, la palette d’outil est assez importante pour pouvoir déterminer où il faut chercher.
Et, bien sur je ne vais pas trouver un coupable unique ce serait trop simple et je ne vais pas trouver 3 facteurs à changer pour tout révolutionner. Mais je vais pouvoir hiérarchiser les risques en fonction de la gravité des impacts.
Une fois que j’ai cerné la cible je vais définir un plan d’action et le dérouler …
Il n’y a pas de méthode toute faite. Selon la taille, la nature de l’entreprise et des facteurs à l’origine des dysfonctionnements. La palette des changements est vaste et tout ne peux pas être listé ici ; néanmoins il faut reconnaitre que beaucoup d’actions passent par de la formation et des changements d’état d’esprit.
Pour en revenir à Jules que j’ai rencontré je n’ai souvent pas de réponse à apporter au collaborateur quand le burn out arrive.
C’est un échec collectif car nous n’avons pas su détecter ou mettre en place un système d’alerte et d’escalade adéquat. Là le relais est pris par des professionnels de santé.
Mon rôle reprend au retour du salarié qui doit se réinscrire dans l’organisation, souvent nous voyons avec lui quel poste il veut/peut reprendre pour que le burn-out ne soit pas un échec, il permet bien souvent de soulever des problèmes non détectés. D’expérience un retour réussi provoque un cercle vertueux ; l’inverse, au contraire, contribue à la dégradation de l’éco système.
Je vais essayer autant que faire ce peut d’avoir une approche globale qui sorte des cas individuels et ne pas apporter une réponse à un évènement unique.
Et bien sûr je vais dire que ce que fais et faire ce que je dis … des grands plans on en a tous connus et qui finissent on ne sait où
Une « machine » comme la Police Nationale ne peut pas changer du jour au lendemain, il va y avoir des sujets de recrutements, reconversion, mobilités, fin de carrière.. bref tout ce qui émaille une carrière du concours à la retraite.
Et pour commencer et donner un peu l’ampleur de l’enquête .. Vous êtes combien exactement ? (impossible de le savoir même avec Google et 35 mn de recherches) L’enquête va être longue et compliquée mais ce sont les plus belles réussites !