Du burn-out au suicide. Attention danger 1/3

Chaque fin d'année, pendant une dizaine de jours, de façon très régulière, dans les premiers jours de novembre, un peu comme si c'était une date clé du calendrier, comme le sont les vacances d'été ou Noël, la presse s’intéresse aux suicides dans la police.
Le sujet est, chaque année, brûlant sans qu'à ce jour, l'administration policière ne soit en capacité d'adopter une stratégie efficace permettant de lutter contre ces drames. Pour nous éclairer, quelques chiffres clés :

Le taux de suicide, sur la population française, en 2016, était de 16,7 pour 100,000 habitants.
En ce qui concerne, maintenant, la police française, ce taux est de 31,5 pour 100,000 (en 2015, avec 45 suicides) ; sachant que au 15 novembre 2017, nous comptabilisions déjà 47 suicides.

Alors, certes, sociologiquement parlant, on sait que les hommes se suicident plus que les femmes, et on note un pique, pour la tranche d'âge allant de 35 à 55 ans. On sait que la police est composée, en très grande majorité d'hommes; donc, ce chiffre ne se suffit pas à lui-même. D'ailleurs, on note un pourcentage de suicide moins important dans les corps des officiers ou des commissaires de police, où le nombre de femmes est statistiquement plus élevé.

Comparons alors les chiffres de notre police avec celle d'autres pays et/ou grosses agglomérations à travers le monde.

  • Montréal – 6,4 pour 100,000 (entre 1986 et 2008)
  • Australie – 1,4 pour 100,000 (entre 2000 et 2012) – inférieur à la population globale
  • New-York – 14,9 pour 100,000 (comparable à la situation globale)
  • Allemagne – 25 pour 100,000
  • Autriche – 30,2 pour 100,000

(source: Sebastian Roché)

De fait, on peut dire (là c'est une déduction personnelle), chiffres à l'appui, que le taux de suicide des policiers français est supérieur, à la fois en rapport à la « moyenne » française (avec un début d'explication), mais aussi lorsque l'on compare nos chiffres à certains de nos homologues à travers le monde.
Quelles peuvent en être les raisons ?
L'on se demande souvent, sans jamais en avoir la réponse, quelles sont les raisons qui poussent au suicide. Vie privée? Vie professionnelle? Je pense, à titre personnel, que cela arrive lorsqu'on n'a l'impression que l'on ne peut plus s'accrocher à l'un des deux pans de vie pour compenser l'autre.

Alors, régulièrement, l'on entend cette phrase "ça doit être la proximité de l'arme"... Non. L'arme ne constitue pas, en soit, une facilité du passage à l'acte. Nous n'avons pas de recrudescence des suicides chez les chasseurs ou les tireurs sportifs, ni-même chez les bouchers. Etant précisé qu'un passage à l'acte est finalement assez simple pour tout le monde. J'ajoute à la réflexion une question: que peut-on déduire du fait que nombre de policiers se suicident sur leur lieu de travail?

Difficile d’énumérer les problèmes professionnels auxquels le policier a dû faire face avant d'en arriver à un geste dramatique. Chacun a ses raisons de vouloir en finir. Pour autant, l'on peut travailler sur quelque chose qui peut-être commun à nombre d'entre eux: l'épuisement au travail, autrement appelé le burn-out.

Aussi étonnant que cela puisse paraître en 2018, le burn-out n'est pas, à ce jour, considéré comme une maladie professionnelle; c'est Muriel Penicaud, qui l'a rappelé. Cela pose une question:  si le burn-out n'est pas une maladie professionnelle, pour quelle raison les entreprises privées travaillent-elles le sujet?

Quand a-t-on, pour la première fois abordé le sujet? Sans faire de recherche approfondie sur la terminologie, les recherches scientifiques, voilà ce que l'on peut trouver, sur la toile:

En 1969, Harold. B Bradley est la première personne à désigner, dans son article « Community-based treatment for young adult offenders », un stress particulier lié au travail sous le terme de burnout. Ce terme est repris en 1974 par le psychanalyste Herbert J. Freudenberger puis par la psychologue Christina Maslach en 1976 dans leurs études des manifestations d’usure professionnelle1.

« En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte. » — Herbert J. Freudenberger

Pour ces premiers observateurs, le syndrome d’épuisement professionnel vise principalement les personnes dont l’activité professionnelle implique un engagement relationnel important comme les travailleurs sociaux, les professions médicales, les enseignants. (source: Wikipedia)

Voilà, nous y sommes. Il me semble bien, que nous, policiers, soyons potentiellement concernés. Le burn-out pouvant amener, s'il n'est pas pris en compte, au suicide. Au moins dans une partie des cas. Donc, cela pourrait être une piste de travail pour faire baisser les chiffres.

Je vous invite également à lire cet article qui traite du burn-out et de ses symptomes, notamment.

L'idée m'est alors venue de mettre en présence deux personnes que tout oppose. Un policier, et un DRH du secteur privé. L'un a été victime, l'autre le traite.

Dans un premier temps, je leur ai laissé la liberté de me parler de ce qu'ils pensaient du sujet, avant de leur poser, à chacun, une question.

Eu égard à la complexité du sujet, Eva et Jules pouvant, chacun dans leur sujet, écrire des dizaines et des dizaines de lignes, j'ai préféré la solution consistant à publier, le texte de chacun, indépendamment de l'autre.

D'abord le flic, dans l'approche qu'il a eu du burn-out; comment il le voit, comment il l'a vécu. Puis le DRH, comment elle le définit, le détecte, tente de le prévenir et, le cas échéant, le "gère".

D'avance, je remercie Jules et Eva, pour leur aide. En espérant que ces billets puissent servir, juste, à une certaine réflexion. Et qui, sait... un jour, peut-être que des réflexions internes émergeront. Avec des idées fortes, et des mentalités qui changent.

Je vous laisse également lire les mots de Laetitia, sur les blogs de Mediapart; elle est fille de policier. Lequel a tenté de mettre fin à ses jours.