Autorité administrative vs autorité judiciaire: qui a le droit?

© Radio France - Nolwenn Quioc

5 Décembre 2017, Tribunal de Grande Instance de Toulouse. Un homme est jugé devant le tribunal correctionnel pour un "vol en réunion". Il se place, comme cela sera le cas désormais, derrière le box vitré du tribunal, installé il y a peu.

L'avocat de la défense demande au tribunal que son client soit extrait du box, pour être jugé. Le tribunal se retire et, à son retour, la présidente demande à l'escorte que l'homme soit sorti du box. Les policiers refusent.

L'affaire fait grand bruit, largement relayé par la presse. Il faut dire que ces box vitrés fleurissent dans nombre de tribunaux (ici à Bobigny), provoquant l'ire des avocats, et de certains magistrats. Selon eux, le fait de faire comparaître un homme dans ces box est une atteinte à la présomption d'innocence, en plus de, pratiquement, poser des problèmes de communication évidente entre l'avocat et son client, mais plus largement, avec le tribunal.

Le refus des policiers a provoqué un vent de protestation que je peux entendre. Pour autant, il s'agit là de comprendre la ou les raisons pour lesquelles des policiers ont refusé de répondre à une instruction du magistrat.

Le droit

Le code de procédure pénale indique, le rôle que peut avoir le président de la chambre, lors d'une audience, dans ses articles 400 à 405 du Code de Procédure Pénale. Il peut décider du huis clos, total ou partiel, interdire l'accès de la salle aux mineurs, faire expulser quiconque trouble l'audience, y compris le prévenu lui-même (lequel sera "gardé par la force publique"). L'article 401 dispose plus spécifiquement que "le président a la police de l'audience et la direction des débats". Je dois avouer que cette notion m’apparaît très vague, même si l'on peut y entendre que le président fait donc ce qu'il veut durant son audience. Cela m’apparaît un peu plus complexe qu'il ne peut y paraître, lorsqu'il veut user de cette prérogative dans ce cas de figure. Je pense, d'ailleurs, qu'il s'agit là du premier cas d’espèce.

Évitons la polémique, pour prendre des raccourcis, en disant que "les policiers font ce qu'ils veulent", et demandons-nous pour quelle raison les policiers ont exprimés ce refus. Comment en est-on arrivé là?

Déjà, commençons par le commencement: pour quelle raison ces box sont-ils installés dans les tribunaux, les uns après les autres? Comme souvent, une question d'argent. Les policiers (ou gendarmes) sont présents, dans les tribunaux pour assurer la sécurité du palais de justice, et plus spécifiquement des audiences. Leur rôle est d'empêcher les évasions, et aussi intervenir en cas d'agression physique. Mais, comme nombre de services de police, les effectifs ont plutôt tendance à être à la baisse. Sauf qu'en l’espèce, cela impacte directement les audiences, et le fait même que les prévenus ne puissent prendre la fuite lorsqu'ils sont jugés. Il arrive, ici et là, que certains puissent s'évader. Et c'est souvent lors de l'audience que cela peut arriver. La question s'est donc posée aux chefs de cour "comment se protéger des risques d'évasion", alors même que les effectifs affectés se font de plus en plus rare. C'est donc cette solution (d'installation de ces box) qui a été adoptée par bon nombre de juridictions. Bien que, récemment, le ministère de la justice ait décidé de geler ces implantations, en demandant un état des lieux des box déjà installés.

Voilà donc pour le "pourquoi"; cela ne répond pas à la question initiale, quant au refus formulé par les policiers, d'extraire le prévenu du box. Le Président ayant la police de l'audience, il ne doit donc souffrir d'aucune contestation, quelle qu'elle soit. Juristes, avocats et magistrats défendent ce point de vue. Que je comprends et que j'entends.

La pratique

Néanmoins, j'aimerais juste que chacun comprenne et entende aussi certains arguments, à mettre en perspective. Déjà, évitons d'imaginer que les policiers ont juste fait un "caprice" par lequel ils voulaient s'opposer à un magistrat, pour telle ou telle raison; c'est juste absurde, et n'a aucun sens. Il n'y a pas là de guerre de coqs. Il l'infraction pour laquelle la personne est jugée n'a aucune incidence.

Sans en avoir discuté avec les dits policiers (c'est important), j'avance l’hypothèse (qui n'engage que moi) sur le motif du refus. Si une évasion devait avoir lieu, les policiers présents à l'audience seraient les premiers désignés pour X raison. Les premiers à qui l'on demandera des comptes. Alors, me direz-vous "mais non, le Président assumera la demande qui a été faite". Le Président, oui. Peut-être, voir probablement. Mais il ne faut jamais oublier que les policiers, en l'état actuel des choses, ont aussi une hiérarchie administrative. Ils ne sont pas placés directement sous les ordres de la justice. Quoi qu'on en dise, ils dépendent du Ministère de l’Intérieur, et à plus petite échelle, de la Direction Départementale de la Sécurité Publique de la Haute Garonne. Et, lorsqu’une évasion intervient, c'est cette direction, voir l'IGPN, qui enquêtera sur le fait de savoir s'il y a, ou non, une faute commise. Et ce sont ces mêmes policiers qui seront susceptibles d'être sanctionnés. Parce que oui, c'est la hiérarchie administrative qui a ce pouvoir-là, de sanctionner; quoi que pourra en dire celui qui a les pouvoirs de police au cours de l'audience.

Dans notre organisation, bien ou pas, c'est un fait, les policiers dépendent de cette hiérarchie administrative. Et, pour imager, c'est elle qui a le pouvoir de vie ou de mort, sur la carrière du policier. Mutation, avancement, etc...

Alors, que cela choque les grands principes du droit que de ne pas obéir à une décision de justice, oui. Les avocats et magistrats sont dans leur rôle et fonction. Mais les policiers aussi. Lorsqu'ils ont refusé cet ordre, probablement ont-ils estimé qu'ils n'étaient pas en mesure d'assurer la sécurité de cette audience en l'état des effectifs, de ne pas être en capacité d'empêcher une éventuelle tentative d'évasion.

Nous voilà donc confrontés à deux problèmes qui se cumulent. L'autorité, et la nature des mesures de sécurité. En ce qui concerne le premier problème, deux possibilités:

  • soit on détache ce service, dans les tribunaux, sous la direction même du Président du Tribunal; mais cela pourrait poser des problématiques administratives autres ? Et cela ne résoudra en rien les questions de moyens humains manquants; à n'en pas douter, ce sera un combat de tous les jours, pour le Président, d'obtenir des effectifs supplémentaires...
  • soit, on reverse la sécurité des audiences au Ministère de la Justice, aux surveillants pénitentiaires; je ne suis pas sur que le Ministère de la Justice soit plus riche que l’Intérieur. Mais, au moins, la hiérarchie sera très claire, s'agissant du même ministère.

Cela ne répondra pas, clairement, à la problématique de ces box et l'atteinte, soulevée par les avocats de la défense, à la présomption d'innocence.

Mais, encore une fois, dénoncer un problème, est juste normal. Encore faut-il pouvoir trouver une solution alternative... et là, ça se complique. Que propose-t-on?