Ces derniers jours est apparue sur les réseaux sociaux une nouvelle polémique mettant en cause la police nationale. Une fois n'est pas coutume, elle concerne le contrôle d'identité ; ce que d'aucuns appellent "le contrôle au faciès".
Difficile de ne pas réagir à l’évocation de ces tweets que vous pouvez retrouver ici dans leur intégralité. Le sujet est sensible, et c'est précisément ce qui fait que je n'ai encore jamais, en huit ans, écrit dans le cadre de cette thématique. Par essence, il s'agit d'un sujet de crispation, à propos duquel deux "camps" se font face, et de manière très acharnée, virulente.
Un antagonisme fort
Deux idéologies se font face. D'un côté, de nombreuses associations et des mouvements (à l'image d'Agnès Druel), lesquels dénoncent le contrôle au faciès pratiqué par les forces de l'ordre, lequel serait général, outrancier, systématique ; avec le pan politique, où l’on réclame, depuis des années, la mise en place du récépissé de contrôle d'identité. Ce volet politique se décline désormais auprès de la justice, par le biais d'avocats intentant des recours contre l'Etat pour discrimination.
De l'autre côté, les policiers (surtout) et gendarmes, montrés du doigt, et qui cherchent à se défendre, souvent, je pense, très maladroitement, en niant purement et simplement l'existence même, la réalité du ressenti de ces jeunes.
Faisant suite à ce mini-reportage "journalistique", Agnès Druel a publié un billet sur son blog, où elle se décrit elle-même, dans une forme de second degré, comme une "bobo-islamo-gauchiste assumée". Le ton est donné et, malheureusement, aucune discussion n'est possible. Rapidement, il est fait référence à Zyed et Bouna, ces enfants décédés dans un transformateur à Clichy-sous-Bois voilà dix ans, après une course-poursuite avec des policiers (pour rappel, les policiers n'ont pas été condamnés par la justice dans le cadre de cette affaire). Et, comme souvent, le rôle de l'Etat est pointé, a priori seul fautif : il ne s'agirait pas de chercher plus loin. Ceci juste pour expliquer ce que je disais un peu plus haut. Les crispations sont fortes, et la discussion pacifiée quasi impossible. Chacun veut juste avoir la raison pour lui, sans jamais essayer de se remettre en question.
C'est comme cela qu'il y a quelques semaines j'ai accepté d'accompagner le "collectif Citoyens & Policiers " à Grenoble, répondant à l'invitation de certains membres des Conseils citoyens indépendants de la ville. L'idée était de réunir autour d'une table différents protagonistes, avec chacun une vision liée à son expérience. Malgré quelque réticence, j'ai accepté de m'y rendre et d'être confronté directement à l'argumentaire opposé par certains. Parmi eux, les avocats Slim Ben Achour (qui a fait condamner l'Etat dans le cadre d'une affaire liée au contrôle au faciès) et Myriam Matari, les sociologues Jacques de Maillard et Jérémie Gauthier, ainsi que des délégués du Défenseur des droits de la Région Rhône-Alpes. Il me semble que c'est toujours par le dialogue, par l'écoute, que l'on peut se comprendre ou, tout du moins, tenter de converger vers une compréhension mutuelle.
Je suis intervenu lors de cette journée afin d'y expliquer le ressenti d'un policier (je ne parlais qu'en mon seul nom) et ce qui pouvait l'amener à procéder à des contrôles d'identité, à la fois dans son contexte, directement lié au Code de procédure pénale, mais aussi en rapport avec les missions qui sont celles des policiers, au regard de la réalité sociétale et de leur expérience de terrain.
A ce titre, il m'est apparu nécessaire de faire certains rappels "généraux". Avant tout, comment sont décidés les contrôles d'identité ? D'ores et déjà dans le cadre d'une infraction commise ou qui serait sur le point de se commettre (article 78-2 du Code de procédure pénale. Ensuite, la personne doit avoir un comportement qui laisse penser qu'elle est en lien avec ce crime ou ce délit. Enfin, qui contrôle-t-on ? D'une manière générale, et c'est statistique, ceux qui commettent les infractions sont jeunes (15-25 ans) et sont des hommes. De fait, l'on ne contrôle que très rarement des femmes (oui, la question a été posée de savoir pourquoi on les contrôlait moins) et des personnes âgées. Tout comme il est juste un fait : la délinquance de voie publique à laquelle sont confrontés les policiers est bien plus généralement (je caricature) habillée en baggy et sweet à capuche qu'en costume-cravate.
A cela, j'ajouterai que, depuis quarante ans, la France a connu de nombreuses vagues d'immigration (légales ou non), lesquelles ont été dirigées, par l'Etat, dans ce que l'on appelle les quartiers populaires, ou encore ZUP, désormais ZEP. Autrement dit, des ghettos. Et dans ces quartiers, les taux de chômage et de pauvreté explosent. D'une manière générale, la délinquance de voie publique, qui y est bien plus importante, est directement liée à la pauvreté (même si elle est multifactorielle, lorsque l'on y ajoute l'éducation, la déscolarisation, etc.). Ce qui ne veut pas non plus dire que, parce que l'on est socialement défavorisé, on est systématiquement délinquant, et c'est la même chose si l'on est issu d'une famille ayant immigré.
Une dernière chose : la police a la charge d'identifier des étrangers en situation irrégulière. C'est une infraction. Que l'on soit ou non d'accord avec le principe. La police n'a pas vocation à juger du bien-fondé d'une politique. Et l'immigration irrégulière est, à ce jour, en grande majorité en provenance du continent africain (et dans une moindre mesure de Chine). Ce ne sont là que les faits.
Les policiers connaissent, en général, la circonscription sur laquelle ils sont affectés : où sont commises les infractions (statistiques directement reliées aux dépôts de plainte), s'il s'agit d'une délinquance de passage ou ancrée sur le territoire, et quelles sont, globalement, les personnes qui posent le plus de problèmes. Il m'est arrivé, exerçant à l'époque en commissariat, de constater que des secteurs étaient bien plus calmes alors que l'une ou l'autre personne était incarcérée. Et inversement, lorsqu'elles revenaient sur ces quartiers, les statistiques se remettaient à augmenter.
Les faits, rien que les faits
J'en reviens à l'idée de départ : le contrôle auquel a assisté Mme Druel et la publicité qu'elle lui en a donnée. "Une histoire de Vélib" : c'est la seule assertion factuelle, directement en relation avec les faits et le contexte de ce contrôle. Parce que, vous pourrez chercher, personne ne sait pourquoi ce contrôle a été effectué, s'il fait suite à un appel au commissariat, à une infraction, ou quoi que ce soit. Donc, admettons, “une histoire de Vélib"... donc sans importance, en tous les cas, de quelque manière que ce soit, ne justifiant pas un contrôle. Mais j'aimerais tout de même savoir à partir de quel moment on considère que c'est grave, voire juste important. Et qui peut considérer que ça l'est ? Mme Druel ? Un autre passant ? Un jury populaire, peut-être ? Il me semble que, pour cela, on a inventé un truc pas trop mal et assez complet, qui s'appelle le Code de procédure pénale, dans lequel on a ajouté un article 78-2. Parce que oui, jusqu'à preuve du contraire, c'est ce même code qui édicte les conditions dans lesquelles peut se décider un contrôle d'identité. Et, en l’espèce, rien, dans ce qui est affirmé, ne permet de dire que celui-ci était illégal.
Ensuite, qu'est-ce qui permet de dire que ce contrôle s'est fait en fonction de l'origine de ces gamins ? Rien. Sauf que, désormais, la place de l'idéologie est telle que n'importe quel contrôle opéré sur une personne d'origine maghrébine ou africaine prête à suspicion et, plus encore, à la sortie de l'arme lourde permettant de flinguer du flic.
Le moyen : dix gamins sont donc contre cette grille. Qu'on me donne un cours sur la manière qu'il peut y avoir de contrôler un groupe, quel qu'il soit, en étant moins nombreux (les policiers sont, me semble-t-il, six ou sept), en évitant qu'ils puissent prendre la fuite ? Eh bien, on réduit les possibilités de fuite. Donc, avec un mur, on ferme l'angle à 180 degrés. Et on répartit les effectifs sur le reste de la distance.
J'ajouterai enfin que mon premier réflexe, à la lecture de ce tweet, a été précisément de me dire que ce qui humilie les gamins, ce sont précisément ceux qui s'arrêtent et les regardent comme des animaux de foire et diffusent leur photo (d'ailleurs, quelle autorisation de diffuser l'image d'un mineur sur un réseau social, sans l'accord d'un parent ?), en les utilisant à des fins purement idéologiques !
Qu'on vienne me dire que, lors de ce contrôle, les policiers se sont mal comportés, qu'ils ont été insultants, agressifs, verbalement ou physiquement : là, je dirais sans aucune difficulté qu'ils ont débordé de leurs prérogatives et qu'ils ont été en faute. Est-ce le cas ? L'histoire ne le dit pas. Et j'ai tendance à penser que, si ça avait été le cas, on le saurait.
Alors voilà : tant que l'on aura, d'un côté, des idéologues pensant que n'importe quel contrôle est directement lié au faciès et, de l'autre, des policiers refusant la moindre remise en cause, on ne pourra pas discuter.
La faute à ce prisme par lequel chacun veut voir la problématique pour se défendre :
D'un côté, ceux qui veulent défendre des enfants, ados ou adultes "racisés" (bordel, qu'est-ce que je n'aime pas ce mot !), lesquels sortent parfois traumatisés de contrôles incessants, voire parfois verbalement et/ou physiquement violents, alors même qu'ils ne "bougent jamais une oreille". Certains de ces enfants, adolescents, vont même jusqu'à en avoir la "haine du flic", y ajoutant la détestation de l'Etat et de toute autorité. Avec tous les risques que cela engendre de les voir alors, effectivement, basculer dans la délinquance !
De l'autre côté, des policiers qui, lorsqu'ils parlent "contrôle", pensent juste "délinquants", et ne veulent qu’empêcher ceux-ci de nuire. C'est précisément leur travail que de contrôler, gêner les trafiquants et autres voyous qui nuisent à la société et aux citoyens qui la composent. Et ces policiers de refuser en bloc la possibilité qu'il y ait un sentiment, chez les jeunes de banlieue qui ne font pas partie de ce spectre de délinquance, de l'existence de cette pratique de contrôle au faciès, tout comme le fait que, parmi ceux qui sont contrôlés, il y en a qui n'ont que la malchance d'habiter ou d’être au mauvais endroit, alors même qu'ils n'ont jamais rien fait. Et qu’eux ressentent les contrôles comme une véritable injustice sociale.
…
Un jour, il faudra bien avouer que la vérité est en fait au milieu. Il faut accepter les deux idées :
Oui, il y a des contrôles abusifs, avec des policiers qui parfois vont trop loin dans leur comportement, et des gamins qui ont un ressenti qu'on ne peut, d'un revers de main, balayer, nier. En cela, certains doivent modifier leur comportement, le professionnaliser. Il me semble que ce qu'il faut tout de même, c'est que nous, policiers, fassions preuve de discernement dans l'opportunité du contrôle. Mais aussi, lorsqu'il est pratiqué, dans la manière de l’opérer, dans sa méthode. Il n'est pas nécessaire, par le principe même d'un contrôle, d'avoir une attitude "musclée", dure, faisant preuve d'autoritarisme.
Et oui, les contrôles sont nécessaires, en tant qu'outil parmi d'autres. Un outil qui, parfois, est utilisé lorsqu'un voisin a du mal à dormir parce que des jeunes squattent le hall d'entrée, lorsque la grand-mère du sixième est dérangée par le quad qui tourne dans la cité depuis une heure... Les situations sont on ne peut plus nombreuses et différentes...
Ceux qui dénoncent les contrôles d'identité en bloc n'en connaissent bien souvent pas l'origine et la motivation, comme c'est le cas dans l'exemple précité. Je le redis : peut-être que ce contrôle n'avait pas lieu d'être. Mais non seulement nous n'en savons rien, mais, en plus, rien ne permet de tirer la moindre conclusion d’un contrôle lié au faciès.
Certains sociologues, comme Sebastian Roché, ont développé l'idée selon laquelle les contrôles d'identité n'avaient qu'une faible efficacité. Il me semble que c'est difficilement comptable ; l'on ne peut pas, pour en juger, juste parler des interpellations se déroulant immédiatement après le contrôle. Les contrôles d'identité participent aussi, d'une manière générale, à la connaissance du terrain que doivent avoir les policiers. Maintenant, si l'on devait les supprimer, ou les aménager, quels outils, à l'inverse, donnerait-on au policier ? C'est précisément la question que j'ai posée à Maître Ben Achour. Plutôt qu'à chaque fois vouloir rogner, purement et simplement, sur les moyens laissés à la disposition des policiers, que l'on nous propose autre chose !
Pour terminer, j'aimerais appeler à la plus grande attention : la difficulté, lorsque l'on est ancré dans la défense de certains idéaux, c'est précisément de garder le recul nécessaire, celui qui permet de distinguer des situations normales de celles qui ne le sont pas. En d'autres termes, ne plus voir aucune nuance dans ce qui est rapporté. Amalgamer, généraliser. Et c'est valable pour tout le monde. Lorsque l'on en est à dénoncer à tout-va, sans plus aucun discernement, l'on risque de perdre de sa crédibilité. Pour se comprendre, discuter, dialoguer, il faut aussi se mettre à la place de l'autre.