Voilà quelques jours maintenant que la sphère médiatique enfle, un peu plus chaque jour, à travers le scandale "Wenstein", du nom de ce producteur de cinéma américain, désormais accusé d'un certain nombre de viols, d'agressions et/ou de harcèlement sexuel. Est apparu, ces dernières heures, sur Twitter, le hashtag #balancetonporc (à ne pas confondre avec "balance ton proc", c'est pas pareil, hein), où de nombreuses femmes dénoncent des comportements sexistes, des cas de harcèlement vécus, pour la plupart, dans leur univers professionnel. Une parole qui se libère, donc, sans qu'il ne soit question de chasse aux sorcières, puisqu'il ne s'agit pas de donner des noms (qu'il faut réserver aux services d'enquête lorsque les faits sont délictuels ou criminels). Il me semble qu'il est ici question que chacun prenne conscience de la réalité de notre société, et de ce que vivent les femmes, au contact d'un pouvoir masculin, et de la manière dont certains ont de l'utiliser dans leurs rapports hiérarchiques et/ou, plus simplements, quotidiens.
Que peut-on faire en pareille situation? La voie judiciaire est-elle la seule qui existe?
La justice pénale
C'est la première chose à laquelle on pense, lorsqu'il est question des atteintes sexuelles. Les faits, et la procédure, ne sont naturellement pas les mêmes selon fonction de la nature de l'atteinte.
Commençons par les faits les plus graves: le viol. il est défini à l'article 222-23 du code pénal. On parle de "tout acte de pénétration sexuelle", de quelque nature qu'elle soit, qui n'est pas consentie. On sous-entend donc, que outre les pénétrations que l'on pourrait qualifier de "classiques", au sens commun du terme, il est aussi question, lorsque l'on parle de viol, de fellation ou encore d'une pénétration anale. Il y a ensuite des circonstances aggravantes, des notions d'âge, de vulnérabilité de la victime, de la nature des blessures qui auraient pu survenir, etc... Il s'agit d'une procédure criminelle, passible de la Cour d'Assises (même si de nombreuses affaires sont correctionnalisées).
Viennent ensuite les agressions sexuelles, qui sont définies à l'article 222-27 du code pénal, qui recouvrent tout ce qui n'est pas de la pénétration; en résumé, des attouchements, sexuellement connotés. Aussi bien celui qui va profiter de l'exiguïté du métro pour se frotter à une femme, que celui qui, ouvertement, portera ses mains sur la poitrine, même lorsqu'il veut "plaisanter". Nous sommes là dans une procédure correctionnelle.
Et puis, enfin, sans qu'il n'y ait d'atteinte physique, il y a ensuite le harcèlement sexuel, qui est défini à l'article 222-33 du code pénal:
I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
Ces peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende lorsque les faits sont commis :
1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Sur un mineur de quinze ans ;
3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice.
Etant précisé, ça parait aberrant, que cette infraction n'existe que depuis 2012.
Alors oui, il faut le dire aussi. Les atteintes sexuelles, au sens large, sont les plus délicates qui soient à porter en justice. Ce n'est pas pour rien que l'on évoque un chiffre noir en la matière, puisque seulement 13% des femmes victimes de viol déposent plainte, selon une étude de l'ONRDP. Pour plusieurs raisons cumulatives: tout d'abord, certaines n'ont pas conscience de ce qu'elles ont subies. Ou en prennent conscience tardivement. Ensuite, par nature, il est souvent très difficile, pour une victime, d'aller parler à quelqu'un d'autre de ce qui relève normalement de la sphère intime. Certaines se sentant honteuses n'osent pas franchir le pas. Le fait, aussi, que cela se passe "entre quatre yeux", emporte la conséquence selon laquelle il est souvent très difficile de prouver que l'on a été victime d'un comportement sexuel déviant, quel qu'il soit. Pas de témoin, et donc, dans le psychisme de la victime, la peur qu'on ne la croit pas, et que, même si elle veut aller bout, elle risque de le faire "pour rien". Et puis, cela compte énormément, le regard et/ou le jugement des autres, des proches, de la famille...
Balayons, nous aussi, services de police, devant notre porte; oui, il y a aussi la crainte du dépôt de plainte en lui-même, auprès du commissariat ou la gendarmerie. A nous, professionnels d'améliorer la prise en charge des victimes. Par un meilleur accueil, notamment, un vocabulaire adapté qui n'ajoutera pas à la culpabilité. A nous de nous former, pour être plus à l'écoute. Que les femmes n'aient plus peur d'affronter un policier. Qu'elles soient en confiance.
1. affronter les flics pour une plainte, c pas tout simple et facile. tu t'en prends plein la gueule. t'es pas aidée.
— skip (@manuballista) 7 mars 2017
Bref, que cela n'arrive plus.
Autant de raisons, donc, qui font que ce chiffre du nombre de dépôt de plainte, est si bas.
Un rappel tout simple: il existe deux moyens pour déposer une plainte:
- au commissariat ou à la gendarmerie, lesquels sont tenus de prendre une plainte.
- par un courrier adressé directement au procureur de la République (même si, de mon propre avis, le temps que le courrier soit pris en compte grève les chances d'avoir quelque preuve.
Déposer plainte pour viol (ou toute infraction sexuelle) est une chose difficile, mais aussi, il faut aussi en avoir conscience, grave. Pourquoi je dis cela? Parce que, nécessairement, la plainte va entraîner, pour les policiers, un certain nombre d'actes d'enquête. Oui, énormément de questions intrusives, des auditions, parfois de proches; et ça n'est pas évident. Nous le savons. Que, et c'est souvent dans le cas de ce que j'appelle des infractions cachées, on doit se contenter de la parole de l'un contre celle de l'autre. Je dis "grave" parce que, de l'autre coté, celui qui est accusé va risquer la prison; que dès lors, nous, policiers, ne sommes pas là pour prendre parti, mais pour présenter à la justice un dossier qui soit le plus complet possible, afin que les magistrats puissent prendre, de leur côté, les décisions qui leurs incombent. Et pour ce faire, il est absolument nécessaire de connaître un maximum d'éléments; tant sur l'auteur présumé, que sur la victime. Cela n'est pas de la défiance vis à vis d'une victime, mais de professionnalisme au cœur de la chaîne pénale. Nous faisons notre travail.
Le droit du travail
Si le nombre de faits dénoncés à la justice est faible, il l'est encore plus, à mon sens, lorsqu'il s'agit de dénoncer les comportements professionnels déviants, à connotation sexuelle. Et pour cause, il en va aussi, pour les victimes, d'une crainte pour leur avenir professionnel; oui, elles sont nombreuses, celles qui ferment les yeux juste par peur de perdre leur emploi.
Pourtant, le monde du travail peut, lui aussi, agir devant ces comportements. C'est dans le code du travail, qu'il faut chercher, pour trouver la notion de harcèlement sexuel, aux articles L1153-1 et suivants:
Aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article L. 1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés.
Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.
Aussi, l'employé qui se sera rendu coupable de tels agissement vis à vis d'un collaborateur, quel que soit le niveau hiérarchique, sera susceptible de faire l'objet de sanctions disciplinaires, au sein de l'entreprise. A noter que ce même code du travail protège le témoin qui, de son côté, dénoncera ces comportements.
Voilà autant de voies de droit qu'il est possible, pour les victimes, de saisir. Soit directement soit, c'est parfois plus simple, avec l'aide d'un avocat.
Pour autant, ne nous méprenons pas; il s'agit là, toujours, que de ne gérer QUE les conséquences d'un problème. Il faut que notre société agisse en amont, faire en sorte que tout cela n'arrive plus. Qu'un patron ne se sente plus l'autorisation de solliciter une relation sexuelle de la part d'une employée, qu'un homme politique, un patron de presse, ne sente plus la facilité pour en faire de même avec une collaboratrice, ou quiconque venant solliciter la personne qui détient un pouvoir, une notoriété; qu'un homme ne se sente plus autorisé à n'importe quelle réaction qui lui permettrait de surmonter sa frustration, lorsqu'un refus lui est signifié alors qu'il aura fait des avances... parce que oui, au delà des faits pénalement ou professionnellement répréhensibles, l'on ne doit plus, non plus, accepter les paroles à relents sexistes qui, elles aussi, peuvent blesser, et n'ont rien à faire dans une société évoluée. La drague, oui; l'insistance, la lourdeur, la violence, l'agressivité, même dans les mots, non. Et cela passera par une prise de conscience de tout un chacun, par l'éducation, dans nos foyers, de nos enfants, et plus particulièrement, des jeunes garçons, à qui l'on se doit d'apprendre le respect des femmes, et plus globalement, d'autrui.
Oui, la peur doit changer de camp.