L'occasion d'un déménagement est souvent de celles qui nous font mettre la main sur de vieux souvenirs. Celui-là est une toute petite tranche de vie de flic. 20 ans en arrière... ou presque:
J'ai l'honneur de vous rendre compte des faits suivants:
Ce jour, à 22h15, en sortant de mon domicile, aux fins de me rendre à mon service, au commissariat de Ixeville, j'ai aperçu plusieurs individus qui sautaient sur le capot et sur le toit de plusieurs véhicules. Cela à une cinquantaine de mètres de l'endroit où je me trouvais.
A ce moment, une alarme s'est mise à sonner, ce qui a alerté une personne qui s'est dirigée vers eux. Voyant cette personne, les individus au nombre de quatre, se sont dirigés dans ma direction en courant. Arrivant à ma proximité, j'ai pu en attraper un des quatre, au passage. je lui ai décliné ma qualité, lui ai montré mon uniforme, porteur des signes distinctifs sous ma veste et lui ai dit avoir été témoin des faits. Voyant qu'un des leurs était interpellé, les trois autres sont revenus à notre hauteur. S'en es suivie une légère altercation au cours de laquelle l'individu interpellé a tenté de s'enfuir.
Les choses à peu près calmées, j'ai entraîné les individus vers le 8bis de la rue et ai sonné à la porte. Le propriétaire des lieux, ouvrant la fenêtre, je lui ai demandé de composer le 17 et de signer qu'un gardien de la paix était en difficulté à l'adresse précitée. Devant mon insistante, et entendant les éclats de voix, celui-ci a refermé sa fenêtre et s'est exécuté. Il s'agit de Monsieur Yolo....
Pendant ce temps-là, les quatre individus essayaient de parlementer pour que je relâche leur ami. A aucun moment, il ne m'a été possible de menotter l'individu, les trois autres tournant sans cesse autour de moi.
Voyant le temps qui passe, et sachant qu'un véhicule de police ne devrait pas tarder à arriver sur les lieux, l'individu interpellé s'est alors débattu, puis les trois autres m'ont sauté dessus, me portant des coups de poing et de pied au niveau du visage, ainsi que dans le dos et sur les jambes. A ce moment, devant l'insistance des coups portés, et la violente résistance qu'ils montraient, l'individu a réussi à se relâcher de son emprise, néanmoins, je tenais sa veste en main. Une fois libérés, les quatre individus sont partis en courant en direction de l'avenue...
Ne voyant aucun véhicule arriver, j'ai à nouveau sonné à la porte de Monsieur Yolo pour lui demander s'il avait bien avisé la police; celui-ci m'a alors répondu que son interlocuteur ne l'avait pas cru et qu'il devrait rappeler plus tard.
Vu les faits, j'ai moi-même composé le numéro de téléphone du Commissariat d' Zèdeville (où je travaille) afin que le standardiste prévienne le commissariat de Ixeville, et que le standardiste avise la brigade de mon retard.
Quelques instants plus tard est arrivé la TV (indicatif radio) de Zèdeville.
Le signalement des individus... Je serais en mesure de les reconnaître...
A 23h00, j'ai été conduit à l'hôpital où il m'a été diagnostiqué...
Au présent rapport est annexée la veste de l'un des individus.
(oui, bon je sais... ça va...)
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Voilà le rapport que j'ai rédigé il y a près de vingt ans, donc. Rapport banal, sur une intervention presque banale. Pourquoi en faire état ici?
Juste pour vous relater ce qu'il peut se passer, même hors service, lorsque l'on est policier. Ai-je bien fait d'intervenir? La question se pose; cela aurait pu être bien plus dramatique. Ces individus auraient pu être armé, même d'un simple couteau... Mais, dans le feu de l'action, il n'y a pas le temps à se poser 10.000 questions. On pense à ceux qui vont retrouver leur voiture défoncée. On se dit qu'on est flic. On y va. Sauf qu'après, c'est la réalité. Ils sont quatre, je suis seul. On essaye la psychologie, puisque forcément, ça sera difficile de tenir la situation en l'état d'un point de vue physique. Mais ça ne dure qu'un temps, qu'on essaye de gagner... on se dit "une voiture va bien finir par arriver". On guête les angles de rue, priant de voir la sérigraphie. On écoute de manière attentionnée, espérant entendre le doux son du deux-tons... mais rien ne vient. Et ce qui devait arriver... arriva. Forcément. La fuite, les coups... Cette intervention, au demeurant simple, m'a marquée pour une seule raison. Et cette sensation, je la ressens encore, comme si c'était hier. Lorsque ces individus me tournaient autour, je n'avais qu'une seule crainte: qu'ils me dérobent mon arme. Tout le temps d'intervention, mon bras droit était collé au corps... ils étaient quatre, tournant autour... difficile d'avoir un oeil partout en même temps. C'était une vraie hantise. Et, de par mon conditionnement, je n'avais aucune raison de la sortir; c'eût été un risque supplémentaire. Sortir une arme alors qu'il n'y a pas de raison de s'en sortir, ça ajoute au risque de se la faire voler... A quatre, ils auraient, là encore, eu le dessus. Donc non. Et puis, les circonstances ne m'ont pas été favorables. Je suis tombé sur un voisin qui n'avait pas envie de m'aider; il aurait pu en être autrement. Ca aussi, on le prend dans la tronche! T'es flic, tu vois une branlée arriver; Mais c'est chacun pour sa gueule. Le voisin ne veut pas d'emmerdes... il ne veut pas voir les jeunes se pointer chez lui quelques jours plus tard, s'en prendre à sa bagnole, ou pire encore... Quand au standard de "Police secours", je ne sais même pas aujourd'hui si, à la fois il a été réellement appelé, ou si effectivement il ne m'a pas cru.
Bref, j'ai ensuite repris mon service. Tout à fait normalement. Et, bien entendu, je n'ai jamais eu aucune nouvelle de cette affaire.