La vie a repris son cours, ce matin, aux abords de la Cathédrale Notre Dame. Et c'est bien normal. Quarante huit heures après, le ciel parisien s'est éclairci au fur et à mesure que le temps a passé; chacun reprend sa vie quotidienne, les touristes sont là; peut-être seront-ils juste un peu moins nombreux, dans les prochains jours. Les employés de la Préfecture, policiers et administratifs sont à l'heure, comme tous les jours, à la sortie du métro parisien. Et puis l'on arrive au bureau. Les discussions vont bon train, encore. On en parle, forcément. Les dernières informations qui sont sorties. La vidéo qui circule sur les réseaux sociaux... les derniers détails de l'affaire. Un étudiant.. le message d’allégeance... et puis, rapidement "une nouvelle voiture est arrivée, faut aller la chercher"... et puis, l'un ou l'autre messages de proches "fais attention"... une inquiétude latente de nos amis, de la famille, plus ou moins prononcée à chaque fois que survient un fait tragique.
Il n'y a pas le choix, de toutes les façons. Mais, à chaque nouveau fait, c'est comme cela que ça se passe. Et là, je me remémore cet article du journal Libération, écrit par Robert McLiam Wilson, intitulé "ma rage est ingouvernable". Et, dans cet article, la référence à l'habitude. Je me permet d'en citer un passage:
"J’espère que vous n’aurez jamais mon expérience, mon habitude. J’espère que jamais, quand vous entendrez une bombe exploser dans un rayon d’un kilomètre, vous ne vous retourniez vers quelqu’un en disant : «Montparnasse, non ?», avant de reprendre immédiatement vos occupations. J’espère que vous ne maîtriserez jamais le truc qui consiste à allumer les infos pile à l’heure des sports pour éviter le bilan du carnage du jour dans votre ville".
Oui, on s'habitue aux actes terroristes. On s'habitue aux policiers cibles d'actes de terrorisme. L'on ne s'habitue pas à l'horreur, à l'indicible..; quoique ! C'est le sens même de la remarque que m'a faite mon collègue, à cet instant-là. Alors certes, l'on n'en est pas - encore - à se demander "où ça a sauté cette fois-ci", mais tout de même; hier à Londres, avant-hier à Manchester, aujourd'hui à Paris... avec plus ou moins de réussite dans le nombre de victimes et la terreur; et donc, de médiatisation.
Mais en fait... quelle est la solution? y en a-t-il seulement une ? à vrai dire, je n'y crois pas. Oh, je ne suis pas résolu, je continuerai à faire mon travail, jour après jour... mais, en l’espèce, sur le dernier fait en date, que faire, face à ce type d'acte, sur un homme isolé, journaliste ayant travaillé, même très occasionnellement, pour des médias français ? Un homme qui ne va pas chercher à acheter une kalachnikov, ni même tout autre type d'arme à feu, même simple ! Pas même, non plus, un couteau, quand bien même il en portait sur lui ! Il a attaqué AVEC UN MARTEAU ! Devra-t-on craindre, demain, la seule personne qui court vers un policier, en y voyant, par le seul fait de courir un indice supposé de dangerosité ?
Nous nous devons, chacun, chaque policier, d'être attentifs, toujours. En fait, chaque citoyen se le doit. A minima. Il ne s'agit pas de se pourrir la vie, mais juste d'être attentif, un peu, à son environnement. Mais, déjà, cela ne retire-t-il pas déjà une forme de liberté? en fait, l'insouciance? C'est en tous les cas l'impression que cela donne! Alors, peut-être qu'avec la profession que j'exerce, je ne suis pas le mieux placé pour être "insouciant" ! C'est une probabilité. Mais en fait, comme les belles choses, ou les personnes... c'est quand elles disparaissent de nos vies, que l'on se rend compte combien elles nous étaient chères. Bien sur que l'insouciance n'est pas la première des facultés du policier. Et pourtant, nous en sommes, chaque jour, un peu plus dépourvus.
Le collègue blessé sur le parvis de la cathédrale Notre Dame semblait renseigner un touriste, au moment de l'agression. Un endroit calme, où les passants sont souriants, puisqu'en général touristes en vacances; aucune tension à l'horizon, quand bien même l'on se souvient de cette voiture qui n'avait, heureusement, pas explosée à proximité de ce même parvis voilà quelques semaines. Et puis, cet homme qui surgit en courant... une fraction de secondes plus tard, il est au sol, touché par un tir de réflexe d'un policier. Des centaines de personnes sont confinées à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame, l'ile de la Cité est bouclée de toutes parts, les monuments voisins sont rapidement évacués, et les postes statiques sont doublés, voir plus, et les transports en communs alentours ne marquent pas l'arrêt. Les stations de Métro et de RER sont fermées.
Par chance, nous serons rapidement rassurés:notre collègue n'est que légèrement blessé. Et son collègue a eu le seul réflexe possible en pareilles circonstances. Sur un plan juridique, la légitime défense ne fait absolument aucun doute. Quand bien-même l'on lit, ci et là, des questionnements sur l'usage qu'auraient pu faire mes collègues d'une arme "non létale". J'insiste, il n'y avait aucune réponse que celle fournie dans ce cas de figure. Petite aparté, quand au dernier attentat survenu à Londres, et ces trois hommes ayant percuté des passants, avant d'en tuer ou blesser d'autres, à l'arme blanche. Huit minutes après l'appel fait aux secours, les auteurs ont été abattus par des policiers. Pour rappel: 5% des policiers anglais sont armés. De quelle manière auraient pu intervenir les 95% restant, face à ces hommes? Mais, je m'égare... probablement.
Il pleut, désormais, sur Paris; et en quelques minutes, plus aucune trace de ce qui aurait pu être un drame ne subsistera sur le parvis. Le temps, pour les médias, de couvrir l'information... et puis, petit à petit, le rythme reprend.
Alors, nous disait Shakespeare, "Cœur insouciant vit longtemps"... puissions-nous retrouver, rapidement, un peu d'insouciance.