Devant les questions d’actualité qui se posent en ce moment, j’ai voulu inviter des militantes qui se sont donné pour mission de rapprocher les citoyens de leur police, qu’elles estiment éloignée de la population, afin de tenter de comprendre leur approche concrète et leurs objectifs.
La parole est à Sandra Pizzo et Gaëlle Van Der Maslow, cofondatrices du collectif Citoyens & Policier.
Chris PJ : Comment vous est venue cette idée que vous pourriez avoir quelque chose de « commun » avec des policiers ?
Sandra : Pour moi qui ai toujours été très basiquement « anti-flics », il y a clairement un avant et un après-13 Novembre. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai enfin compris que les policiers n’avaient pas qu’une fonction de répression mais aussi une mission de protection ; une mission pour laquelle ils pouvaient potentiellement donner leur vie.
Quant à me dire que je pouvais avoir quelque chose de commun avec eux… Curieusement, ça m’est venu au beau milieu des manifestations contre la loi travail. Instinctivement, à cause de ce que je viens de dire, je ne voulais plus gueuler avec les autres « Tout le monde déteste la police ». Je pressentais aussi qu’à force de violences des deux côtés (encore aujourd’hui, je partage équitablement les responsabilités entre les deux camps) nous étions en train de perdre la bataille contre le gouvernement. Et puis j’ai commencé à me dire qu’au fond ces violences-là servaient bien le pouvoir ; qu’elles pouvaient être au mieux récupérées, instrumentalisées, au pire orchestrées : est-ce que le gouvernement ne jouait pas la carte de la tension pour pouvoir dire in fine « On ne négocie pas avec des casseurs » ? Est-ce qu’il n’envoyait pas sciemment les CRS au casse-pipe pour décrédibiliser la contestation ?
Et puis j’ai commencé à me renseigner sur les conditions de travail des CRS et des policiers en général. Et j’ai compris que le « flic de base » n’était pas nécessairement mieux loti qu’un autre travailleur. Mais aussi que la police constituait un service public – je n’avais jamais vu ça comme ça auparavant – et qu’en tant qu’usagère (j’ai du mal à me dire « bénéficiaire » de la police) j’avais toute la légitimité pour me mêler de ses dysfonctionnements, et même pour militer en faveur de son amélioration. Et puis aussi, et surtout, évidemment, j’ai commencé à vous rencontrer… Une fois votre méfiance passée, la glace brisée, j’ai découvert des hommes – pour le moment très peu de femmes – eux aussi soucieux de ce service du public et portant des valeurs d’engagement pour le bien commun qui pouvaient être identiques aux miennes. En fait, souvent, malgré nos divergences… je vous trouve très chouettes, je suis bien obligée de le reconnaître.
Gaëlle : J’ai grandi avec un oncle fonctionnaire de police. J’avais donc une image du policier qui m’était familière et bienveillante. Mais j’ai également été confrontée à d’autres qui ont contrebalancé cette image « idyllique ». En y réfléchissant, c’est probablement le point de départ de ma réflexion. Les contacts que j’ai pu avoir avec les policiers mais également les gendarmes avant même la création du collectif ont tous été très différents, positifs et négatifs.
En élargissant un peu ce point de vue, au final, la population en général se comporte de la même façon : au travail, dans notre vie personnelle, dans notre rapport aux autres, on est tous très différents et nos réactions proviennent de nos caractères, de nos expériences, de nos sensibilités, etc. De mon point de vue, il est illusoire de dire que nous sommes tous égaux. Nous ne le sommes pas. Nous n’avons pas tous les mêmes armes, la même pensée, la même vérité. Si on applique ce principe à un policier en tant qu'être humain, il est soumis aux mêmes conditions que les autres. Comprendre à quoi il est soumis, pourquoi, comment, permet aussi de mieux l’aider pour lui permettre d’endosser sa fonction en respectant le degré d’exigence qu’on lui demande. À l’heure actuelle, je ne pense pas qu’en tant qu'être humain il est possible pour un policier d'être exemplaire en toutes circonstances, c’est impossible. Je me sens autant proche d’un fonctionnaire de police que d’un salarié payé au SMIC, inconsidéré par son employeur, qui sacrifie sa vie personnelle pour le bien de l’entreprise.
Sandra : J’ai une question en retour, Chris PJ : au tout début de nos échanges, tu m’avais dit que tu étais ouvert au dialogue, certes, mais que tu estimais que ce n’était pas particulièrement à toi, policier, de faire un pas vers nous, citoyens. Dirais-tu la même chose aujourd’hui ?
Chris PJ : Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. D’une manière générale, nous sommes au contact du citoyen au quotidien. En tant que service public, cela fait partie de notre mission. Et c’est essentiel. Inversement, les orientations ou les décisions devraient être prises par notre administration ou, éventuellement, par la classe politique. Malheureusement, depuis vingt ans que je suis dans la police, nous avons suivi des politiques différentes, de droite comme de gauche. C’est le propre de l'administration que de s’adapter au politique élu pour un programme. Pour autant, toutes les orientations prises par la classe politique n’ont jamais été suivies des moyens nécessaires. Le plus bel exemple, pour moi, reste la police de proximité. Je dois bien dire qu’à l’époque je n’y étais pas très favorable, pour la petite histoire. Toujours est-il que lorsque cette « polprox », comme on l’appelait, a été créée, on a pris des policiers dans certains groupes/services pour les mettre ailleurs. En gros, on est restés à moyens constants. Et je l’ai vécu en direct, dans le commissariat de petite couronne où j’exerçais. Tout ça pour dire que l’idée est peut-être bonne. Mais sans véritables moyens, elle en devient mauvaise, et ne peut donc pas produire les résultats escomptés.
J’en reviens à nos moutons. Il est un fait : la police n’est plus comprise par une frange de la population. Au sein de cette frange, il y a des gens qu’on ne convaincra jamais, qui nous sont radicalement hostiles. Une partie par principe, positionnement politique, éducation… D’autres, et ils sont aussi nombreux, parce qu’ils profitent du système de trafics nombreux et variés, plus largement hostiles à la loi. Et il y a cette zone grise. Celle-là, je suis convaincu qu’elle peut nous comprendre. Vous êtes issues de cette zone grise.
Ensuite, ma présence sur les réseaux, sur le net, participe de la même volonté. Expliquer nos contraintes, nos difficultés ; que les gens ne se disent pas, lorsqu’ils sont verbalisés : « Il n’a pas des terroristes à interpeller, celui-là ? » La police, c’est un ensemble de métiers qui s'imbriquent tous les uns dans les autres, avec un objectif commun : la sécurité et la salubrité publique. Donc, chacun son job, au service de cette population. C’est, précisément, le rôle de la fonction publique.
Chris PJ : Quel est l’objectif de votre mouvement, et quels moyens vous donnez-vous ?
Gaëlle : Au départ, nous n’avons pas réfléchi aux objectifs à long terme, on était plus dans l’urgence de l’apaisement. On a commencé avec « notre bite et un couteau », clairement. Donc on s’est donné de petits objectifs concrets à court terme. Des petites victoires qui nous ont motivés pour aller plus loin. C’est par la suite qu’on a vraiment envisagé une vision à long terme. Et c’est grâce aux soutiens qu’on a eus de citoyens et de policiers engagés à nos côtés qu’on l’a construite. Sans eux, on n’aurait jamais évolué aussi rapidement. On a dû se remettre en question une bonne centaine de fois sur notre vision du rapprochement police/population et nos convictions. En revanche, on a toujours été d’accord sur les moyens :
– rester fidèles à nos valeurs, à nos principes, quoi qu’il nous en coûte. C’est-à-dire ne pas accepter tout et n’importe quoi sous prétexte qu’on pourrait aller plus loin, plus vite ;
– ne jamais être dans le jugement, la dénonciation et la condamnation. Nous ne nous substituons pas à la justice, nous ne sommes pas là non plus pour ne faire que pointer du doigt les problèmes, mais pour proposer des solutions.
Ce sont plus des préceptes de fonctionnement que de réels moyens, mais on fonctionne beaucoup intuitivement et à la confiance. On a misé d’abord sur le groupe que nous avons formé et, une fois soudé, on l’a porté avec nos valeurs étape par étape.
On a tous un travail. Enfin, sauf moi, pour le moment. Mais on s’investit tous dans le collectif 24h/24, 7j/7. On n’est pas rémunérés pour notre travail au sein du collectif, ça nous coûte plus d’argent qu’on en reçoit ! Il faut pouvoir jongler avec nos vies privés, nos vies professionnelles, nos vies sociales. Je pense, pour être honnête, qu’on est tous très investis dans ce sacerdoce. On en souffre tous à différentes échelles, mais ça nous apporte tout autant en richesse humaine. On prend sur nos deniers personnels pour effectuer des déplacements sur Paris et en province afin de prendre contact avec des personnes qui, on le sait, enrichiront nos réflexions et nous aident, de près ou de loin, à affûter nos idées. On mise totalement sur l’humain. Pour l’instant, les rencontres que nous faisons, les échanges que nous avons nous confirment que nous avons raison de faire confiance aux autres. Alors on continue et on se soutient.
En ce qui concerne nos objectifs, nous en avons toujours plusieurs à court terme, que nous travaillons actuellement. L’objectif ultime serait qu’une veille citoyenne et policière soit créée et consultée régulièrement sur tous les aspects de l’institution policière et son rapport à la population. Que les citoyens et les policiers puissent travailler ensemble sur la formation, les conditions de travail, les moyens donnés aux policiers, les techniques utilisées lors des missions, etc. Pour cela, il faudrait qu’il y ait une réelle volonté du gouvernement en faveur d’un rapprochement police/population. Pourtant, il me semble que l’IGPN est censée s’occuper de ces questions…
Sandra : Notre travail, c’est un mélange de « petits » objectifs (continuer à faire entendre notre voix y compris dans une sorte de porte-à-porte, d’individu à individu : on a un côté très témoins de Jéhovah, et on adore les échanges directs) et d’objectifs plus ambitieux (travailler avec des assos de quartier à des propositions pour améliorer les relations, espérer être reçus par le Défenseur des droits, qui vient d’être saisi de la question du maintien de l’ordre en France). L’un ne va pas sans l’autre.
Chris PJ : À ce jour, comment est structuré votre mouvement ?
Sandra : Légalement, nous n’existons pas : nous ne sommes pas structurés en association loi 1901. C’est un vrai choix, et nous résisterons aussi longtemps que possible : nous sommes convaincus que c’est grâce à ce « flou artistique » que nous avons pu tisser autant de liens avec des policiers en peu de temps finalement (on réalise, par exemple, qu’on a un carnet d’adresses plus fourni que certains journalistes dits de terrain…). Car qui dit association formelle dit adhésion, et donc liste d’adhérents ; or nous sommes très soucieux de protéger l’anonymat de « nos » policiers qui acceptent de témoigner de leur quotidien, souvent en opposition avec leur hiérarchie. Adhérer à une association reconnue en préfecture serait un frein pour tout le monde, c’est sûr.
Nous sommes aussi très adeptes du « militantisme à la carte » : dans notre collectif (quel beau mot, non ?), chacun peut venir jouer un rôle à un moment donné, sans s’engager dans la durée, sans avoir à laisser ses coordonnées, sans payer de cotisation – l’essentiel étant d’adhérer à l’état d’esprit et aux valeurs du collectif –, et puis repartir, et nous suivre de loin pour mieux revenir sur une action qu’il voit comme particulièrement motivante… C’est une vision très « nuitdeboutiste » de l’engagement militant : il n’y a pas de « petit rôle » chez nous, jamais, chaque contribution a son importance, il n’y a pas de hiérarchie, surtout pas (la parole d’un gardien de la paix vaut autant que celle d’un contrôleur général, eh oui), et les décisions sont prises au consensus. C’est un fonctionnement assez chronophage, mais c’est essentiel : il faut qu’au bout du compte chacun s’y retrouve. Pour les « civils » plus ou moins contestataires qui nous suivent, c’est un mode de fonctionnement normal ; pour les policiers… c’est sûrement plus surprenant, et c’est rigolo à transmettre.
Gaëlle : C’est tout à fait ça. Mais qu’elle est bien cette Sandra ! 😉 On a des soutiens proches et moins proches, qui disparaissent un jour et réapparaissent toujours au bon moment. On ne demande pas aux gens de s’impliquer autant que nous, ce ne serait pas gérable dans l’immédiat. On a parmi nous un policier par exemple, que je ne nommerai pas bien évidemment, mais il se reconnaîtra, qui n'arrête pas de nous dire qu’il est fier, qu’on a beaucoup avancé et qu’il a honte de ne pas s’investir plus à nos côtés. Alors que nous savons pertinemment qu’il sera présent quand nous aurons besoin de lui à un instant T, et qu’il est toujours là pour nous remonter le moral quand on en a besoin. C’est ça aussi le collectif. Ce n’est pas juste un soutien financier, matériel, mais avant tout un soutien psychologique. C’est une grande famille, dans laquelle tout le monde peut entrer pour discuter avec tonton Alfred et cousine Berthe quand il veut.
Chris PJ : Les policiers qui font partie de votre mouvement sont quelque peu « coincés » par leur devoir de réserve. Comment trouver le juste milieu entre le fait d’être au plus près de la vérité et cette obligation qui est la leur ?
Gaëlle : Ils sont coincés surtout lorsqu’ils s’expriment publiquement. Au sein du collectif, c’est un peu la Suisse. En face-à-face, le devoir de réserve n’existe plus. À la base, les policiers ont le devoir d’informer les citoyens ; en plus de la loi, c’est également du bon sens. En tant que citoyens, il est facile pour nous de relayer leur parole sans être inquiétés, nous ne sommes pas soumis à ce devoir de réserve. On ne transmet que des informations pour lesquelles nous avons des preuves tangibles et concrètes. Et on cherche toujours la bonne manière pour les transmettre, pour ne pas mettre ces policiers en porte-à-faux par rapport à leurs collègues ni les soumettre aux risques de sanctions de leur hiérarchie. Mais aussi, on cherche à rester crédibles : on ne dénonce pas pour dénoncer.
De ce fait, ça demande du temps. Parce que les policiers sont tellement bridés par cette obligation de réserve qu’ils ne savent plus parler. Une fois qu’ils comprennent qu’on n’est pas là pour les jeter dans la fosse aux lions mais pour les protéger et les aider à porter leur parole pour leur bien et le bien de la population, ils se confient. Et c’est là où on découvre l’ampleur de leur souffrance, un problème qu’il est essentiel de dénoncer. Il est évident qu’il est très difficile pour certains de le faire – pas parce qu’ils manquent de courage, mais parce que la situation dans laquelle ils sont est trop instable pour qu’ils prennent le risque de la déstabiliser encore plus.
L’un d’entre eux nous disait récemment que la situation ne pouvait que s’empirer de toute façon, alors autant prendre le risque, maintenant qu’il en avait l’opportunité, de dénoncer pour essayer de changer les choses. Personnellement, et je pense que Sandra me rejoindra sur ce point, j’ai un profond respect pour ces policiers qui s’investissent à nos côtés de près ou de loin.
Sandra : Ah oui, c’est certain. Comme j’ai un profond respect pour ceux que l’on dit « autonomes », « anarchistes », « antifas » – et anti-flics, ça c’est sûr – qui acceptent de nous écouter sans nous traiter de collabos, voire de dialoguer avec nos policiers, et que l’on voit bouger, lentement mais sûrement, de leurs lignes bien établies… Ça n’a peut-être l’air de rien de votre point de vue, mais ce sera peut-être quelques pavés en moins qui voleront lors de la prochaine manif.
Chris PJ : Comment vous situez-vous par rapport aux syndicats de policiers ? Travaillez-vous avec eux ? En est-il question ? Et quelle est votre « valeur ajoutée » par rapport à ces organisations censées défendre les intérêts des policiers ?
Sandra : Au tout début (la préhistoire du collectif), des policiers nous ont dit : si vous voulez entrer en contact avec nous, il faut passer par nos syndicats. Dont acte. Nous avons pondu un texte, un « appel pour un dialogue ferme mais apaisé entre société civile et police », que nous avons proposé de signer à tous les syndicats policiers. Aucun n’a répondu – même pas par la négative – sauf un : la CGT-Police. Alors voilà : oui, nous avons le soutien officiel de ce syndicat dans notre démarche, ce qui parfois peut nous desservir auprès de ceux qui ont du mal à regarder au-delà des étiquettes. Mais ce qui compte pour nous, ce sont les actes, pas les étiquettes : si un autre syndicat avait envie de travailler avec nous au rapprochement police/population, nous serions ouverts, évidemment. Prudents, pour ne pas risquer de lui servir de « faire-valoir » dans sa stratégie de communication, mais ouverts. (Avis aux candidats, cependant : la CGT-Police nous a toujours accueillies dans ses locaux avec une bonne provision de Kinder – un gage d’une rencontre de qualité.)
Gaëlle : On a appris à connaître vraiment le fonctionnement et les dysfonctionnements des syndicats de police lors des échanges avec les policiers : les difficultés rencontrées pour les mutations et l’avancement, les liens politiques très étroits qui gangrènent le rôle des syndicats, les solutions proposées aux problèmes des policiers (souvent superficielles), la déconnexion des représentants syndicaux par rapport au terrain, etc. Nous ne sommes pas un syndicat, mais nous défendons autant les intérêts des policiers que ceux des citoyens. La différence c’est que nous n’avons aucun intérêt personnel dans cette démarche. Nous n’avons rien à gagner sinon dans l'intérêt de tous. On peut dénoncer les dysfonctionnements au sein de l’institution police sans être bloqués par un lien politique, quel qu’il soit, ou un accord passé officiellement ou officieusement avec quiconque.
Chris PJ : Comment vivez-vous ce que la presse appelle « l’affaire “Théo » ? Où vous situez-vous par rapport à cela ?
Gaëlle : L’affaire Théo, l’affaire Adama… Il y en aura d’autres tant qu’on ne s’attaquera pas aux vrais problèmes. Ceux au sein de la police et ceux au sein de la population. Alors, à qui la faute ? Ou plutôt, à qui profite le crime ?
Après l’affaire Théo, on a eu des contacts militants qui sont venus nous réclamer des comptes et nous demander pourquoi on ne s’exprimait pas sur cette histoire. Mais ce n’est pas notre rôle. On sait qu’il y a des problèmes ; nous, on se focalise sur les solutions. Lorsque nous avons eu connaissance de cette histoire, on s’est donc donné le temps d’en discuter entre nous et de prendre du recul. C’est lorsque nous avons vu l’ampleur que cela prenait, le cirque médiatique, les commentaires haineux du côté policier comme du côté citoyen, qu’on a décidé de faire un appel à l’apaisement et au dialogue. On est un peu la voie du milieu. On est dans la recherche perpétuelle de solutions basées sur le dialogue. C’est comme ça qu’on s’est mis en lien avec une association d’Aulnay-sous-Bois et qu’on est allés les rencontrer avec deux policiers. On ne crée pas un changement dans la condamnation mais dans l’ouverture.
À titre personnel, on est aussi soumises au questionnement de notre entourage, qui, lui, se fie aux médias ; c’est parfois compliqué à gérer mais c’est toujours constructif. On se remet toujours en question et on en revient toujours aux mêmes conclusions : un dialogue est nécessaire.
Sandra : À mon tour de te retourner la question… Plus particulièrement, comment vis-tu les réactions presque de déni de certains de tes collègues, de vos syndicats, des associations issues de la grogne policière de ces derniers mois, qui pour nous constituent souvent des réflexes corporatistes ? Pourquoi est-ce si difficile pour vous de dire : oui, il peut y avoir des moutons noirs dans nos rangs, et même s’il y a tout un tas de raisons objectives pour expliquer ceci ou cela, il faut tout d’abord admettre que de tels agissements constituent bien des violences illégitimes ?
Chris PJ : Je n’ai pas de difficulté avec cela. Il n’y a qu’à voir les condamnations qui tombent ici et là. Malheureusement, le « public » attentif aux faits divers attend toujours des condamnations sur des faits ultra médiatisés, faisant fi des enquêtes et de la justice. C’est une erreur. Nous sommes l’administration la plus sanctionnée en France. Nous sommes contrôlés par plusieurs entités : l’IGPN, les magistrats, des autorités administratives indépendantes… en plus de notre hiérarchie. Le contrôle ne manque donc pas. Et, personnellement, je suis très attaché à l’IGPN en tant que telle. Très clairement, ils ne nous font pas de cadeau, et n’ont pas cette réputation dans la police ; et ils ne sont pas là pour en faire. Mais ce sont des policiers, et c’est important à mes yeux : ils savent ce que nous faisons, cela leur donne une aptitude à la compréhension. Je pense, par exemple, à une action de police en légitime défense (ou pas). Mieux que des personnes totalement extérieures, ils savent que ce genre de décision se prend parfois plus rapidement qu’il le faut pour poser tout un problème avec thèse, antithèse et synthèse.
Pour ce qui est de l’affaire Théo, elle est évidemment catastrophique en termes d’image pour la police (évidemment, elle l’est avant tout pour celui qui a déposé plainte). Pour autant, j’accorde aussi une grande importance au temps d’enquête, qui est très éloigné du temps médiatique. Tout le monde s’est très vite fait une idée très précise, il ne manquait plus que la potence pour les quatre policiers. Maintenant, il y a un fait avéré : ce jeune garçon a une déchirure anale. Maintenant, tout reste flou sur le « comment on en est arrivé là » ; et cela n’est pas forcément aussi clair et limpide que ce qui a pu être dit au départ. Sans compter qu’on veut absolument imposer à l’opinion qu’il s’agit d’un crime raciste, « comme tant d’autres, impunis ». Alors qu’il semblerait (sous réserve des conclusions finales de l’enquête) que ce soit la victime qui soit intervenue auprès des policiers, et plutôt violemment. Ce qui, et j’insiste encore pour le dire, ne mérite certainement pas ce qui est arrivé. Mais l’origine de l’engagement des policiers diffère déjà de l’histoire qu’on nous a vendue au début. Ma conclusion, c’est « attendons la fin de l’enquête » et nous verrons quelle issue sera donnée.
J’ajoute qu’il y a dans tout cela une certaine presse et des associations dont le but est très éloigné de la vérité et qui n’ont pour objectif que de mettre de l’huile sur le feu. Et cela n’aide pas à l’apaisement. Pour autant, on ne peut nier qu’il y a des difficultés de communication dans ces banlieues. Et qu’il faut avancer, trouver des solutions.
Pour ce qui est de la réaction de nos syndicats, je dois bien avouer que je n’ai trop rien entendu, si ce n’est cette sortie honteuse de Luc Poignant, on ne peut plus détestable, j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire.
Chris PJ : Comment faire en sorte d’être à la fois entendu par les décideurs politiques sans être récupéré, avec le risque que cela comporte d’être ensuite « classé » politiquement ?
Gaëlle : Je pense que nous n’avons pas encore entièrement résolu ce problème. On a toujours été clairs au sein du collectif : l’important n’est pas l’étiquette politique mais l’objectif commun. Pour l’instant, nous n’avons personne au sein du collectif se revendiquant partisan de l'extrême droite. Mais la question s’est posée : accepter ? Ne pas accepter ?
On part du principe que, si on ne définit personne par une étiquette, on accepte tout le monde. Nous avons des membres qui se sentent plus proches de la gauche, d’autres de la droite, mais au final, qu’est-ce que cela signifie pour eux ? Concrètement, on est tous républicains, on aime notre pays et on veut participer à un changement positif pour le bien de tous, et nous sommes tous très humains. On est inclassables.
À partir de là, nous n’accepterons pas de travailler avec un parti politique en particulier qui souhaiterait s’approprier ces questions pour sa campagne électorale, par exemple. En revanche, on reste ouverts sur un travail avec un gouvernement qui souhaiterait réellement se pencher sur ces questions. Mais, comme dit plus haut, en restant fidèles à nos valeurs, à nos principes, quoi qu’il nous en coûte. On a commencé avec trois fois rien, avec ou sans eux, on continuera.
Sandra : Particulièrement dans ce contexte de campagne électorale, effectivement, nous avons une grande, grande méfiance envers les politiques. On entend par exemple l’un ou l’autre dire qu’une fois élu il rétablira la police de proximité. Mais comme l’un ou l’autre appartient à un camp qui a tenu les rênes du pouvoir pendant cinq ans, on se demande bien pourquoi il ne s’est pas battu pour porter cette idée brillante avant... Je crois donc sincèrement que, tant que les législatives ne seront pas passées, il n’y aura rien à attendre des partis politiques : l’heure est aux promesses et aux récupérations pour le moment. Après, nous verrons. Je suis moins optimiste que Gaëlle : je ne crois pas que le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur, aura envie de se lancer dans un grand chantier de réforme de la police, courageusement, sur plusieurs années, et surtout pas allant dans le sens de meilleures relations avec la population. L’heure est plutôt aux restrictions budgétaires et aux options du tout-sécuritaire.
Chris PJ : Quelles sont vos prochaines actions envisagées ? Sous quel angle ?
Sandra : Nous avons commencé à travailler avec une association d’Aulnay-sous-Bois, comme Gaëlle l’a dit plus haut, sur un document établissant quelques idées sérieuses pour de meilleures relations police/population dans les quartiers, avec l’objectif de le présenter à la mairie d’Aulnay puis à d’autres. Comme nous aimons aussi les actions de terrain – ça, ça nous vient de Gaëlle, qui nous a fomenté nos premières actions « rapprochement » en plein pendant la contestation de la loi travail –, nous sommes en train de vous en préparer une belle, après les élections, sur la police de proximité… Mais surtout, nous bossons pour nous faire connaître, et pour rassembler toutes les bonnes volontés (civiles et policières) prêtes à agir avec nous, qu’elles soient issues d’individus ou d’associations constituées (mouvements pacifistes et citoyens).
Gaëlle : Ouiiiii, de l’action ! En fait, on allie des actions de terrain avec des actions plus « institutionnelles », je dirais. On en a une belle qui va bientôt sortir qui, je pense, fera plaisir à nombre de policiers mais également de citoyens. La plupart de nos actions restent secrètes jusqu’au dernier moment… Et, comme l’a dit Sandra, on rencontre des associations, par exemple La révolution est en marche à Aulnay, nous sommes en lien avec ECHO, le Mouvement de la paix, AFS, qui nous a invités à rencontrer des représentants de la police islandaise prochainement.
Chris PJ : Au final, de quoi avez-vous besoin, pour être aidés ?
Sandra : À part d’un peu de sous pour financer nos déplacements à gauche et à droite, tu veux dire ? Je dirais… avant tout, vraiment avant tout, d’encouragements : ce que nous faisons ne plaît pas à tout le monde, ça bouscule certains schémas de pensée, et ça nous fait du bien de savoir que nous ne sommes pas seuls à avoir envie de nous battre pour, au bout du compte, ce fameux « vivre-ensemble ». Et de contacts, aussi, bien sûr : nous voulons croire à un éveil des citoyens (une expression qui, pour le coup, englobe aussi les citoyens que sont les policiers) : c’est à chacun de se bouger s’il veut améliorer les choses, et notre collectif est un outil qui, s’il est encore en cours de construction, peut constituer la base d’un rassemblement.
Gaëlle : De sous ! C’est vrai, cette question est importante. Nous fonctionnons depuis le début sur nos deniers personnels, mais là, on commence à avoir besoin de se déplacer plus souvent à Paris et on va vraiment être limités financièrement. Pour le reste, Sandra a tout dit. Nous avons aussi besoin de personnes impliquées qui relaient nos publications : ça aussi, c’est très utile.
Chris PJ : D’aucuns pourraient dire que votre mouvement, votre engagement sont utopiques, que, concrètement, ils ne peuvent rien amener. Comment convaincre ces personnes du bien-fondé de votre mouvement ?
Sandra : Ah, la question de l’utopie… Les soirs de déprime, je pense à tous ceux qui se sont battus en faveur de « causes perdues » à l’époque et qui, des décennies plus tard, font aujourd’hui consensus : le droit de vote des femmes, l’abolition de la peine de mort, etc. Les tout premiers militants ont dû en baver des ronds de chapeau… Mais le temps leur a donné raison, non ?
Gaëlle : Sincèrement, je pense qu’essayer de les convaincre est inutile et une perte d’énergie. La seule façon de leur montrer que cet engagement est utile, c’est de leur prouver simplement en avançant. Et puis, pour qu’on puisse me traiter de gaucho utopiste, je citerai même José Bové : « L’utopie est la matrice de l’histoire, et la sœur jumelle de la révolte. »
Mes remerciements à Sandra et Gaëlle qui ont répondues à ces quelques questions sans détour, sans se cacher ni modifier quoi que ce soit.
Je dois bien avouer que cette question sensible de l'image, qui est la notre, est un sujet intéressant, sensible, même s'il est à détacher de l'efficacité des services, dont on pourrait considérer qu'il est le corollaire.
La confiance en la police est donc un élément essentiel; précisément dans ces jours si particuliers, où des personnalités politiques de premier rang remettent en cause leur confiance dans les institutions qu'ils souhaiteraient diriger, aspirant aux plus hautes fonctions de l'Etat.
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