Aulnay sous Bois: 4 policiers mis en examen. Et des questions.

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Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

C'est, stricto sensu, l'article 222-23 du Code Pénal. S'en suit, au 222-24 toutes les circonstances aggravantes de l'infraction; considération de la victime (mineure, par exemple), du ou des auteurs (de leur fonction ou de la nature de l'autorité qu'elles pourraient avoir sur la victime) ou des moyens (avec usage ou menace d'une arme, par exemple). La peine peut alors être portée à 20 ans de réclusion.

Dimanche, c'est donc un fonctionnaire de police, qui a été mis en examen pour "viol", alors que trois autres l'étaient pour violences volontaires en réunion, par personne dépositaire de l'autorité publique. Ils sont sous contrôle judiciaire; le juge d'instruction avait, de plus, prononcé une interdiction d'exercer à l'encontre de trois d'entre eux. Le Ministre de l’intérieur lui, dans le cadre de l'enquête disciplinaire, les a suspendu tous les quatre.

Les enquêtes

Les faits remontent à jeudi après-midi. Un équipage de la BST (Brigade de Spécialisée de Terrain) est dans le quartier des 3000, à Aulnay sous Bois. Le motif effectif de leur présence semble, à ce jour, assez flou. Toujours est-il qu'ils en arrivent à vouloir procéder à l'interpellation d'un jeune homme de 22 ans. Lequel s'en défend. Une fois ramené au commissariat, le jeune homme se plaint, est emmené à l’hôpital, où sont constatées "des lésions importantes correspondant à l'introduction d'un objet ayant causé une fissure anale sur dix centimètres". Une ITT de 60 jours lui est prescrite. Il était encore, à ce jour, hospitalisé;

Entre temps, les quatre policiers étaient placés en garde à vue à l'Inspection Générale de la Police Nationale. A l'issue, ils étaient donc présentés au juge d'instruction, alors que le Parquet avait ouvert une information judiciaire des faits de "violences volontaires en réunion par personnes dépositaires de l'autorité publique", selon l'article 222-11 du Code Pénal, selon lequel:

Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Étant précisé que l'article suivant définit les circonstances aggravantes de cette infraction, d'après lesquelles on peut, pour ce qui concerne cette affaire, relever qu'elles ont été commises:

  • 7° Par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ;
  • 8° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;
  • 10° Avec usage ou menace d'une arme ;

Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsque cette infraction est commise dans deux des circonstances prévues aux 1° et suivants du présent article. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsqu'elle est commise dans trois de ces circonstances.

Dernière précision, selon laquelle il pourrait également être considéré qu'il ait été fait usage de "traitement cruel, inhumain ou dégradant", mais qu'il s'agit là d'une distinction qui n'est pas retranscrite, en tant que telle, dans le droit français (même si elle est présente en droit international), en dehors de circonstances aggravantes d'infractions commises par des agents de l'Etat, dépositaires de l'autorité publique ; il s'agit d'une notion recouvrant, notamment, la torture, ou encore les conditions de détention (si je me trompe, n'hésitez surtout pas à me corriger).

L'enjeu de la qualification de l'infraction se situe bien au sein de l'élément moral de l'infraction de viol, dans la mesure où l'élément légal (le fait que l'infraction existe au moment des faits) et l'élément matériel (l'acte de pénétration) sont objectivement présents. En effet l'élément moral requiert l'intention coupable de son auteur; c'est à dire que ce dernier doit avoir eu conscience d'imposer à la victime un rapports sexuel non consenti. Autrement dit, pour le cas qui nous concerne, le policier a-t-il sciemment introduit un objet, ou s'agit-il de violences au cours desquelles cet objet (une matraque télescopique) a été introduite sans que cela ne soit directement voulu, et qu'il s'agisse de la conséquence d'un coup porté par la matraque, non contrôlé. Le débat se situe également autour de la notion de l'acte sexuel en tant que tel.

Enfin, si la notion de viol était écarté, le magistrat pourrait aussi bien se poser la question de savoir s'il ne pouvait être question d'actes de torture et de barbarie, au sens de l'article 222-3 du Code Pénal. Auquel cas, s'agissant d'une infraction commise par "personne dépositaire de l'autorité publique et en réunion, la peine encourue pourrait, si l'infraction était retenue, de 20 ans de réclusion. (mise à jour du 09/02/17)

Voilà pour ce qui est des infractions qui pourraient être susceptibles d'être retenues d'ici la fin de l'instruction. Étant précisé que le viol, infraction criminelle, est jugé par une Cour d'Assise, tout comme le seraient les actes de torture et de barbarie, alors que les violences, correctionnelles, sont jugées par le Tribunal Correctionnel.

Notez bien que je ne porte aucun jugement, je ne fais qu'identifier les enjeux de la qualification des infractions dans la procédure qui est en cours. A mon sens, du moins. De mon petit point de vue personnel.

Les réactions politiques n'ont, de fait, pas manquées, à commencer par celle du Ministre de l'Interieur, Bruno Le Roux:

Mais aussi, celle de Bruno Beschizza, maire (LR) d'Aulnay sous Bois.

J'ajoute pour clore ce chapitre "enquêtes" que, en parallèle, les policiers font l'objet d'une enquête disciplinaire, laquelle pourrait aboutir à une convocation devant le conseil de discipline. Même si ce dernier n'est pas "tenu" par le pénal, il m'apparait compliqué de prendre une décision en amont de la décision de justice. Mais, quoi qu'il en soit, il intervient, en quelque sorte, en tant que double peine. Ce conseil de discipline pourra émettre un avis pouvant conduire jusqu'à la révocation, décision qui est prise par le Ministre de l'Interieur.

Une dernière chose, quant aux infractions visées par le parquet lors de l'ouverture d'information; imaginer, comme j'aurai pu le lire, que le parquet aurait pu être mis sous pression, par des syndicats de police, afin qu'il ne retienne pas l'infraction de viol, m'apparait fantasmagorique. Aussi discutables que soient, parfois, les interventions des syndicats de policiers, il est tout à fait insensé de penser qu'un magistrat puisse se sentir "tenu" par leurs positions, et c'est leur donner là un pouvoir qu'ils n'ont pas, et c'est heureux.

Du policier que je suis

Je ne parle, j'insiste bien là-dessus, toujours, que pour ce qui ME concerne. Et ne représente personne; même si je m'autorise à penser que je ne suis pas seul à penser ainsi. Peut-être suis-je naif.

Quelle que soit l'infraction retenue, les violences ou le viol, il semble évident, à la vue des éléments médicaux qui ont été constatés et dont la presse s'est faite l'écho, que cette intervention parait loin d'être conforme à ce qu'elle aurait dû, ou aurait pu être. Les vidéos qui sont diffusées à ce jour ne sont pas forcément des plus précises, mais l'on peut se dire que quatre policiers, sur cette seule interpellation (avec cette petite nuance qu'on ne voit pas ce qui se passe un peu plus loin) auraient pu agir autrement.

Clairement, si les faits sont avérés tels qu'ils sont à ce jour présentés, oui, les policiers ont commis une lourde faute. Maintenant, la justice a commencé son travail, et elle le poursuivra jusqu'au bout des voies de recours possibles, pour toutes les parties. Une instruction, des demandes d'actes, de la partie civile ou de la défense, ou encore du Parquet, qui requiert l'application de la loi et défend les intérêts de la société, des appels d'ordonnance du juge d'instruction. Puis, la clôture de l'instruction, et les décisions de renvoi qui s'en suivront avant d'éventuelles audiences; au Tribunal Correctionnel, ou devant la Cour d'Assise.

Maintenant, sans que cela ne puisse exonérer des fautes qui pourraient avoir été commises par les policiers lors de cette intervention, j'apporterais quelques nuances; ou, à défaut, quelques éléments de réflexion.

Avant tout, il me semble qu'une attention devrait être portée quant au fait d'être employé, plusieurs années durant, dans des quartiers dits "sensibles". Il faut bien se rendre compte que le stress y est omniprésent, les menaces, injures, crachats quotidiens, et que les jets de pierre et autres traquenards en tous genres sont loin d'être rares. Aussi, les policiers, quand bien même ils sont formés, ne sont pas des surhommes. Que peut-il advenir de l'état d'esprit d'un homme qui vit cela en permanence? Quel est l'état d'usure, le niveau de leur fatigue psychologique? Peut-on, et c'est une question que je pose, toujours intervenir de la même manière efficacement, avec cette usure qui s'accumule? Il me semble que face à la fatigue, nous ne sommes pas tous égaux. Quels moyens existe-t-il, aujourd'hui, pour mesurer cette fatigue? Si l’expérience apparait comme nécessaire, à mauvais escient, elle pourrait avoir des effets néfastes sur son travail.

Ma seconde remarque concerne l'usage de la violence en lui-même. Là encore, il ne s'agit pas de défendre, mais de réfléchir un peu plus largement que ce qu'il y parait. D'une manière générale, je crois l'avoir déjà dit, mais il faut se rendre compte de ce qu'est l'usage de la violence. Je parle, bien évidemment d'une violence justifiée par les circonstances. Il est tout de même bien rare que, comme dans les meilleurs films de Bollywood, les coups soient portés l'un après l'autre, un peu comme on l'apprendrait dans le cadre d'un cours de boxe ou de karaté, au ralenti. Lorsqu'un individu ne veut pas se laisser interpeler, et s'en défend physiquement; sans dire que "ça part dans tous les sens", les coups, de part et d'autre, sont mêlés sans que l'on sache forcément l'impact qu'ils auront. Bien évidemment, pour le policier, il s'agira toujours, nécessairement, d'agir en proportion de l'atteinte, avec comme seul but la maitrise de l'individu, afin qu'il puisse être conduit dans les locaux de police. De la même manière, toutes les armes actuellement en vigueur dans la Police Nationale, ont une méthodologie de leur usage. Alors, bien évidemment si, dans une bagarre confuse, on peut imaginer que tout ne soit pas "cas d'école", c'est à dire aussi simple, des règles de proportionnalité, encore une fois, et d'usage de ces armes, doivent être respectées.

J'insiste encore une fois; il ne s'agit nullement de tenter d'amoindrir la responsabilité des policiers engagés, de les couvrir ou quoi que ce soit du genre.

Enfin, j'aurais une remarque à faire, d'un point de vue plus personnel. J'apparais, que cela soit ici, ou sur certains réseaux, comme un observateur de la société; avec cette qualité de policier qui est la mienne, la connaissance et l’expérience que j'ai acquises (notion, je l'entend bien, qui peut paraitre subjective). Je livre des observations, notamment sur la lecture que je peux avoir des évènements "vu de l’intérieur" (sans jeu de mot), mon ressenti personnel. Et c'est le cas, pour dans le cadre de cette affaire, comme ça a déjà été le cas par le passé, à d'autres occasions.

Pour autant, en aucun cas, je ne me sens l'obligation, comme certains l'aimeraient, de faire acte de contrition au moindre débordement qui proviendrait d'un policier ou d'un gendarme sur l'hexagone. Il n'est nullement question, non plus, de devoir me taire (pour ne pas dire, vulgairement, fermer ma gueule) à ce même titre, ni même faire profil bas, ou baisser les yeux. Je ne suis pas la caution des 200.000 personnels de sécurité en France, et ce n'est pas parce que je prend la parole qu'à l'inverse, je suis là pour essuyer toute la haine ou le rejet dont certains font preuve, en bons donneurs de leçons, moralisateurs.

D'un autre coté, il est tout à fait admissible que l'on soit critique, voir choqué vis à vis de certaines interventions; tous les citoyens ont une idée à peu près commune du rôle qui doit être celui de la police, et de ceux qui font usage des pouvoirs qui leurs sont conférés. Et ceux-ci se doivent d'être exemplaires. Aussi, il me parait de bon aloi que de discuter, sereinement de choses qui sont, à tout un chacun, anormales, litigieuses, etc... Pour autant, puisque je n'ai pas à me sentir visé pour toutes les interventions qui se tiennent, au jour le jour, partout en France ou en Navarre, je ne m'empêcherai jamais de souligner et dénoncer ceux qui dénigrent, à longueur de temps "la police". D’une situation individuelle il n'y a, à aucun moment, lieu d'englober tout le monde, et d'en profiter pour se faire, comme de coutume, le procès de la police.

Si les discussions et débats doivent nécessairement avoir lieu et font partie de l'évolution même de notre société, la généralisation, le regroupement de tous dans des critiques non constructives n'a pas lieu d'être. Comme j'ai pu le lire de la plume d'un magistrat, récemment, il y a des bons. des très bons... il y a aussi des cons, des très cons, des fainéants, certains méchants, abrutis... mettez-y tous les adjectifs que vous voudrez. Et devant, vous pourrez y placer policier, magistrat, avocat, notaire, prof ,et, encore une fois tout ce que vous voudrez. Aucune profession n'a le monopole de la bêtise, ça se saurait, et c'est donc aussi valable pour les flics. Et s'il existait un manuel pour éviter de recruter de ces catégories, ça se saurait également. Étant précisé qu'il n'est pas interdit de penser que je puisse, moi-même, faire partie de l'une, voir de plusieurs de ces catégories. C'est au choix.