Affaire Fillon: où il est question d'un peu de technique, mais beaucoup de tactique

C'est l'affaire du moment, personne ne peut y échapper. Difficile de ne pas apporter sa petite pierre à l'édifice.

Ainsi, Pénélope Fillon a-t-elle bénéficié de rémunérations pour des emplois fictifs? A trois mois d'une élection présidentielle, et alors même que François Fillon fait office de "favori des sondages", cette affaire est pour le moins exceptionnelle, à plus d'un titre. Essayons de prendre un peu de recul sur les faits en eux-mêmes, et de l'émotion que cette affaire suscite.

Un peu de technique

De quoi parle-t-on ? Que peut-on reprocher aux époux Fillon?

  • de 1998 à 2002, pour le compte de son époux, puis pour son suppléant, Marc Joulaud, en étant employée en tant qu'attachée parlementaire";8 années au total; Pénélope Fillon aurait perçue une rémunération de l'ordre de 500.000€ (brut),

il s'agirait, si l'emploi fictif était démontré, de détournement de fonds publics, visés par art. 432-15 du code pénal:

Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l'infraction.
  • d'avoir perçu, des salaires versés par "la revue des deux mondes", durant 20 mois, à hauteur de 5000€ par mois.

Là encore, on parle d'emploi fictif, mais on visera plus l'infraction d'abus de biens sociaux, lesquels sont visés par l'art. L241-3 du code de commerce:

Est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros :
1° Le fait, pour toute personne, de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle ;
2° Le fait, pour les gérants, d'opérer entre les associés la répartition de dividendes fictifs, en l'absence d'inventaire ou au moyen d'inventaires frauduleux ;
3° Le fait, pour les gérants, même en l'absence de toute distribution de dividendes, de présenter aux associés des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine à l'expiration de cette période en vue de dissimuler la véritable situation de la société ;
4° Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ;
5° Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des pouvoirs qu'ils possèdent ou des voix dont ils disposent, en cette qualité, un usage qu'ils savent contraire aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement.
Outre les peines complémentaires prévues à l'article L. 249-1, le tribunal peut également prononcer à titre de peine complémentaire, dans les cas prévus au présent article, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille prévue à l'article 131-26 du code pénal.
L'infraction définie au 4° est punie de sept ans d'emprisonnement et de 500 000 € d'amende lorsqu'elle a été réalisée ou facilitée au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger.

Ça, c'est la partie technique, juridique. Ce que vont rechercher magistrats et enquêteurs, afin qu'émergent les éléments constitutifs de ces infractions. Ou, à défaut, pour dire qu'aucune infraction ne peut être retenue.

Et beaucoup de tactique

Le Parquet National Financier n'a pas trainé pour ouvrir une enquête, et désigner l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) pour enquêter. Et, à tous les points de vue, c'est tant mieux. Et pourtant, de nombreuses questions se posent, quant aux suites qui seront données.

Il y a déjà la "tactique" qui sera décidée par le Parquet; va-t-il demander aux policiers de poursuivre leur enquête en "préliminaire", ce qui, en ce moment, donne une impression de vitesse... perquisition, auditions... les actes s'enchainent, ces derniers jours. Et c'est bien. Probablement une prise en compte, par le PNF, de la campagne qui s'annonce, et du besoin de sérénité autour d'une élection de premier ordre, s'agissant d'élire le Président de la République. Mais de quelle manière cela va-t-il se poursuivre? Le parquet va-t-il ouvrir une information judiciaire, ayant pour effet de désigner un Juge d'instruction? Celui-ci, libre des ses choix, aura-t-il le même calendrier, la même exigence de rapidité? Difficile de savoir! De ce qu'il nous est permis de voir de l’extérieur (je veux dire les "non initiés" aux affaires économiques et financières), ces affaires sont bien souvent très longues durent plusieurs mois, voir plusieurs années, avant qu'un jugement soit définitif. Comment arriver à une réponse "claire" en moins de trois mois? C'est une première question.

On peut aussi parler de "tactique" du coté de François Fillon, et ses avocats. Tout cela semble nous éloigner de l'idée même de justice, mais c'est pourtant bien de cela dont il s'agit. Dans ce qui transparait de la communication qui est faite, la volonté de l'ancien premier ministre est d'aller vite. De donner tous renseignements utiles aux enquêteurs. Pourtant, de manière habituelle, ce n'est pas à la défense de prouver ce qu'elle a, ou non, fait, mais aux enquêteurs. L'on se retrouve presque dans le cas d'un renversement de la charge de la preuve, puisque Mr Fillon dit vouloir prouver que l'emploi de son épouse n'était pas fictif. Il pourrait apparaitre en position de donner tous les documents nécessaires qui permettraient de faire taire les articles qui le mettent en cause. En terme de tactique, on peut tout aussi bien imaginer que l'objectif de la défense soit de noyer la procédure d'un grand nombre de données; créer une illusion d’argumentaire, dont on peut imaginer qu'au final, il n'y a... rien. Si ce n'est la tactique de faire trainer, en donnant l'illusion de collaborer.

Alors ensuite, on peut se demander comment cela pourra-t-il être prouvé? C'est encore une vraie question, mais la réponse m'apparait très floue. On peut avoir quelques notions sur le profil des assistants parlementaires du Sénat; mais cela ne dit pas tout, d'autant plus que chaque élu doit avoir une équipe qu'il gère finalement comme il l'entend. Une partie sur la circonscription, au sein d'une permanence, l'autre au Sénat. Chacun doit avoir sa méthode. Entre une fonction de secrétariat (traitement du courrier, gestion de l'emploi du temps) , et celle d'assistant qui participe à la politique de l'élu (notes de fond sur certains sujets précis, écriture et/ou lecture des discours)... les fonctions divergent.

Quels éléments matériels pourraient rechercher les enquêteurs? Peut-être que, par le biais de la quotidienne régionale, ils pourront constater, la présence (ou non) de Mme Fillon à certaines manifestations, en représentation de son mari. Si tant est que cela fasse partie de ses attributions d'alors ! On peut aussi imaginer. par exemple, les entrées et sorties du Sénat, protégées par un badge, qui permettraient de vérifier ses jours de présence; mais là, se posera le problème de la durée de conservation des données, qui m'apparait bien inférieure au temps passé depuis les faits. Et encore, il semblerait que Mme Fillon ai plus exercé ce rôle d'assistant depuis la Sarthe. Mais là, selon la presse, il n'y avait pas de permanence de l'élu, lequel aurait eu ses bureaux... chez lui !

Bref..; des choses à faire, il y en a. Mais, toujours cette question; dans quels délais?

Ensuite se pose la question d'une éventuelle mise en examen de Francois Fillon. En effet, le candidat "Les Républicains" a clamé haut et fort qu'il se retirerait de la campagne s'il était mis en examen. Imaginez seulement une mise en examen, donc un renoncement de François Fillon, pour, quelques mois ou années plus tard, que soit prononcé un non lieu (ce qui n'est pas rare, surtout dans les affaires financières)! On crierait au scandale politique! S'agit-il, là encore, de tactique, ayant pour but, précisément, de mettre la pression sur les magistrats? Une manière de leur signifier qu'en l'absence d'éléments très clairs et très probants, incriminants, ils ne pourraient penser à une mise en examen! Ce qui, à contrario, pour le candidat, apparaitrait comme une preuve de son innocence; il ne manquera pas, alors, de dire "vous voyez, je ne suis pas mis en examen, il ne s'agissait que de me calomnier".

Quoi qu'il en soit, nul doute que tout cela alimentera la presse dans les prochaines semaines. Bien malin celui qui peut, d'ores et déjà, se targuer de connaitre l'issue de tout cela. Et donc, de prédire qui sera le prochain Président de la République.