Voilà, c'est fait. Nous voilà arrivés au bout de ces 96 heures de garde à vue. Non sans mal. Non sans fatigue. Oh, bien sur, je le répète toujours avant qu'on ne me l'oppose, ce n'est pas la même fatigue que ceux que j'avais en face de moi, durant ces 96 heures. Certes.
Cette semaine aura commencée au plus tôt. Comme souvent en pareilles circonstances. Avec une nuit très courte; mêlée d’anxiété, de stress, d'adrénaline, mais aussi... de la peur de ne pas se réveiller. Je crois que nous sommes bon nombre dans ce cas. La hantise de en pas entendre le réveil; les collègues qui attendent, etc... A ce jour, cela ne m'est pas arrivé. Je touche du bois.
Arrive le moment de grimper dans la voiture. Je met le contact... les rues sont désertes. Forcément, à quatre heures du matin, il y a encore peu de monde debout. Ou pas encore levé, c'est selon. Cela me rappelle cette petite technique que nous avions, il y a vingt ans (oui, ça fait vieux con, je sais), lorsque je travaillais de nuit. Au moment de contrôler un véhicule, selon que le conducteur vous disait bonsoir ou bonjour, il ne s'était pas encore couché, ou était déjà debout. Bref, je m'égare...
Les premiers messages arrivent "debout tout le monde, y'a un peu de boulot ce matin"... un peu... l'euphémisme... Tout le monde a bien conscience que la semaine va être longue et difficile. J'ai, constamment, depuis plusieurs jours, cette crainte: me tromper de porte. Cela peut paraitre surprenant; j'ai fais tout ce que je pouvais faire pour être le plus sur "possible". Mais on ne l'est jamais, lorsqu'un appartement n'est pas au nom de l'objectif, et que ce dernier n'apparait nulle part. Il y a toujours le doute. Et, se trompant de porte, il se pourrait que l'objectif entende; prenne la fuite ou, dans une moindre mesure, fasse disparaitre des éléments de preuve.
Nous arrivons devant notre objectif. Difficile de ne pas se faire remarquer avec, pour certains, des tenues de "tortue-ninja"; rien de péjoratif dans ce que je dis, mais cela me fait toujours penser à ça. Tout se passe très vite. Et bien; tout le monde est rassuré. Sauf lui, bien évidemment. On enchaine les actes, sur place, les avis, puis la perquisition. Retour au service. Déjà, les médias commencent à sortir des infos. Il n'est pas encore huit heures. Je sais que, durant quatre jours, je serai "délocalisé"; trop de monde pour un petit endroit. Au risque de paraitre un peu superflu, cela n'est jamais très agréable de ne pas être dans son environnement, dans ces circonstances; on aime bien avoir son environnement de travail, ses habitudes.. Mais bon, c'est ainsi. Dans quelques mois, ce genre de problématique n'aura plus lieu d'être, à partir du moment où tout le monde sera aux Batignoles. Retour au service; on s'enquiert de ce qu'il se passe ailleurs. tout le monde est là? Ok; c'est déjà pas mal. Nous sommes sur de bons rails... il va falloir tenir. Comme souvent en pareil cas, le déjeuner sera rapide. Beaucoup de choses à faire autour. A vrai dire, ça sera le cas toute la semaine.
Ce premier jour prend fin, il est vingt deux heures passée. Le temps d'aller dormir un peu. Difficile de ne pas regarder ce qui se dit dans les médias. A la fois, c'est surprenant. par l'ampleur et la précision de certaines éléments qui ont filtré. C'est ainsi. Que dire, si ce n'est faire avec; nous sommes en 2017, le moindre fait est médiatisé; alors, en pareilles circonstances... Mais bon, je serai tout de même étonné par le fait que certains photographes ou journalistes puissent avoir des détails très précis; jusqu'à certaines adresses... Bref, cette fois-ci, cela n'aura pas nuit aux investigations. parce qu'il est bien là, le risque. Arrive le temps des auditions qui commencent. Comme toujours, on commence par les identités; on balaye un peu la vie de chacun; famille, études, passé criminel, etc... Et puis on en arrive aux faits.
Les auditions s'enchainent les unes après les autres, un peu partout... S'en suit le compte rendu au chef de groupe; qui, lui-même répercute; à la fois auprès de la hiérarchie administrative que judiciaire. On avance, tout doucement. Mais surement. Arrivent alors les premières prolongation de garde à vue; On repart pour vingt quatre heures.
Difficile de rester couché une fois qu'on a ouvert un œil. L'attention est très vite attirée vers ce qu'il va falloir faire, l'organisation de la journée. Les quelques PV qui restent à faire, des exploitations de scellés... et puis, à nouveau des auditions. Le mardi soir, ça commence déjà à "tirer". Et je sais, d'avance, que je vais me lever tôt le lendemain. Devant m'absenter trois heures en matinée, il va falloir que je prenne de l'avance pour l'après-midi. Arrive le troisième jour... je me retrouve au service, devant la porte de l'ascenseur. Sans badge. Il est 06h30, autant dire qu'il y a peu de passage... je me retrouve à hurler dans les escaliers en esperant qu'une femme de ménage m'envoie l'ascensur après m'avoir reconnu. Cette matinée sera triste. Et difficile. Mais il faut y retourner. Je reviens tout juste à 13h; le témoin que j'ai convoqué est déjà au service. Pas moi. Et c'est reparti. Un témoin, une audition de gardé à vue, un autre témoin, une autre garde à vue... le temps file... l'on a le temps... de rien! Je me rends compte que je n'ai même pas eu mes enfants au téléphone depuis deux jours! L'on est comme dans une spirale. On sait où on va... on y file.... droit... mais sans regarder à coté. Et puis, en même temps, c'est nécessaire. Rester dans le match; resté concentré. La hantise: la faute; celle qui annulerait tout ou partie. Après des semaines de travail intensif, ça serait catastrophique, à tous les niveaux. A vrai dire, on sent la pression, même si elle ne s'exerce pas directement. Il faut le dire, les pare-feux jouent leur rôle, ce sont eux qui emmagasinent la pression. Pourtant, à la fois, on se la met. Mais aussi, on la sent, tout autour, avec cette médiatisation. Impossible de faire sans!
Le quatrième jour arrive. Les auditions commencent à se préciser. Il faut commencer à penser la mise en page du tout. Et puis, chacun gère ses "objectifs", et le bout de procédure qui va avec. C'est le jour le plus difficile... encore que... on n'est pas prêts pour rendre le tout. ça veut dire que l'on va devoir aller au bout de la mesure, jusqu'aux 96 heures. Mais ça veut surtout dire qu'il va falloir se lever pour déférer en étant au tribunal... à 06h00.
Voilà, c'est fait. Trois mois de travail. Le résultat est là; même si je reste un peu déçu sur certains points. Mais bon, c'est ainsi; difficile de tout avoir. L'objectif principal est atteint. Enfin presque. La route est encore longue jusqu'à un éventuel procès. Et les heures de travail vont probablement encore s'accumuler. Elles seront différentes, mais bel et bien là.
Se reposer? Oui, on va essayer. Mais, par expérience... un dossier en chasse un autre. toujours.