Tic tac, tic tac... l'attente

 

Me voilà, profitant de ces derniers instants de calme... avant la tempête. J'écris ces quelques lignes, parce que j'aurais probablement que peu de temps pour le faire dans les jours qui viennent.

AVANT

La semaine qui est passée était déjà particulière. Organiser une vaste opération de police n'est pas des plus simple. Il aura fallu, bien avant, décider d'une date avec les magistrats; "caler" les agendas. Même si l'opération pourrait tout à fait être avancée ou retardée, fonction de ce qu'il peut se passer, entre temps, avec les "cibles". Il aura aussi fallu arrêter une liste de "cibles" fonction des éléments accumulés durant ces mois d'enquête.  Là encore, en discuter avec le magistrat. Lequel, bien souvent, approuve ce qui est suggéré par les enquêteurs. Néanmoins, il peut tout à fait estimer que certains éléments sont trop légers, pour tel objectif, ou inversement, vouloir ajouter un autre objectif sur tel aspect de l'enquête. Une fois la date et la liste des objectifs validés, il s'agit dès lors d'organiser les effectifs. Combien de policiers sur tel point d'interpellation? avec quels véhicules?

Je l'ai toujours dit, la Police Judiciaire a cet avantage, sur la sécurité publique; la plupart du temps,le jour où nous allons interpeller des objectifs, nous les connaissons. Cela ne veut pas dire que l'on peut anticiper leur réaction mais, avec une marge d'erreur assez faible, on peut imaginer, déjà, s'ils sont en capacité de prendre la fuite ou résister à l'interpellation; à la fois fonction de leur personnalité, mais aussi fonction de là où ils se trouveront, du nombre de personnes qui seraient présentes dans les lieux. Ce sont ces paramètres qui, en général, font qu'un dispositif d'intervention est plus ou moins fourni. Une fois qu'on sait "qui et combien", il faut savoir "ou". Plus il y a de cibles, plus il va falloir s'organiser, puisque tous les bureaux ne pourront pas être utilisés en même temps. De la même manière que, tant que faire se peut, il s'agit de faire en sorte que les gardés à vue ne puissent communiquer entre eux, d'une cellule à une autre, pour se mettre "d'accord", sur ce qui devra ou non être dit.

Aujourd'hui, c'est un service tout entier qui est mobilisé. Il faut bien comprendre que l'enquête n'a pas été suivie par cent bonhommes, contrairement à la communication que l'on entend parfois. En règle général, c'est un groupe qui enquête (en moyenne, il est composé de sept enquêteurs); et, fonction des événements, il peut se voir adjoindre d'autres groupes, sur des filatures simultanées, par exemple. Il s'agit donc, avant les interpellations, d'expliquer les grandes lignes aux collègues, ainsi que le profil de l'individu qu'ils vont devoir interpeller. Nous aurons été une quinzaine d'enquêteurs, durant trois mois.

C'est le briefing. On est vendredi. Tout est censé être "calé". Les renforts d'autres services, sur tel autre point. Un escadron de CRS ici, un véhicule de la Sécurité Publique par là, une BAC... Chaque chef de point sait désormais qui l'accompagnera. Les rendez-vous au lundi matin sont fixés. Cela sera, pour bon nombre, un réveil un peu avant quatre heures, pour une journée qui s'annonce très longue.

Cette journée du vendredi est particulière; la dernière "ouvrée" avant les interpellations. il s'agit, dès lors, d'épier le moindre mouvement de l'objectif qui nous est assigné. Pour une raison qui lui est propre, il peut tout aussi bien décider de partir en province. Auquel cas, il faut s'adapter. Un objectif peut tout aussi bien décider de rester en province, alors qu'il devait rentrer chez lui. Là encore, on s'adapte. Bref, tout peut arriver; on est à l'affut de tout. Du moindre détail. Et l'on n'est pas impliqué de la même manière, forcément, lorsque c'est un dossier qu'on suit depuis des mois, ou sur lequel on sera "en renfort". On s'applique donc, non seulement pour le dossier, mais aussi pour les collègues qui nous assistent. Bref, que tout soit carré.

Il faut bien se le dire; cette phase d'interpellation, est une première étape importante, depuis le jour où nous avons été saisi des faits. Tous les objectifs seront-ils là, interpellés? Sans bobos?

Alors on peaufine. J'ai mes procès-verbaux; pour certains, des modèles pré-remplis où certaines rubriques restent à completer. Je sais où je devrais aller, physiqiuement, avec mon objectif.

APRES

Les premières heures seront complexes à gerer; il faudra rédiger une ribambelle de procès-verbaux; interpellation, garde à vue, droits que la personne aura sollicitée (bien que, depuis une réforme récente, ces PV ne sont plus nécessaires, en l'absence de directive claire, on continue comme avant), perquisitions. Il s'agira ensuite de se mettre d'accord avec l'avocat pour l'entretien, puis la première audition. Il est peu probable que celle-ci puisse intervenir avant trois ou quatre heures après le début de la garde à vue. Il s'agit aussi de prévoir un délais de route, pour certains... il s'agira ensuite de faire remonter les informations, point par point, tant au niveau de la hiérarchie administrative que des magistrats en charge de l'enquête. J'ai listé les éléments que j'opposerai à mon objectif; oh, j'avoue, je ne sais pas trop, à cet instant, par quel bout de la lorgnette je vais m'engager! Mais, aussi bien décidera-t-il de faire usage de son droit de garder le silence. Auquel cas, les auditions seront "éclair" !

Et l'on se retrouvera rapidement en soirée; une fois le point fait avec le magistrat, il faudra penser aux prolongations de garde à vue. Les notifier, prévenir les avocats pour le lendemain.

Mais, là encore, cela fonctionne comme ça si tout se passe bien; sachant qu'il y a régulièrement des imprévus; ll suffit qu'une cible ne soit pas là où on pensait qu'elle serait, qu'elle ait pu prendre la fuite (oui oui, ça arrive... ça m'est arrivé)... bref, le grain de sable dans la machine... la hantise.

Alors je suis là; finalement, je suis censé me reposer, en ce samedi. Mais je n'y suis forcément pas! J'ai cette hantise du grain de sable, il n'y a rien à faire... et, par expérience, quand ça arrive, c'est assez compliqué à gérer. Tant dans les faits, la procédure, que moralement. Qu'est-ce que je n'ai pas bien fait? Parc que, forcément, on se remet en question...

Demain, dimanche, je ferai forcément un passage au service. Les tous derniers réglages, les dernières informations... Et quelques heures plus tard, le réveil sonnera. Le stress montera au fur et à mesure. Je rejoindrai mon service; il y aura un grand silence, pendant que chacun se préparera, dans son coin, à sa concentration. Les équipages se constitueront alors, pour se rendre sur place, et rejoindre d'éventuels renforts.

Six heures... tout le monde sera en position, attendant le "top interpellation" lorsque tout le monde sera prêt. Et là... on verra.

Il est temps que cela arrive; je dois bien l'avouer, cette affaire aura été très particulière. En soit, toutes les affaires le sont, les unes par rapport aux autres. Les victimes sont différentes, les modes opératoires sont différents, les auteurs... Mais là, il y aura eu (et il va y avoir, à n'en pas douter) un facteur que je n'avais jamais mesuré à ce point: la médiatisation. Exceptionnelle; à en être stressante. Qu'il est difficile de voir, dans la presse, débouler des éléments que vous avez tout juste déterrés! Certains exacts, d'autres loin de l'être. Parce que, forcément, il y aura un impact sur l'enquête. Les malfaiteurs sont, en général, leur premier public, et s’intéressent à ce qu'ils ont fait, et scrutent attentivement la presse et, de fait, les avancées de l'enquête. Et, dans ces conditions, il n'est pas possible de "tenir" sur du long terme, comme on aurait pu imaginer peut-être pouvoir le faire en d'autres circonstance.

Bref... dans 48 heures, se jouera l'Acte 2. Scene 1: action.