Officier de Police Judiciaire: un sacerdoce. Désormais, un nouvelle crise

Voilà quelques semaines que les policiers manifestent, ici ou là, exprimant leur ras-le-bol, sur des sujets aussi nombreux qu'ils sont à battre le pavé. Malheureusement. Depuis quelques jours, ce sont certains policiers, qui manifestent. Et le "commun des mortels" qui n'évolue pas dans la sphère "police/justice", voit apparaitre un nouveau terme, celui d'OPJ, c'est à dire "Officier de Police Judiciaire. Eux ne manifestent pas, n'arrêtent pas de travailler, non. Ils demandent qu'on leur retire leur habilitation d'Officier de Police Judiciaire, estimant qu'ils ne sont plus en capacité d'exercer leurs prérogatives correctement.

Qu'est-ce qu'un OPJ?

Il convient avant tout de ne pas confondre le terme "Officier de Police Judiciaire", qui est une qualification judiciaire, une fonction, et celui d'Officier de Police, qui caractérise un corps administratif, celui du "Corps de Commandement" de la Police Nationale, lequel comprend les grades de Lieutenant, Capitaine et Commandant de Police.

Qui peut être OPJ ?

C'est l'article 16 du Code de Procédure Pénale qui liste ceux qui peuvent avoir cette qualification:

1° Les maires et leurs adjoints ;

2° Les officiers et les gradés de la gendarmerie, les gendarmes comptant au moins trois ans de service dans la gendarmerie, nominativement désignés par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur, après avis conforme d'une commission ;

3° Les inspecteurs généraux, les sous-directeurs de police active, les contrôleurs généraux, les commissaires de police et les officiers de police ;

4° Les fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale comptant au moins trois ans de services dans ce corps, nominativement désignés par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur, après avis conforme d'une commission.

En ce qui concerne les Maires et leurs adjoints, il s'agit, avant tout, d'avoir une Police Municipale qui leur permet de pouvoir procéder à des contraventions. Pour ce qui est du 3ème alinéa, il s'agit donc, d'une qualification dite "de droit", des cadres et cadres supérieurs de la Police Nationale ou la Gendarmerie.

Il reste alors les 2° et 4°; il s'agit, pour ces personnels, de suivre une formation, laquelle est sanctionnée d'un examen final, oral et écrit. Ceux qui réussissent cet examen sont donc désignés par arrêté ministériel. Chacun sollicitera alors une habilitation au Procureur Général près la Cour d'Appel du lieu où ils exercent. Petite précision, ces policiers ne peuvent devenir OPJ que depuis une réforme de 1998; auparavant, seuls les inspecteurs (devenus Officiers) étaient OPJ, ou encore les Commissaires de Police.

Quelles sont les missions de l'OPJ? 

L'enquête judiciaire est dirigée par un magistrat; selon le cadre juridique dans lequel se trouvent les enquêteurs, c'est le Procureur de la République, ou un Juge d'Instruction. Dans les services de Police ou de Gendarmerie, l'enquête est dirigée par un Officier de Police Judiciaire. Cette qualité d'OPJ donne certaines prérogatives à celui qui en a la charge. Il peut (grossièrement) décider de placer quelqu'un en garde à vue, procéder à des perquisitions et fouilles de véhicule, ou encore requérir toute personne qu'il juge utile dans le cadre de son enquête. C'est aussi lui qui va gérer ce que l'on appelle une scène de crime, et en faire les constatations. Et, pour être complet, les policiers (ou gendarmes) qui ont la qualité d'Officier de Police Judiciaire, perçoivent une prime de..; tadadam... roulement de tambours... 150€... par trimestre. Allez, soyons fou, cette prime a été revalorisée en octobre pour atteindre la somme mirobolante de... 195€ pour arriver, en 2018, à 270€, toujours par trimestre, bien sur.

Le commun des policiers ou gendarmes que l'on voit dans la rue sont Agents de Police Judiciaire (APJ); eux sont chargés de dresser procès-verbal de leurs interventions, qu'il s'agisse d'interpellations, de constatations de délits, ou d'auditions. Viennent ensuite les Agents de Police Judiciaire adjoints (APJA), qui eux, concrètement, secondent les APJ ou OPJ.

Tout ceci relève donc d'une hiérarchie des pouvoirs judiciaire au sein de la Police ou de la Gendarmerie, sous le contrôle, comme je l'ai dit, de magistrats. Et, vous l'aurez compris, cette hiérarchie "judiciaire" est totalement distincte de la hiérarchie administrative en place au sein de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. Ces règles administratives, cette hiérarchie, régissent le fonctionnement des services; pour la Police, que je connais mieux, cela va, en général, du Commissaire de Police, au plus haut, jusqu'au gardien de la Paix, qui constitue la base, le socle de cette "arme" en passant par les Officiers.

Dans l'absolut, on pourrait tout à fait imaginer des scènes loufoques où un magistrat donnerait des ordres à un OPJ (dans le cadre d'une procédure judiciaire), lesquels iraient à l'encontre des ordres donnés par le chef de service, par exemple un Commissaire (qui agirait pour le bon fonctionnement de son service). Oui oui, c'est possible. Dans la pratique, cela arrive très peu souvent, les deux "hiérarchies" tentant de s'entendre, pour le bien de toutes et tous. Et surtout, des citoyens.

Et cette demande de retrait d'habilitation, alors?

C'est précisément au du Procureur Général près la Cour d'Appel ayant délivré l'habilitation, que les policiers adressent, en ce moment, par centaines, les policiers. L'autorité qui a délivrée l'habilitation à laquelle on demande le retrait. Sauf que, à ma connaissance, un retrait d'habilitation n'existe, à ce jour, qu'en tant que sanction au préjudice de l'OPJ qui aurait failli dans sa tâche. Il n'existe aucun texte permettant, ni de demander, ni d'obtenir satisfaction.

Il s'agit donc précisément d'une demande formelle exprimant un ras-le-bol général. Reste à connaitre les arguments avancés. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase réside dans le dernier texte qui a été soumis aux OPJ, la loi du 03 Juin 2016, dite "renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale"

Au sein de ce texte, apparaissent de nouvelles obligations pour les Officiers de Police Judiciaire: laisser la personne gardée à vue s'entretenir avec un proche durant 30 minutes, ou encore lui imposant la présence de l'avocat au cours d'une présentation de suspect à témoin. Clairement, pour les OPJ, il s'agit, une fois encore, d'alourdir la garde à vue, la procédure pénale, alors même que le gouvernement proposait, il y a douze mois environ, de la simplifier. A ceux qui objecteraient qu'il ne s'agit que de "deux lignes" de plus dans une procédure, il convient de préciser que ces deux lignes sont surtout la traduction de faits. Prenons l'exemple de l'avocat qui doit désormais être présent lorsqu'il y a une représentation de mis en cause à témoin ou victime; concrètement, on présente, derrière une glace sans tain, des suspects aux victimes qui vont, ou pas, les reconnaître comme auteurs du crime ou délit dont ils ont été victime ou témoin. Il s'agit donc, pour l'OPJ, d'appeler l'avocat, et de convenir d'un rendez-vous. Et ce n'est pas toujours aisé que de convenir d'un rendez-vous, l'avocat ayant peut-être, d'autres choses à faire; étant précisé qu'il est déjà parfois compliqué de pouvoir organiser cela avec les témoins ou victimes.

Comme je l'ai dit, il s'agit d'une goutte d'eau. C'est en fait, une problématique bien plus large. Aujourd'hui, personne ne peut le nier, les procédures deviennent de plus en plus lourdes; à la fois, mais aussi, de plus en plus techniques, nécessitant de passer plus de temps à l'enquête. Alors qu'au final, le nombre d'enquêteurs, lui, n'augmente pas.

Très clairement, il faut comprendre que c'est la qualité des procédures et, dès lors, des suites qui leurs sont données, qui en pâtissent. Tout comme les conditions de travail de ceux qui, à ce jour, travaillent dans les services dédiés au judiciaire. Qui, bien souvent, travaillent bien plus que leurs 35 heures. Parce qu'ils aiment ce qu'ils font, et qu'ils se font un devoir de tout faire pour résoudre les énigmes qui leurs sont confiées au travers des enquêtes qui leurs sont soumises. L'objectif étant, en général, d'arriver, en bout de course, à présenter un auteur, avec des éléments, au magistrat qui sera chargé de statuer des suites à donner. Il faut bien comprendre que, d'une manière générale, dans un commissariat, l'OPJ veut avoir à gérer plusieurs procédures de front: une procédure d'alcoolémie, un usager ou trafiquant de stupéfiants, un accident mortel de la circulation ou des violences... le tout avec plusieurs garde à vue, ce qui nécessite des temps de recherche et d'investigations, d'identification, des sorties pour, par exemple, des perquisitions, des auditions de mis en cause... bref, une organisation désormais très diffcilement tenable. C'est devenu ingérable.

Il semblerait qu'à ce jour, plus de mille OPJ aient adressé leurs rapports. Quelles seront les suites données? Suite au prochain épisode. Ils sont, par exemple, environ 400 à Lyon, ou encore 70% dans le sud-ouest, ou 56 sur le seul 1er District de Police Judiciaire de Paris. Mais le mouvement s'étend, semaine après semaine, sur l'ensemble des services d'investigation en France.

En ce qui me concerne, et à titre personnel, ce rapport sera transmis à ma hiérarchie dans les tous prochains jours. Mon rapport commencera ainsi: "j'ai l'honneur de solliciter le retrait de mon habilitation d'Officier de Police Judiciaire".