Voilà quelques jours que les policiers manifestent dans la rue. Et, pour la plupart, en dehors de tout appel syndical. Je crois que les revendications sont aussi nombreuses que le nombre de manifestants. C'est dire si la demande est importante. Et, au moins aussi important, le risque.
Oui, l'heure est grave. IL n'y a pas à se gausser de voir les flics dans la rue; encore moins lorsqu'on les voit visage masqué, pour certains manifestants. Il y a probablement à y redire; j'ai moi-même laissé place à cette parole. On peut l'entendre. Et pourtant, les policiers français ne sont pas des manifestants dans l'âme; s'ils en sont là, c'est que le moral et la confiance sont au plus bas. Y compris vis à vis de leur propre administration.
Au milieu de toutes ces demandes, l'une d'entre elles est importante, et semble rassembler de nombreux manifestants: le ras le bol du syndicalisme. Ou, plus précisément, le syndicalisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui.
Le fonctionnement syndical aujourd'hui
Soyons... soyez honnêtes, la très grosse majorité des policiers qui sont syndiqués, le sont parce qu'ils pensent que cela peut "aider", que d'être syndiqué, dans le cadre de l'avancement ou d'une mutation, voir en cas de souci hiérarchique. Il me semble loin le temps où l'on prenait son ticket par "adhésion" à un programme, à une vision.
Depuis le début, j'aurais aimé qu'un syndicat prenne sa part, se disant qu'il y avait à redire sur le fonctionnement en tandem, avec l'administration. Cette "co-gestion" de la police, telle qu'elle nous est proposée. J'aurais, de la même manière, en m'écartant un peu de mon sujet, aimé que d'autres puissent se dire que "oui", il y a des dysfonctionnements. Qu'il s'agisse de nos relations avec la magistrature, ou encore dans l'organisation de la Police nationale, voir dans les relations hiérarchiques. Mais chacun préfère se voiler la face, et concentrer l'attention sur les autres.
Vous, messieurs les représentants de nos syndicats, n'échappez pas à cette critique. Le peu que j'ai pu lire à ce sujet, émanant des organisations, a préféré, au mieux, évacuer sa propre responsabilité en la reniant, au pire n'en a même pas parlé, pour ne mieux voir que les autres problématiques. lorsqu'il ne s'est pas agi de rejeter la faute sur les voisins.
Peut-être aurait-il été de bon ton de faire une auto-critique; de dire que oui, à certains égards, les dysfonctionnements sont bien là. Non, les mutations ne se font pas comme elles le devraient. Combien de policiers attendent une ouverture de poste dans leur région d'origine, et ont vu, un matin, une liste d'affectés avec nombre de collègues bien plus jeunes? Non, les avancements non plus ne fonctionnent pas comme il se devrait! Combien de "passe-droit" appuyés par les syndicats? Combien de syndicalistes voit-on, interviewés par des journalistes à proximité d'une scène de crime? Est-ce leur rôle? Combien de syndicalistes ont trop flirté avec la politique, qu'il s'agisse par le passé (auprès de Ségolène Royal, j'ai le souvenir d’universités d'été du PS), ou même du présent (on le voit dans l'environnement proche de Nicolas Sarkozy) ? Pourquoi en est-on arrivé au point de se dire que tel syndicat est à gauche et que l'autre est à droite? Pourquoi tous ces syndicats n'arrivent-ils pas à se mettre d'accord sur un tronc commun de revendications, tant la demande, l'attente et les besoins des policiers sont forts?
Mais, il faut le reconnaitre, et ne pas se leurrer. Nous, policiers, où que l'on travaille, quelle que soit notre fonction, avons aussi notre part de responsabilité. Au final, adhérer à un syndicat, c'est aussi, quelque part, cautionner le fonctionnement, et entrer dans ce système. Combien de ceux qui critiquent le syndicalisme n'ont pas, à un moment donné, à leur tour, profité de ce système? Nous sommes nombreux.
Combien, dans ceux qui râlent après ces mêmes syndicats, ont tenté l'aventure, pour tenter de changer le système à la manière dont ils le voient? Là, ils sont peu nombreux. Oui, c'est une tradition bien française que de critiquer sans rien proposer. Toujours critiquer, et, lorsque l'on dit "eh bien vas-y, toi, qui a de belles idées"... se voire répondre "ah ben non, moi ça ne m’intéresse pas" !
Combien se sont demandé quelles étaient les difficultés qu'il pouvait y avoir à se rendre dans un ministère, face à un aréopage d'élites, tout droit sorties de grandes écoles, face à ceux qui, au moins à l'origine, sont flics, et non politiciens? Oui, je le reconnais, et je le pense, intégrer des concertations n'est pas chose facile, et il n'est pas du tout évident d'obtenir ce pourquoi on est venu. Oui, la fonction syndicale a aussi ses difficultés; Et, encore une fois, nombreux sont ceux qui n'en connaissent pas non plus les limites et contraintes, ne voyant que leur seule vision qui devrait être facile à appliquer, puisque la meilleure.
Et demain ?
Aujourd'hui, un mouvement policier contestataire s'est installé. Il tend à s'organiser en association. Je ne sais quel sera son devenir; puisse-t-il, juste, faire avancer les choses, c'est ce que tous les policiers souhaitent. Parce que, faut-il le rappeler, ce que nous demandons tous, finalement, c'est de pouvoir faire ce pour quoi on est payé, dans de bonnes conditions, en étant efficaces. Parce que nous sommes un maillon d'une grande chaine, que représente la justice de notre pays. Et, aujourd'hui, le risque est réel, d'un mouvement, qui, non organisé et encadré, soit repris, ici ou là, par des mouvements et idées qui n'ont rien à voir avec la réalité de ce qu'il se veut être.
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que ce mouvement devrait être éphémère. Parce qu'il devrait forcer syndicats et administration à se réformer. Ce devrait être, d'ailleurs, son seul but. Parce que, soyons clair, notre pays est ainsi fait et construit, que le dialogue social se noue entre les représentants du personnel, que l'on nomme "syndicats" et l'administration; à chacun d'avoir sa ligne, et se battre, auprès de ses adhérents, et plus largement auprès de tous les policiers, pour obtenir ce qu'il pense être le meilleur.
Coté syndicat, il s'agit désormais de prendre le taureau par les cornes. Celui qui osera renverser la table à laquelle il est installé aura, à mon sens, l'avantage. Mais cela passera probablement par le fait de changer les hommes, finalement de faire passer l'intérêt commun avant celui de ceux qui sont en place. Qui aura ce courage? Qui osera? Il faudra changer les hommes (au moins en partie), changer le fonctionnement des détachements syndicaux; peut-être privilégier des 1/3 temps ou des mi-temps, plutôt qu'un détachement constant, précisément pour, toujours, garder un pied sur le terrain. Il faudra en finir avec les détachements consécutifs. Ce détachement doit être une étape dans la vie d'un policier, et non une fin en soit, quelque chose de pérenne. Syndicaliste n'est pas un métier permanent, de carrière. Qu'il soit un prélude à autre chose, comme une carrière politique, n'est pas un problème, mais chaque chose en son temps. On ne peut être délégué syndical et figure politique en même temps. Cela n'est pas concevable moralement. Il faudra également en finir avec les avancements "éclair" de certains.
Messieurs... ah oui, un petit mot en passant... combien de femmes voit-on dans les représentants syndicaux de premier ordre? une seule sur, au moins, sept syndicats.... là aussi, il y a à y revoir...
bref... Messieurs, la balle est dans votre camp. N'oubliez pas ce pour quoi vous êtes là, l'intérêt général. Notre pays a besoin de réformer. En profondeur. Et notre paysage syndical également.
A vos marques, prêt, feu...