Une fois n'est pas coutume, j'ai voulu laisser la parole, ou plutôt la plume, à quelqu'un d'autre.
Les mouvements policiers sont désormais quotidiens, et rassemblent à travers le pays, plusieurs milliers d'entre nous. Et je sais que ce mouvement peut paraitre contestable par certains. Et plutôt que de laisser, une fois encore, place à l'absence de communication, aux rumeurs, et généralisations en tous genre, j'ai préféré laisser la place à l'un de ceux qui porte, sur ces actions, un avis différent du mien.
Il a en plus le mérite d'être magistrat, et de fait, quelque part mis en cause (pas individuellement, mais par le biais de sa fonction) par certaines revendications, et me parait donc, en plus, légitime à apporter une réponse qui est la sienne, avec un avis qui l'engage lui seul, mais que je crois être celui d'un certain nombre.
Je laisse donc la plume, pour ceux qui le connaissent, via Twitter, à @repris2justess . Encore une fois, le but est d'échanger, sereinement, pour apporter l'avis du plus grand nombre au débat; Il n'y a que comme cela qu'on y arrivera.
Certes, c'est un peu long... mais prenez quelques minutes.
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On a pas le même maillot mais on a la même passion.
Je tiens à remercier @PJ_un_jour pour son invitation sur son blog. La production d’un billet de blog est une première pour moi, je demanderai donc au lecteur l’indulgence due aux débutants.
A la demande de Chris, je précise que je suis magistrat, tout fraichement sorti en septembre de l’école nationale de la magistrature à l’issue d’une formation de 31 mois. Elle correspondait pour moi à une nouvelle carrière après 5 ans dans le privé et 10 ans dans le public passé au sein du ministère de la justice et notamment au sein de l’administration pénitentiaire.
Pour comprendre le mouvement des policiers, il est utile de rappeler que le samedi 8 octobre 2016, un équipage de police chargé de surveiller une caméra de surveillance était attaqué par une dizaine d’individus notamment armés de cocktails Molotov. Les policiers ne répliquaient pas avec leurs armes de service et deux d’entre eux étaient grièvement brulés à l’intérieur même du véhicule. Le pronostic vital de l’un d’eux a été engagé durant 16 jours.
C’est pendant cette période au cours de laquelle l’un de leurs collègues restait entre la vie et la mort que des policiers ont commencé à se rassembler en dehors de tout cadre réglementaire et syndical. Il n’est pas anodin que le premier rassemblement à Paris ait eu pour objet de se rendre devant l’hôpital où leur collègue est hospitalisé avant de partir sur les Champs Elysée.
Cette réaction a pris de l’ampleur et des mouvements ont eu lieu dans de nombreuses villes de France jusqu’à l’appel à manifester, officiel, de leurs syndicats devant les tribunaux les mardis après-midi. Cet appel, disons le clairement, s’est soldé par un échec frisant l’humiliation pour les représentants des policiers.
Or cet échec est regrettable, non pas pour les syndicats eux-mêmes, mais parce que le mouvement né d’une légitime exaspération, s’est perdu dans des modalités d’actions contestables (I) et qu’il est décevant de voir qu’il n’arrive pas, dans un cadre légal, à poursuivre des revendications pertinentes dans la mesure où il passe à côté des véritables enjeux. (II)
Une exaspération légitime qui prend des formes contestables
Le détonateur du mouvement des policiers se situe donc dans ce qui ressemble furieusement à une tentative d’assassinat et, dans pareil cas, les policiers sont en droit de ressentir un vive émotion et ce d’autant plus que beaucoup sont convaincus que cela aurait pu arriver à chacun d’entre eux.
Toutefois, il ne s’agit que d’un détonateur car, à lui seul, ce tragique événement ne peut suffire à expliquer le mouvement présent. Il s’inscrit dans un contexte plus large et dans la continuité des multiples assassinats de policiers commis à chaque série d’attentats : Charlie, le Bataclan, ou plus spécifiquement encore Magnanville.
Mais ce en quoi cette tentative, heureusement échouée, est spécifique, et il faut qu’elle le soit pour expliquer l’explosion de colère des policiers, par rapport aux assassinats réussis précités c’est qu’elle a lieu dans un cadre tristement banal : la surveillance d’une caméra de sécurité. Il n’y a pas ici de mission réputée particulièrement dangereuse ni d’ennemi invisible et imprévisible. Il y a ici une bête caméra de surveillance installée là pour lutter contre un trafic localisé et plusieurs fois dégradée depuis son installation. D’où une surveillance de cette caméra de sécurité.
Or cette caméra en dit long. Elle dit que lorsque la délinquance est repérée, il y a une réaction des pouvoirs publics, l’installation d’une caméra, qui s’avère insuffisante car la délinquance en question ne se satisfait pas qu’on vienne la déranger. Elle dégrade donc la caméra. Nouvelle réaction des pouvoirs publics, on réinstalle la caméra. Le jeu se répète plusieurs fois, jusqu’à ce qu’on décide de protéger la caméra par une surveillance physique.
Et c’est dans ce cadre que les faits dramatiques se sont produits.
Cette fois, pas d’élan de sympathie de la population, d’une part parce qu’elle ne s’est pas sentie généralement visée et d’autre part, parce qu’avec le mouvement social contre la loi travail et les images de répression, la police a perdu la bienveillance de la population acquise après les attentats.
Alors, il est bien légitime que la police ne se satisfasse pas que la délinquance se croie autorisée à résister aux pouvoirs publics. Il est bien légitime qu’elle proteste contre le fait d’être parfois seulement deux dans le véhicule de patrouille alors qu’il est prévu qu’un des deux doit obligatoirement rester près dudit véhicule en cas d’intervention. Ce qui bien évidemment expose chacun des deux à être seuls s’il est indispensable d’intervenir sans attendre les renforts. Renforts qui, bien évidemment, existent ou n’existent pas selon que le commissariat a, ou non, les effectifs suffisants. Renforts qui arriveront à temps, ou non, selon que le véhicule de service, parfois indigne de servir de brouette, décidera de démarrer. Enfin, il est bien légitime de ne pas se satisfaire que des collègues n’aient pas fait usage de leur arme alors que leur vie était manifestement en danger.
Donc en tout point, il semble bien légitime que les policiers fassent part de l’exaspération qui est la leur face à la situation qu’ils connaissent.
Des modalités d’action inacceptables
Comme la plupart des acteurs qui œuvrent en matière de sécurité publique, tels que les forces armées, les surveillants pénitentiaires ou les magistrats, les policiers sont privés du droit de grève. Ils ont toutefois le droit d’être syndiqués et ont le droit de manifester en dehors des heures de service dans le cadre réglementant classiquement les manifestations.
Il leur était donc possible de déclarer, même chaque jour, des manifestations composées des agents en repos et d’accompagner les cortèges par la classique grève du zèle pour ceux qui étaient en service. Le service public de la police, comme presque tous les autres ne survivant que grâce aux bonnes volontés qui en font plus que ce que l’on peut leur imposer, la grève du zèle est un moyen très rapide de faire exploser la machine tout en respectant l’interdiction du droit de grève.
Ce n’est pas le choix qu’ils ont fait. Suspectés par certains d’être téléguidés, je veux croire au caractère spontané au regard du parcours de la première action parisienne, ils ont fait le choix de manifester sans déclaration préalable, d’empêcher les gens de circuler aidés pour cela par leurs véhicules de service, cagoulés et porteurs de leurs armes de dotation pour certains.
Ils ont descendu les Champs Elysée nombreux (200 personnes), toujours armés, parfois cagoulés et se sont présentés aux portes de l’Elysée et du ministère de l’intérieur, exigeant d’être reçus immédiatement.
Ce comportement est tout simplement intolérable venant de ceux qui doivent être au service de la République. Or en manifestant armée en dehors de tout cadre légal, la police devient une menace. L’argument selon lequel les policiers n’auraient jamais tenté d’entrer de force et armes aux poings à l’Elysée est sans effet pour faire disparaître la menace. Elle n’a pas à se concrétiser, sinon elle n’est plus une menace mais une action violente.
Un attroupement armé représente une telle menace qu’y participer est puni par l’article 431-5 du code pénal par trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende, étant précisé que si la personne armée dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende.
L’argument selon lequel, durant ces mouvements, il n’aurait pas été constaté de dégradations devrait faire honte à ceux qui l’emploient. Les articles 322-1 et suivants du code pénal disposent que la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Les peines sont augmentées selon les circonstances aggravantes et notamment à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque la dégradation est commise en réunion, ce qui correspond aux cas classiques des manifestations qui connaissent des débordements.
Ainsi, la menace que représente un attroupement armé est jugée aussi grave par le législateur que le fait de participer à des dégradations durant une manifestation. De surcroit, la comparaison avec des manifestations de citoyens classiques n’a pas lieu d’être dans la mesure où les pouvoirs publics n’ont absolument pas géré les choses de la même manière. Jamais une manifestation spontanée de citoyens dont certains armés et cagoulés ne se serait approchée sans réaction des forces de l’ordre à moins de 200 mètres de deux institutions stratégiques.
A cette situation d’une police qui commet des infractions graves, s’ajoutent des images particulièrement inquiétantes si l’on exige une police républicaine. Au visionnage de plusieurs vidéos, il est facile de constater que les policiers ont scandé « francs-maçons en prison » en défilant ou sont allés chanter la Marseillaise sous la statue de Jeanne d’arc, haut lieu de rassemblement de forces qui sont tout sauf républicaines. Par ailleurs, ils ont permis à un individu qui s’est avéré n’être même pas policier mais candidat d’un parti d’extrême droite de se présenter comme porte-parole du mouvement devant le ministère de l’intérieur.
Ainsi, les modalités d’action ont rendu illégitime l’expression d’une exaspération qui, elle, l’était.
Des revendications critiquables
En dehors des revendications sur les moyens humains et matériels, que je ne développerai pas de nouveau dans la mesure où l’état des lieux fait précédemment est suffisamment parlant, j’ai cru distinguer 4 revendications principales : la mise en place d’une présomption de légitime défense, une anonymisation des procédures, le désengagement des missions estimées « indues », et enfin un durcissement de la loi pénale ou de son application.
* S’agissant de la légitime défense, l’article 122-5 du code pénal prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. »
Pour simplifier, cela signifie que face à une agression injustifiée tout individu a le droit de réagir, mais qu’il faut que ce soit immédiat et proportionné. Ainsi la victime qui réplique ne peut pas être condamnée mais les conditions, plutôt appréciées strictement en France, servent à distinguer la légitime défense de la vengeance ou de l’acharnement. Ces conditions ne servent qu’à cette distinction.
Je n’imagine pas que les policiers souhaitent se voir autorisés à se venger ou à s’acharner sur quelqu’un qui les auraient agressés. La revendication ne peut donc qu’avoir un autre sens.
J’ai cru comprendre qu’ils craignaient, avec la législation actuelle et son application, d’être injustement mis en cause et donc de subir une enquête, une instruction et peut-être même un renvoi devant une juridiction de jugement. Cette crainte les ferait hésiter à sortir et utiliser leur arme durant le service.
Le travail des policiers et de l’ensemble de l’institution judiciaire dans son volet pénal consiste à vérifier si des faits pénalement répréhensibles ont été ou non commis par des individus qu’ils doivent identifier. Si l’on écarte les motifs inimaginables, leur revendication ne peut alors qu’être fondée sur la peur de se voir confrontés à l’appareil judiciaire.
Ils devraient alors s’interroger sérieusement sur le fait que leur revendication montre qu’ils ne font pas confiance à l’institution à laquelle ils appartiennent. En effet, si tel est le cas, ils se trompent clairement de combat. Leur crainte devrait les conduire, d’une part, à devenir les plus farouches défenseurs des droits des mis en causes et de la présomption d’innocence dans toutes les affaires et, d’autre part, à être formés aux risques de leurs métiers qui effectivement contiennent, par nature, un risque judiciaire qui n’est pourtant pas le plus important de ceux auxquels ils sont confrontés.
* S’agissant de l’anonymisation des procédures, la revendication est fondée sur la crainte d’être identifié et poursuivi jusqu’à son domicile. Elle existait peut-être avant, je n’en n’ai eu connaissance qu’après l’attentat de Magnanville durant lequel un couple de policiers a été assassiné. Ici, le motif de la revendication, à savoir la peur d’être pris pour cible, ne me paraît pas discutable.
En revanche, l’efficience de la mesure et ses conséquences me semblent sujettes à caution.
Sur l’efficience, si l’auteur de l’attentat connaissait la qualité de policiers de ses victimes, je n’ai pas lu qu’il avait eu affaire à eux dans le cadre d’une procédure qu’ils auraient menée. La qualité de policier se sait dans un voisinage, et l’anonymisation des procédures ne pourra jamais empêcher un individu déterminé à se venger d’un policier de trouver son lieu d’habitation et son identité. Par conséquent, je doute que l’aboutissement de cette revendication ait un quelconque effet sur la probabilité qu’une agression de ce genre se produise.
Sur les conséquences de cette mesure, contrairement aux fantasmes communément relayés, les magistrats ne sont pas déconnectés du travail de police. Durant mon stage en juridiction, que j’ai pourtant effectué dans une très grande juridiction, j’ai été surpris de voir comme au parquet mais aussi au siège, les magistrats connaissaient les policiers de terrain, les officiers de police judiciaire, leurs habitudes rédactionnelles, leurs points forts comme leurs faiblesses à force d’échanger ou de lire les procédures. Ainsi, l’identification du rédacteur facilite le contrôle exercé par le magistrat tant au siège qu’au parquet. Dès lors, a contrario, l’anonymisation rendra le contrôle peut-être moins aisé car il est moins facile de se souvenir d’un matricule que d’un nom de famille.
Ainsi, cette mesure ne me semble ni utile ni souhaitable, mais concrètement, elle reste sans enjeux majeurs et ça permet aux décideurs de faire plaisir à bon compte.
* S’agissant du désengagement des missions estimées « indues », j’ai entendu un représentant des policiers les lister. Il s’agirait, liste non exhaustive, des gardes statiques (notamment de malades sous écrou ou placés en garde à vue ou de personnalités ou de lieux exposés à une attaque terroriste), des escortes pénitentiaires, ou des enregistrement des procurations pour les élections.
En dehors du fait qu’elles soient estimées « indues », ces missions ont plusieurs points communs. En premier lieu, ce sont incontestablement des missions de service public, en second lieu ce ne sont pas des missions de police judiciaire. Les deux premières consistent à empêcher la commission d’une infraction, en l’espèce l’évasion ou une atteinte aux personnes ou aux biens, et la troisième à permettre aux gens d’exercer leur droit de vote en cas d’empêchement.
Elles ne peuvent donc être considérées comme « indues » qu’à la condition de penser que la police n’a pas vocation à empêcher la commission des infractions ou n’a pas vocation à faciliter aux citoyens l’exercice de leurs droits. Dans un cas comme dans l’autre c’est une vision de la police que je ne partage pas.
Au delà, si cette revendication existe, c’est dans le but de tenter de transférer ces compétences à d’autres et il me semble qu’avant de céder aux policiers sur ce point il est nécessaire de réfléchir, dans l’intérêt général, à l’administration la plus à même de les assurer de la meilleure façon, d’une part au regard de son maillage territorial, d’autre part au regard de ses horaires d’ouverture. Or dans les deux cas j’en arrive à considérer que la seule administration capable de remplir correctement ces missions sans augmenter considérablement leurs coûts est de continuer de les confier à la police.
* S’agissant, enfin, du durcissement de la loi pénale et de son application, chacun a pu assister ces derniers jours à la mise en cause des magistrats dans leur ensemble et de leur supposé laxisme.
Le discours n’est pas nouveau, le fait qu’il soit repris par des éléments de la police, non plus.
Pour autant, ce n’est pas parce qu’un idée se diffuse qu’elle est vraie ni même intelligente. En réalité, déjà parce qu’elle se fonde sur une généralisation, l’idée est simplement absurde. La magistrature n’est pas un bloc uniforme, loin de là. Il y a parmi nous, tout le panel politique de la France, de l’extrême gauche à l’extrême droite et dans des proportions difficiles à déterminer.
La magistrature attire des gens très différents. Ce n’est qu’une opinion personnelle mais je dirais qu’elle attire deux grands archétypes : ceux qui viennent pour « la loi et l’ordre » et ceux qui viennent pour les libertés. Bien sûr, ce sont des archétypes, et chacun des magistrats a une part de chaque. Toutefois, si je devais donner mon évaluation personnelle je dirai que le rapport est de 70/30 en faveur de l’archétype « la loi et l’ordre ».
D’ailleurs, il y a quelques indices qui devraient laisser penser que la figure mythologique du fameux « juge rouge » n’est pas l’espèce dominante. D’abord, la plupart des magistrats sont issus d’études de droit dont les facultés ne sont pas exactement des nids de gauchistes. Pour mémoire, Renaud disait dans la chanson « étudiants poils aux dents » qu’en droit « y’a plus de fachos dans ton bastion que dans un régiment de paras ». Ensuite, quoiqu’on en dise, l’origine sociologique des magistrats c’est-à-dire en moyenne d’un milieu plutôt favorisé fait qu’il y a assez peu d’anciens punks à chien qui peuplent les tribunaux. Enfin, si l’on admet que le syndicat de la magistrature est marqué à gauche et l’union syndicale des magistrats plutôt à droite (apolitique dans ses statuts) il est utile de rappeler qu’aux dernières élections le syndicat de la magistrature a fait moins de 25% des voix.
Il semble donc possible d’écarter l’hypothèse d’une magistrature laxiste dans son ensemble. La cause du désamour de la police pour les juges doit donc se trouver ailleurs.
Or il se trouve que l’article 66 de la constitution dispose que nul ne peut être arbitrairement détenu et que l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. La lecture de cet article fait apparaître au grand jour le rôle de la magistrature. Elle est évidemment chargée d’appliquer la loi mais aussi garder les libertés de tout le monde, y compris des délinquants.
Ce sont dans ces lignes que naissent les points d’achoppement entre la police et la magistrature. Car la première conteste la seconde dans ces deux fonctions. En effet, la police reproche à la magistrature de ne pas appliquer assez sévèrement la loi contre les délinquants et trop strictement contre la police.
Pour le premier volet de la critique, il semble indispensable d’expliquer le cheminement intellectuel du magistrat lorsqu’il doit prendre une décision. Il va se poser toute une série de question dans un ordre précis. L’infraction est-elle constituée ? Suis-je certain que la personne que l’on me présente en est l’auteur ? Pourquoi a-t-elle été commise par cette personne? Quelle décision dois-je prendre, parmi celles qui me sont offertes pour que la situation ne se reproduise pas ?
Savoir si une infraction a été commise n’est pas sans difficulté juridique ou d’appréciation mais comme le doute doit profiter à l’accusé et l’interprétation de la loi pénale être stricte, ce n’est pas ici que se situe la part la plus compliquée. D’ailleurs, il est plutôt reconnu par l’ensemble des acteurs qu’hormis quelques fous furieux, les juges appliquent la loi. Dans le cas contraire il reste la possibilité de faire appel.
Il semble plutôt que la critique de la police se porte sur les deux dernières questions que l’on peut résumer dans l’expression « personnalisation de la peine ». Il s’agit en effet de la partie la plus difficile du métier de magistrat et celle qui l’expose aux plus vives critiques. Dans ce cadre, il est à la recherche d’un équilibre. Mission constitutionnelle de sauvegarde des libertés oblige, il doit décider de la réponse pénale strictement nécessaire mais suffisante pour permettre au délinquant de ne pas réitérer.
Pour cela, le magistrat, selon la fonction qu’il occupe, dispose d’un panel de réponses pénales que lui offre la loi qui va des alternatives aux poursuites au déferrement pour les magistrats du parquet et de la dispense de peine à l’emprisonnement ferme pour les magistrats du siège.
Contrairement aux discours ambiants, les magistrats ne sont jamais animés par l’idée de remettre en circulation des gens qui récidiveront. Le magistrat est orgueilleux et rien ne l’agace plus que de retrouver devant lui quelqu’un à qui il a déjà eu affaire car cela signifie que lors de sa précédente décision, il s’est trompé et n’a pas réussi à atteindre le point d’équilibre qu’il se doit de trouver.
Ainsi, accuser les magistrats de laxisme est une erreur car comme le policier, le magistrat est incontestablement animé par la volonté de lutter contre la délinquance.
Pour le second volet de la critique, entre les policiers et les délinquants, la constitution a confié au magistrat le rôle confié à un arbitre dans un cadre sportif. Il sanctionne ceux qui ne respectent pas les règles quel que soit le camps auquel ils appartiennent et annonce le score à la fin.
A la question de savoir « qui surveille ceux qui nous surveillent », la constitution a répondu « l’autorité judiciaire ». Il n’est donc pas étonnant que parfois cette relation entre la police et la magistrature, dont le rôle est de contrôler son action, donne naissance à quelques tensions. Toutefois, pour filer la métaphore sportive, venir manifester devant les tribunaux revient à cracher sur l’arbitre et ce n’est encore une fois pas acceptable.
Il faut se rappeler cette campagne de la fédération française de football justement sur le respect dû à l’arbitre qui, à mes yeux, correspond à la situation institutionnelle entre magistrats et policiers : « on a pas le même maillot mais on a la même passion. »
Sauf que la spécificité de la situation actuelle, c’est que des responsables politiques soutiennent les manifestations et les formes qu’elles prennent. Imaginerait-on un président de fédération inciter les joueurs à invectiver l’arbitre ?
Détournement et récupération
Ces récupérations politiques et les discours démagogiques tenus dans un domaine complexe servent à détourner l’attention des vrais enjeux.
Pour preuve, aucune des revendications actuellement portées par le mouvement n’aurait pu empêcher le drame qui est survenu. En résumé, les policiers qui étaient dans la voiture étaient absolument et sans discussion possible en état de légitime défense dans le cadre réglementaire actuel et pouvaient faire usage de leur arme. Il ne s’agissait pas d’une vengeance qu’une anonymisation des procédures aurait pu éviter. Ils n’agissaient pas dans le cadre d’une mission estimée « indue ». Les auteurs n’étant pas encore identifiés, rien ne permet d’affirmer qu’une réponse pénale préalable plus sévère les aurait empêchés de perpétrer leur crime.
Malgré cela, la police, pas plus que le reste de la population, n’est imperméable aux discours démagogiques sur la sécurité.
Les peines planchers ont déjà été essayées. Le quantum (la durée) de peine prononcé a augmenté mais cela n’a pas fait reculer ni changer la délinquance. La magistrature est aussi désarmée que la police face à la délinquance de masse dans certains quartiers comme celui dans lequel a eu lieu le drame.
En réalité le vrai problème et les véritables enjeux se jouent ici. La République a totalement abandonné certains quartiers qui connaissent des taux de chômage supérieurs à 50% et qui laisse donc la place à tous les trafics.
Dans ces cités, les services publics ont fermé. Les commissariats de proximité ont fermé. Il est recommandé aux policiers de ne surtout pas s’installer sur leur ressort et il ne viendrait même pas à l’idée des magistrats travaillant dans ces zones de le faire. Pour information, la Grande Borne est la cité dans laquelle a eu lieu le drame et dans laquelle a grandi Amédy Coulibaly, l’un des auteurs des attentats de Charlie et de l’hyper Casher.
Ainsi, mettre des peines plus lourdes ne servirait à rien car en sortant de prison les délinquants retournent dans leur même cité pourrie sans plus d’espoir de s’en sortir. Les peines prononcées ne sont déjà pas utiles car il n’y a pas de prise en charges réelle et efficace des personnes condamnées. Les malades restent malades, ceux qui souffrent d’addictions restent accros, ceux qui ne sont pas employables ne le sont pas plus et tous ensembles ils ressortent du système judiciaire pour retourner au même point mais peut-être un peu plus abîmés qu’en arrivant.
Mais bon, j’ai lu les annonces du ministre de l’intérieur à la suite de la rencontre des syndicats de policiers avec le Président de la République, maintenant, ils seront dotés de gilets par balle, de véhicule blindés et de tenue résistante au feu.
Il est donc encore une fois décidé de traiter la fièvre pour ne surtout pas soigner le malade.
Alors qu’il faudrait démolir les cités pierre par pierre, augmenter les moyens des services de la justice au sens large, et donc des services de police, judiciaires et pénitentiaires et bien sûr des services sociaux. Et évidemment, la première des choses à faire est de remettre les services publics au cœur de tous les quartiers au lieu de faire des économies de bouts de chandelles qui au final coûtent plus cher à la fois d’un point de vue budgétaire et au niveau de la cohésion sociale.
Voilà Chris. J’ai écrit. C’est très long. Tu m’as demandé de faire 1000-1500 mots sur ce qu’en tant que magistrat je pensais du mouvement des policiers. Il y en a 4241. Il faut croire que j’avais des choses à dire mais j’ai essayé de te faire part d’un avis sincère et argumenté. J’espère donc que tu ne m’en tiendras pas rigueur.