Très régulièrement, une affaire défraye la chronique, autour de ce que d'aucuns appellent (principalement, les avocats de la défense), la "religion de l'aveu. Exemple type, les faits révélés dans la presse, hier, autour de l'interpellation de Robert Rochefort, dans un magasin de bricolage, pour des faits d'exhibition sexuelle.
Les faits sont simples : le Vice-président du MODEM se trouve dans un magasin de bricolage, lorsque, selon les informations parues dans la presse, il est surpris par un vigile, le sexe sorti du pantalon, non loin de deux mineures (lesquelles n'auraient rien vu), en train de se masturber. Le vigile alerte son supérieur, lequel appelle la police. Robert Rochefort est alors interpellé, puis placé en garde à vue pour répondre aux questions d’enquêteurs. Au cours de cette mesure, il aurait reconnu les faits. Avant de se rétracter... face à la presse.
"Je me suis fait piéger car je n'ai pas voulu passer la nuit en garde à vue. Est-ce que j'ai paniqué, est-ce que j'ai eu peur ? J'ai reconnu des choses fausses."
Pressions? violences psychologiques? physiques? Il y a là beaucoup de choses à dire, à différents égards. Au centre de tout cela, les auditions d’un gardé à vue, mais, au fond, le vrai sujet : l’aveu.
Quelles sont les limites d’un policier, pour obtenir des aveux ?
Avant tout, les insultes. Impossible d’être en accord avec le procédé d’autant que jamais un gardé à vue n’est « passé aux aveux » lorsqu’il était insulté. C’est la première chose, et c’est, à mon sens, important. Si l'on peut imaginer une stratégie psychologique de l'enquêteur, je reste perplexe quant aux insultes!
La défense n’a de cesse de hurler contre ce qu’elle appelle « la religion de l’aveu » ou encore « l’aveu, reine des preuves ». Mais, en fait, plus généralement, la défense hurle finalement contre tous les moyens de preuve qui lui sont soumis. Avec le recul, pour concevoir la culpabilité d’un client, il faudrait qu’un homme reconnaisse les faits qu’on lui reproche, avec son ADN (non transportable, bien sur), alors qu’il a été filmé par une caméra qui, par chance, serait doté également d’une bande son. Bien sûr, à condition que son possesseur ait l’autorisation d’en posséder une. A cela, il faudrait ajouter au moins 4 témoins. Minimum.
Bref, trêve de sarcasmes.
La question qui se pose est « qu’attend-on d’une audition » (la réponse est à peu près la même, plus largement, en ce qui concerne la garde à vue) ?
L’enquête de police amène, par le biais de différentes pistes, à dégager une explication de ce qui a pu se passer. On traite les témoignages, les indices recueillis sur les lieux des faits, la vidéo-surveillance, la téléphonie… bref, bien des choses peuvent être exploitées. Toujours est-il qu’une ligne se dégage, et qu’on va l’approfondir. Soit cette piste principale se dégonfle, soit les éléments s’accumulent. Lorsque les enquêteurs ont fait, pour ainsi dire, le tour de la question, le tout est soumis au magistrat. Il est alors question de procéder à l’interpellation de celui qui est devenu suspect. Il est placé en garde à vue, et l’on va, dès lors, le confronter avec les éléments que l’on a. Si tant est, comme c'est le cas ici, que l'interpellation a lieu en "flag", c'est à dire alors au moment même de sa commission, comme c'est le cas ici.
Pourtant, il est peu d’affaires dites « parfaites », où l’on dispose de tous les éléments. En fait elles sont mêmes rares. La plupart du temps, il y a, soit un témoin, ou alors juste une victime ; parfois un peu plus.
C’est le cas, notamment, des affaires de pédophilie, "matière" très particulière, avec des victimes qui, des années plus tard, souhaitent porter les faits devant les tribunaux. Pour des raisons parfaitement compréhensibles, qui tiennent, bien souvent des difficultés psychologiques à, juste, parler de ce qu’il a pu se passer. Il est aisé de comprendre que, des années plus tard, plus aucun élément matériel ne peut être découvert. Tout juste, peut-être, des témoignages dits « environnants », peuvent-ils être recueillis… et encore. Et que reste-t-il, alors, aux policiers, qui ont, face à eux, une plaignante psychologiquement détruite ? Ils se doivent, à mon sens, au moins, d’essayer, de tirer quelque chose de la personne qui leur fait face. Avec toute la nuance qu’il peut y avoir avec le temps qui a passé, etc…
Se contenter de poser des questions, se voir répondre un « non » ne peut être suffisant.
Le droit au silence
J’en arrive alors au « droit au silence ». Si je comprends qu’il s’agit d’un élément essentiel des droits de la défense ; il découle du simple droit, pour une personne, de ne contribuer à sa propre incrimination. Son corollaire, étant que l’autorité de poursuite (le parquet) ne puisse bâtir son accusation sur la foi de ces éléments, considérés par la défense, comme des éléments « obtenus sous la contrainte, dans un moment de particulière vulnérabilité ».
Ce droit est d’inspiration anglo-saxonne, alors même que notre système est totalement différent ; nous avons une procédure inquisitoire, qui repose sur le fait que la Société est intéressée par le fait qui lui est soumis. Et c’est donc le magistrat qui diligente l’enquête. Inversement, la procédure accusatoire laisse une plus grande latitude aux parties. Ainsi, la justice européenne s’appuie-t-elle sur un droit issu d’un système pour l’appliquer dans un autre, qui lui est contraire !
En pratique, de ce qu’il m’a été donné de constater de par mon expérience, le droit au silence est utilisé devant la gêne à répondre à des questions embarrassantes. Certes, il ne peut être tiré de conclusions hâtives dans une telle situation, mais, ai-je envie de dire… tout de même…
L’avocat a beau prodiguer ce conseil à un gardé à vue. Comment pourrait-il, face à des accusations qui seraient inexactes, dans la situation d’une mesure qui lui serait injuste, puisque innocent, ne pas s’expliquer ? De là à dire que seuls les auteurs gardent le silence, il n’y a qu’un pas… que, bien sûr, je ne franchirai pas ! Toujours est-il que, pour un enquêteur, se voir opposé le droit au silence ne peut, non plus être satisfaisant. Il n’est pas question comme j’ai pu l’entendre, de fierté d’obtenir, à tous prix, des aveux ; mais plus de confirmer des éléments recueillis, le plus souvent, ou de les infirmer. Ce qui a, alors, pour effet, de donner un nouvel éclairage à l’enquête.
Aveux, silence, ou mensonge?
J’ajouterai que, dans le cadre de la notification des droits afférents à une garde à vue, l’enquêteur a désormais obligation de notifier ce droit au silence. Mais, me direz-vous, cela ne change que peu de choses ! On ne peut forcer une personne qui ne veut pas parler à le faire ! Et cela arrivait bien avant que ce droit ne soit notifié. Et c’est vrai. Pourtant, notifier ce droit revient, finalement, à l’encourager. Ce qui conduit, de plus en plus souvent, à ce que les enquêteurs n’aient aucune explication, aucune réponse à leurs questions. Cela améliore-t-il l’idée de ce que l’on peut attendre de la justice ? Je n’en suis pas intimement persuadé.
Si l’on remonte quatre siècle, alors qu'était en vigueur l’ordonnance de 1670, le fait de répondre aux questions était une obligation. En fait, l’accusé avait le choix entre conserver sa vie (et mentir) et, devant prêter serment, dire la vérité. On était donc à un extrême de ce que l’on peut espérer de la Justice. On est, aujourd’hui, à l’autre extrême. Celle qui consiste, le plus longtemps possible, à ne rien dire ou, au mieux, à inventer une vérité qui s’articule autour des failles du dossier.
Bien évidemment, le mensonge est, à mon sens, à proscrire ; c’est encore la moins bonne des solutions à choisir. J’insiste, parce que cela me parait important : l’enquêteur ne veut pas des aveux dans ce qu’ils ont d’absolu, mais la vérité. J’ai bien dit LA vérité, qui est unique. De fait, lorsque le policier (ou gendarme) pose des questions dont il connait les réponses, et que la personne qui lui fait face invente une histoire, il en va de sa crédibilité. Il sera alors plus difficile de la croire sur des éléments inconnus de l’enquêteur, en cas de dénégation des faits qui sont reprochés. Encore faut-il que, convaincu de mensonge, l’auteur en « paye » quelque part, au moment d’être jugé. Est-ce le cas ? Bonne question.
Le plaider coupable
Cette procédure existe depuis une loi du 09 mars 2004, il s'agit, juridiquement de la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Il s’agit d’une procédure applicable pour les contraventions ou délits punissables d’une peine inférieure ou égale à 5 ans de prison. Sans aucune audience, face à quelqu’un qui reconnait les faits qui lui sont reprochés, le Procureur de la République (ou son représentant), propose une peine, qui, pour être prononcée et effective, doit avant tout être accepté par l’accusé. A ce moment-là, le juge n’entre dans le « schémas » que pour valider cet accord. Pour autant, cette peine ne peut être supérieure à un an de prison, ni excéder la moitié de la peine encourue. Les cas sont donc très limités ; autant le dire, aux affaires les moins importantes. Cette procédure vise avant tout à désengorger les tribunaux ; c’est ainsi que, 77530 procédures ont été examinées de la sorte.
De fait, pour les procédures les plus graves, il n’existe aucune incitation à la vérité. Bien au contraire. Ou, tout du moins, il s'agit alors d'une appréciation libre du magistrat, comme j'ai encore pu le voir très récemment. Un homme en garde à vue, passe aux aveux pour ce qui concerne son rôle. Il est clair, corrobore les éléments de l'enquête. Il est déféré, mis en examen, et sous contrôle judiciaire. Décision très cohérente.
Une dernière précision, pour ce qui concerne l'affaire dont il est question ce jour: je note que le parlementaire européen n'a, ni fait appel à un avocat, comme cela lui est possible, ni usé de ce droit à garder le silence. Et pourtant, il aurait avoué des choses "fausses". Enfin, s'il affirme que, preuve en est de son innocence, il n'est pas en prison (ce qu'il sous-entend), il est bon de préciser (qu'on me démontre le contraire si je me trompe) que les hommes ne sont que très rarement (voir pas du tout), incarcerés pour de tels faits. Cette précision étant apportée...
Vous avez le droit de garder le silence, et de ne pas répondre aux questions qui vous sont posées.
A moins que vous ne souhaitiez interagir ? A vos risques et périls…