L'heure des vacances a sonné. Enfin. J'en ai vu partir, je les ai vu revenir, et d'autres, entre temps, sont partis. Et j'attendais. Ouf. Il est arrivé, ce 12 août. Et pourtant, cela fait quelques semaines déjà qu'une question se pose. Lancinante. Pas obsédante, non, tout de même... mais j'y pense, parfois; et forcément, à mesure qu'arrive ce jour J des vacances, il va falloir que j'y trouve une réponse.
Cette question est très simple: face à la menace terroriste que nous traversons, vais-je emmener mon arme de service avec moi, lors de ces vacances?
La base légale
Jusqu'à il y a quelques mois, la question ne se posait pas. Les policiers avaient pour instruction de ranger leur arme au service, dès lors qu'ils quittaient le service pour une durée supérieure à leur repos hebdomadaire (en gros, pour schématiser). C'était donc le cas pour les vacances estivales. Depuis la mise en place de l'Etat d'urgence, faisant suite aux attentats de Novembre 2015, nous avions l'autorisation de porter cette arme hors service. Mais cette autorisation était limitée dans le temps, c'est à dire durant l'Etat d'urgence.
C'est un arrêté du Ministre de l’intérieur, du 25 juillet 2016, qui a modifié le Règlement Général d'Emploi de la Police Nationale (RGEPN), qui fixe les modalités de port de l'arme, par les fonctionnaires de police actifs. L'objectif de cette modification: le port d'arme hors service. En tous temps.
Ainsi, la mesure n'est plus limitée. Pour autant, le port en est donc réglementé. Je ne parlerai pas du port en service, pour ne me concentrer, du haut de ces quelques lignes, que sur les changements, c'est à dire en dehors des heures de service.
Avant tout, cela va de soi, la conservation doit pouvoir être optimale. D'abord, dans la mallette sécurisée dont dispose chaque fonctionnaire. Mais cette mallette ne peut, à elle seule, suffire à une conservation globale. Il s'agit donc de penser à un coffre fort ou, pour le moins, une cache et, à ce moment-là, peut-être, séparer l'arme et les cartouches.
Ensuite, le port; le policier doit alors être en mesure de justifier, en toutes circonstances, de sa qualité, cela passe donc par, bien sur, sa carte professionnelle, mais aussi, en cas d'urgence, par le port de son brassard "POLICE". A cela, j'ajouterai, de préférence, une paire de menottes.
Quoi que puissent en penser certains, ce sont là les recommandations faites par les différentes directions de la police. Dont celle de la PJ.
Quelle utilité?
La question se pose donc depuis quelques semaines à tous les policiers et gendarmes. Je ne sais si beaucoup l'ont fait, ou si, à l'image de mon groupe, peu ont fait cette démarche.
Toujours est-il que, depuis quelques jours, je me pose cette question. Et c'est bien la première fois, en près de vingt ans de Police. Certes, depuis qu'a été décrété l'Etat d'Urgence, il n'est pas rare que je porte mon arme de service en dehors de mes heures de travail. Principalement lorsque je dois utiliser les transports publics ou encore lorsque je me rends dans des endroits prisés par la foule. Mais là, le temps de mes congés...J'y pense, repense... et rien que ça me parait problématique! Oui, nous avons changé d'époque.
Je le sais, j'en suis conscient. En admettant que je prenne mon arme, combien y a-t-il de chances qu'elle soit utile? Quasi aucune. Maintenant, plus que de voir à ma propre échelle, je me dis que, gendarmes et policiers cumulés, nous sommes plus de 200.000 en France. Rapidement, la statistique s'emballe, sur la probabilité, que sur une attaque éventuelle, dans un lieu qui rassemble du public, un policier, un gendarme (voir, pourquoi pas, un militaire ou un douanier) armé, soit là. Je ne parle pas, évidemment, d'une église, dans un petit village. Il faut être réaliste, l'on ne pourra, bien évidemment, pas intervenir, partout, tout le temps. Mais, on peut se dire que, plus nombreux seront les policiers/gendarmes, à avoir leur arme, plus les chances de pouvoir s'interposer, et donc, peut-être, limiter le nombre de victimes, sont nombreuses.
Oui, porter l'arme pendant les vacances, c'est une contrainte personnelle. Se sent-on en vacances avec une arme à la ceinture? Pas sur. Cela implique également un minimum d'attention! Oui, c'est aussi une contrainte imposée aux autres, à la famille. Même si je me dis qu'à la faveur d'une certaine discrétion, on peut rapidement la faire oublier.
C'est aussi une question de circonstances! Non, il ne s'agit pas de porter une arme dans le maillot de bain à la plage (je vous vois sourire, là... non, ôtez-vous cette image de la tête). Il n'est pas question, non plus, d'avoir une arme sous la tente de camping! Et je ne le crois pas non plus utile au fin fond de la Creuse, dans la ferme familiale. Et encore moins en discothèque, ou en étant alcoolisé, c'est évident.
Tout dépend, donc, du lieu de villégiature. Un lieu où l'arme peut être conservée en sécurité.
Avant d'imaginer la porter, il faut penser à la conservation de l'arme. Qu'elle ne puisse être volée, notamment. Que des enfants ne puissent la prendre pour un jouet. Mais là, c'est aussi une question d'éducation. Mes enfants savent que je peux avoir une arme à la maison; et aussi qu'elle est rangée, dans un coffre. Et ils n'ont jamais cherché quoi que ce soit. Je me débrouille toujours pour la manipuler hors leur présence, ou le plus discrètement possible. Une seule fois, je leur ai montré cette arme (évidemment non chargée), afin qu'ils se rendent compte. Et, qu'une fois pour toutes, leur curiosité d'enfant soit satisfaite, mais aussi pour éviter qu'ils ne cherchent "dans mon dos" à la manipuler.
Je sais qu'un certain nombre de personnes voient ce port d'arme comme un danger. Certains y voient des policiers qui, selon eux, ne savent pas tirer, d'autres pensent que cette arme peut s’avérer être une problématique intra-familiale de violences faites aux femmes. D'autres, encore, voient des policiers armés comme des cow-boy... Pour autant, ces arguments n'ont, selon moi, pas l'impact équivalent à la menace réelle à laquelle nous sommes soumis. Même si l'on ne peut non plus nier que ces arguments trouvent une réalité, aussi minime soit-elle.
Une question de conscience
Je dois le dire, ce qui me pèse le plus, à vrai dire, ce n'est ni les circonstances, que je vais pouvoir gérer, ni la sécurité, préalable nécessaire, avant même de se poser la question de savoir si j’emmènerai mon arme.
Non, ce qui me pèse, c'est la conscience. Me dire que, si un jour, je devais affronter une situation à risque, avec une arme, je serai en capacité d'avoir une réponse. Certes, il faudra réfléchir, vite, et surtout bien... peut-être une intervention sera utile, peut-être impossible... mais je serai en capacité de... La conscience, disais-je. Oui... si j'avais l'occasion d'intervenir, d'aider... et si ce jour-là, inversement, je n'avais pas d'arme, étant réduit à néant, que des morts devaient intervenir... ou serais-je? comment pourrais-je continuer à me regarder en face? Comment pourrais-je continuer à exercer ce métier? Comment, ne pas s'en vouloir, en se disant "si je l'avais eue, peut-être que..." . Je ne l'imagine pas.
Aussi, après une grosse réflexion (qui m'a tout de même fait partir en vacances avec plus d'une heure de retard, hein), vous l'avez compris, j'ai décidé de partir avec mon arme en vacances. La sécurité de cette arme est assurée. Et je la porterai fonction des lieux où je serais amené à aller. Bref, je m'adapterai aux risques, aussi minimes soient-ils, aux circonstances de mes allées et venues.
J'ai donc rédigé ce rapport, transmis au Directeur de la Police Judiciaire. Simple rapport d'information.
Pourtant, il est une certitude. J’espère passer les vingt prochaines années comme les vingt dernières. Sans jamais avoir besoin de m'en servir. Et si j'ai à m'en servir, c'est que je n'aurais eu d'autre choix. Reste alors à être efficace, écarter le danger.
à voir, aussi, ce petit sondage (qui vaut ce qu'il vaut), à l'échelle de la Twittosphère. Pensez-vous que le port d'une arme, par les policiers, en vacances soit utile, inutile, ou dangereux? A l'instant où j'écris ces quelques lignes, plus de mille deux cent personnes ont répondues.